UN GESTE VERS LE BAS DE BARTABAS
Bartabas n'a jamais voulu admettre que ce qu'il fait depuis 40 ans à Aubervilliers (Zingaro) et depuis 20 ans à Versailles (l'Académie équestre) puisse relever du cirque, ni même vraiment de l'équitation de manège. Son travail avec les chevaux relève davantage, pense-t-il, du théâtre, de l'opéra, de la danse. Aussi s'est-il senti plus proche des metteurs en scène et chorégraphes que des écuyers ou circassiens, dresseurs, voltigeurs, acrobates ou cascadeurs. Plus d'affinités, donc, avec une Ariane Mnouchkine, une Carolyn Carlson qu'avec la plupart des maîtres de manège ou rois du chapiteau – aussi compétents, habiles ou fameux soient-ils – qui lui paraissent exercer un autre métier que le sien.
Rien d'étonnant, dans ces conditions, que sa rencontre avec la célèbre danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch ait été un moment important de sa vie d'artiste. Comme lui dans le domaine du spectacle équestre, Pina Bausch a révolutionné le monde du ballet. Comme Bartabas avec ses chevaux, Pina Bausch n'inflige pas à ses danseurs des figures imposées : au contraire, elle s'adapte à l'anatomie de chacun et donc à ses capacités chorégraphiques propres. Pour désigner sa troupe, Pina Bausch a inventé l'expression de la danse-théâtre, comme Bartabas a défini Zingaro comme un théâtre équestre.
Leur première rencontre a eu lieu en 1990. Pina est venue voir le travail de Bartabas. À l'issue du spectacle, elle s'est présentée. Ils n'ont pas eu besoin de grands mots ou de belles phrases pour se comprendre. Ce sont deux taiseux. Entre nous, écrit joliment Bartabas : « Le silence n'est pas un alibi mais le signe d'une reconnaissance mutuelle : celle des timides. »
Leur fréquentation laconique durera dix ans. Bartabas présentera à Pina un cheval, Micha Figa, en se disant que cette rencontre donnerait peut-être un jour quelque chose, déboucherait peut-être sur une idée ? Un geste ? Une danse ?
C'est cette longue complicité à trois que Bartabas raconte, avec une délicatesse infinie, une sensibilité, une sobriété, une élégance d'écriture hors du commun dans un petit livre, Un geste vers le bas, qui sort ces jours-ci aux éditions Gallimard.
Avec ce troisième opus, se confirme ce que ses deux premiers ouvrages avaient permis d'entrevoir, mais ce Bartabas, qui refuse d'être classé, catalogué, enfermé dans une catégorie, acceptera-t-il de figurer dans la caste très fermée des (bons) écrivains ?
Un geste vers le bas, de Bartabas (Gallimard, 104 pages, 17 €).