L’élevage, une entreprise de longue haleine
Faire naître des poulains reste pour les uns du domaine du rêve, et pour d’autres, cela devient un réel objectif. Dans cette perspective, nous nous interrogeons sur les démarches qui président au lancement de cette activité. Témoignages.
Histoire de mettre le thème de ce dossier en perspective, reportons-nous brièvement aux données figurant dans la plus récente édition de l’annuaire Ecus, l’unique document statistique de référence. Ces données, qui portent sur l’année 2022 – celles de l’année écoulée ne seront connues que fin 2024 –, soulignent que notre sujet n’a rien de confidentiel, jugez-en par vous-même. 33 988, tel est le nombre d’éleveurs dont la, ou les juments, ont été saillies. Certes, leur nombre réel est un peu moindre considérant, comme le précise l’IFCE-SIRE qu’« un éleveur produisant dans différentes races est compté dans chaque race qu’il produit », mais cela fait tout de même beaucoup de monde. L’écrasante majorité (76 %) possède une jumenterie à très petit effectif, 57 % d’entre eux n’ayant qu’une poulinière, les autres, deux. À l’autre extrémité du panel, et ne représentant que 8 % de la communauté des éleveurs équins, il y a ceux qui ont cinq juments ou plus. Par conséquent, 16 % des éleveurs en activité en 2022 avaient trois, voire quatre, juments à la reproduction. Sur les 81 206 poulinières à la reproduction, le plus gros contingent (24 769) est celui constitué par les dix-sept races de chevaux de sport et de loisir, allant du selle français au shetland, de l’arabe au new forest, mobilisant 13 591 éleveurs. Pour les vingttrois races de travail réunissant, entre autres, le baudet du Poitou, le cheval Auvergne, le mérens et les neuf races de trait, on arrive à 17 718 poulinières détenues par 5 771 éleveurs-propriétaires. En ce qui concerne ce que l’IFCE-SIRE répertorie dans « Autres races », il y en a dix-neuf, où l’âne des Pyrénées côtoie le lusitanien, le KWPN
ou encore le quarter horse, leur nombre atteint 3 026 poulinières appartenant à 2 022 éleveurs.
L’élevage mode d’emploi
La suite de notre propos est à destination de ceux d’entre vous qui aspirent à se lancer dans l’aventure. Quels sont les choix « stratégiques » à opérer, ceux-ci variant selon l’ampleur que l’on souhaite donner à cette activité. En effet, avoir trois ou quatre poulinières à la reproduction engendre davantage de contraintes que celle consistant à faire faire un poulain à sa jument de coeur, néanmoins dans ces deux cas, on est éleveur. Le premier aura davantage de contraintes spatiales et infrastructurelles, que le second, puisque le préalable pour élever est de disposer d’un foncier. Soit on le détient déjà, sinon, il faut s’en doter par l’achat et/ou la location. Économiquement, le premier recherchera à élever des produits intéressants commercialement eu égard à leur ascendance bien sûr, mais aussi à leur mental et à leur locomotion, alors que l’enjeu, pour le second, consiste avant tout à satisfaire un plaisir personnel, exempt de visée commerciale, du moins au début. Ceci étant dit, pour ces deux profils d’éleveurs, le choix du géniteur est crucial. Pour vous éclairer, laissons la parole à ceux qui vous ont précédé, leurs réflexions éclaireront vos premiers pas dans l’élevage. « Je cherchais une race et suis tombé sur le shagya qui semblait correspondre à mes attentes par rapport à mon activité de tourisme équestre. » Voilà comment en 2013, Jean-Michel Lechanoine jette son dévolu sur cette race qu’il élève aujourd’hui
sous l’affixe Des Loges (lire CM n° 619). Douze ans plus tard, ils ne sont que dix-huit éleveurs de shagya en activité veillant sur une jumenterie de vingt-sept poulinières. La situation de notre interlocuteur correspond à l’immense majorité des éleveurs, à savoir qu’il exerce une activité professionnelle, en l’occurrence il est responsable qualité au sein d’une entreprise industrielle, grâce à laquelle il peut élever et valoriser ses chevaux. « J’ai débuté avec deux poulinières », au terme d’une série de visites dans les élevages dédiés à cette race. L’éleveur a maintenant trois juments à la reproduction, et autant en valorisation. « Je leur fais une carrière en endurance en essayant de les emmener sur des courses de 160 km, et je poursuis par du poulinage si elles ont atteint un certain niveau afin d’en valoriser les produits. » Jean-Michel Lechanoine fait naître entre un à trois poulains par an. Pour le choix de ses étalons, il s’appuie en toute logique sur l’Association française du cheval arabeshagya. Côté foncier, celui-ci a débuté en ayant qu’un hectare autour de chez lui. « J’ai pu en acquérir une dizaine ensuite. »
À ce propos, pour s’installer éleveur, le préalable est de jouir d’un statut agricole (lire encadré ci-contre). Cette inscription à la MSA (Mutuelle sociale agricole) est le sésame pour espérer ensuite acquérir ou louer des terres agricoles, ce qui conditionne la viabilité d’un projet. C’est impératif lorsque l’on n’a pas suffisamment d’espace ou a fortiori pas une acre de terre à soi. Les poulinières vivent essentiellement à l’extérieur dans de grandes parcelles avec abri. Les conditions de poulinage sont variables, soit en box ou dans un paddock sur lequel Jean-Michel Lechanoine a un contrôle visuel. À l’adresse de tout futur éleveur, son conseil est d’« avoir une vision de ce que font les
autres. C’est obligatoire car on a toujours à apprendre, et c’est fondamental pour choisir les bonnes souches. Il est clair, poursuit-il, qu’il faut avoir des connaissances sur la partie alimentation. Une poulinière gestante s’alimente d’une certaine façon, il faut s’encadrer d’un vétérinaire, d’un maréchal-ferrant ». Élever est indissociable d’éduquer. « Il faut, de tout-petit à leur débourrage, manipuler régulièrement les poulains. Au risque de donner non seulement une très mauvaise image de soi, mais aussi de nuire à celle de la race. »
Élever « en amateur », c’est pro
« J’ai acheté une jument poney français de selle lors des ventes de Saint-Lô il y a trois ans », indique Arnaud Soulard, qui parallèlement à sa profession de technico-commercial dans le secteur vétérinaire développe aujourd’hui une activité de pension-pré, et élève « en amateur ». Il est l’un des 1 121 éleveurs à avoir une jument à la saillie, sur les 1 467 que compte cette race. « Je me suis intéressé au connemara et au poney français de selle parce qu’ils permettent d’intéressants croisements, si l’on songe, entre autres, à Orient de Frebourg, avant de m’orienter uniquement sur le poney français de selle parce que je le trouve élégant. » Comme notre précédent interlocuteur, il a lui aussi opté pour le statut agricole, ce qui lui a permis d’acheter 50 hectares de terres herbagères d’un seul tenant près de chez lui. « Pour avoir ce statut, fait-il observer, mieux vaut déjà avoir sa poulinière et le projet de faire naître un poulain. » A posteriori, Arnaud Soulard regrette, par manque de temps, de ne pas s’être rapproché davantage de la Chambre régionale d’agriculture, se privant ainsi d’un certain nombre d’aides, « notamment pour l’achat de bâtiments non négligeables lorsque l’on s’installe ». Arnaud Soulard indique qu’il est aussi important de faire appel à un notaire qui connaît le droit agraire, un point important à considérer pour tout porteur de projet.