Histoire d’un train hors norme
La voie ferrée Vitré-Fougères fut officiellement ouverte le 1er octobre 1867. Michel Reynaud, passionné par l’histoire de cette « ligne hors normes », nous met sur les rails.
Le chemin de fer entre Vitré et Fougères ? « Hors du commun ! » Michel Reynaud est le plus ardent historien de la voie ferrée qui, jadis, reliait les deux cités des Marches de Bretagne. Ce Briçois, dont le papa travaillait à la SNCF, s’est entiché de cette histoire dans les années 80. « J’habitais près de la voie. Je voyais passer une locomotive et un wagon, une fois par jour… Et puis j’ai trouvé beaucoup d’informations en parcourant les archives de La Chronique. Je m’y suis intéressé… » se souvient-il aujourd’hui. Il est allé de découverte en découverte…
« Fougères s’est battue ! »
« Tout d’abord, il faut combattre une légende : Fougères n’a jamais refusé le chemin de fer ! Au contraire, la ville s’est battue pour l’avoir » lance-t-il. En 1857, en effet, on avait ouvert la ligne Paris-Rennes, via le Mans et Vitré, au grand dam des édiles fougerais. Élu en 1860, le député Albert de Dalmas remis du charbon dans la chaudière : « il en avait fait une promesse électorale » sourit Michel Reynaud. Un temps, on parla d’une voie à traction animale. Plus tard, on tenta de convaincre l’État de dévier la voie Cherbourg-Brest par Fougères et Vitré, pour la raccorder à Rennes. En vain. Le département d’Ille-et-Vilaine, trouvait quant à lui trop onéreux de relier les deux villes.
Le moins cher de France
De guerre lasse, les Fougerais décidèrent de construire euxmêmes leur train. « En 1865 l’État allégea les contraintes techniques pour ouvrir des chemins de fer locaux. La ligne Fougères-Vitré fut la première à en profiter, deux ans après » précise Michel Reynaud. Le député lui-même prit la présidence de la Compagnie de chemin de fer de Vitré à Fougères. « Et puis on fit appel à un ingénieur expérimenté, Louis Debauge. Avec Victor Forquenot et Jean-Simon Voruz, il conçut le chemin de fer le plus économique de France, le meilleur prix au kilomètre. Les plans furent même exposés à l’Exposition universelle de 1867 ! ». On imagina même un modèle de locomotive pour Fougères-Vitré, construit d’abord à trois exemplaires.
La ligne aurait pu être longue de 28 km, mais au final elle courait sur 37 km. « Pour réduire les frais, on avait léché le relief ! » Le tracé était sinueux. La moitié seulement était en ligne droite et les courbes étaient souvent serrées, « ce qui obligea à limiter la longueur des trains à sept wagons ».
Après quelques années d’exploitation, on rectifia d’ailleurs le tracé, à l’arrivée à Fougères. La ligne passait plus au sud qu’actuellement, mais avec un contour peu pratique. Il reste un vestige de cette voie disparue : le pont du Chemin de la grille, entre Iné et la Placardière. Les promeneurs passent toujours dessous, mais plus rien ne circule dessus depuis longtemps.
À Vitré, faute d’accord avec la Compagnie de l’ouest qui gérait la ligne Paris-Rennes, on dut construire une seconde gare (derrière l’église Sainte-Croix actuelle). Un viaduc fut aussi érigé. La Compagnie de l’ouest, la rivale ! « Les relations entre les deux compagnies avaient toujours été tendues ! Pourquoi par exemple l’ancienne gare de la Selle-en-Luitré estelle si grande ? Parce qu’en fait c’était à l’origine le terminus de la voie MayenneFougères, via Ernée, exploitée par la compagnie de l’ouest ! Mais le train Vitré-Fougères ne s’y arrêtait pas… »
À l’été 1867, on s’apprêtait à ouvrir la voie. Un voyage inaugural se déroula, le 25 août. Fougères connut trois jours de liesse, mais Michel Reynaud nuance : « Rien n’était fini ! Le train mit un temps fou à arriver à Fougères. Et puis on avait espéré que l’empereur Napoléon III viendrait, on n’eut droit qu’au préfet ! »
F. Bienvenue, Vire-Fougères avant le métro
Finalement la voie fut mise en service le 1er octobre 1867, pour le transport de marchandises uniquement. Avec un premier accident cinq jours plus tard ! « On évoqua la mauvaise qualité de la voie, un sabotage, la défaillance du matériel… finalement l’erreur humaine fut privilégiée ». Les voyageurs, eux, purent acheter leurs premiers billets à partir d’avril 1868.
Dès 1872, on prolongea la ligne au-delà de Fougères, vers le Mont-Saint MIchel via Saint-Brice, Antrain, Pontorson, jusqu’à Moidrey. « La ligne servait au transport de la tangue de la baie du Mont-SaintMichel. C’était d’ailleurs un vieux projet, qu’un Fougerais, Ange Jumelais, avait défendu dès 1850 : il rêvait d’une ligne Granville, Avranches, Fougères, la Gravelle ! Granville était le septième port de commerce de France ! »
À Fougères, un premier tunnel fut percé, à partir de 1870 (celui ouvert au public depuis le début 2017). Et en 1889 on ouvrit la voie Vire-Fougères, via Mortain, Saint-Hilaire, Louvigné. Le tunnel de Fougères fut dédoublé. L’ingénieur de cette voie était un certain Fulgence Bienvenue, qui plus tard imagina le premier réseau du métropolitain parisien (1900). Mais entre temps, la compagnie initiale Vitré-Fougères avait disparu. Déficitaire, elle avait été rachetée par l’État en 1882, qui en avait confié l’exploitation à… la Compagnie de l’ouest.
Hervé PITTONI