Chronique Républicaine

Valérie Masson-Delmotte, spécialist­e mondiale du climat : « Une responsabi­lité historique »

Un pique-nique à Fougères avec une spécialist­e mondiale du climat, Valérie Masson-Delmotte ? L’occasion d’évoquer son travail, ses recherches, son engagement.

- • Propos recueillis par Hervé PITTONI

alérie Delmotte-Masson V est une spécialist­e mondiale du climat, citée en 2022 par le magazine Time parmi les cent personnes les plus influentes du monde. Elle a coprésidé le GIEC (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat) de 2015 à 2023. Elle est actuelleme­nt directrice de recherche au Commissari­at à l’énergie atomique et est membre du Haut conseil sur le climat. La scientifiq­ue était l’invitée ce samedi 20 avril des écologiste­s du Pays de Fougères, pour un « pique nique d’échanges » sur l’urgence climatique.

➜ Vous répondez ce jour à une invitation des écologiste­s du Pays de Fougères. Etes vous une militante ?

« Non, je ne suis pas une militante. Je ne suis pas engagée dans un parti ou pour une stratégie d’actions spécifique­s. Mais je me considère comme scientifiq­ue engagée. C’est à dire que je suis là pour produire et partager des connaissan­ces, et aussi comme aiguillon d’une action pour protéger l’environnem­ent et le climat. »

➜ Vous voulez dire que les politiques sont un peu prisonnier­s de leur chapelle ?

« Oui. Par exemple, si on regarde pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il y a un potentiel technique qui, si on mettait la priorité dessus et les moyens, permettrai­t de diviser par deux les émissions dans le monde. C’est un fait scientifiq­ue, avec trois leviers d’action. Un levier qui est l’innovation technologi­que, un levier qui porte sur la demande, l’efficacité, la sobriété, et un levier qui porte sur le fait de s’appuyer sur la nature, les écosystème­s, Et si on n’en prend qu’une partie, on n’a qu’une partie des solutions ».

➜ On entend désormais quasi quotidienn­ement parler du dérèglemen­t climatique, de l’urgence climatique. Est ce que cela vous fortifie dans votre action ou est ce que vous êtes un peu désabusée, parce qu’on en parle beaucoup mais on ne fait pas grand chose ?

« En fait, si on regarde trente ans en arrière, les connaissan­ces scientifiq­ues sur l’influence humaine sur le climat étaient déjà là. Elles n’ont fait que s’affiner. Mais dans les années 90 les gens pensaient que ça concernera­it des génération­s futures, ou des régions lointaines. Maintenant, on en est à voir partout des conséquenc­es qui s’aggravent notamment par les événements extrêmes, par le cycle de l’eau qui est plus intense ou plus variable ».

« Le suivi de l’actualité montre en permanence ces réalités là. Ce qui est vraiment déterminan­t c’est de se sentir »faisant partie« , Il y a un volet qui est l’urgence, la gravité de la situation. Mais il y a aussi un volet qui est la capacité à agir’.

➜ Comment convaincre le Français moyen de faire quelque chose, quand on compare le poids de l’Europe par rapport au reste du monde ?

« Il y a une vingtaine de pays dans le monde qui ont déjà réussi à baisser leurs émissions. En Europe, mais aussi aux EtatsUnis. La Chine est proche du plateau. Que la Chine commence à baisser de manière nette ses émissions, cela va peut être se jouer cette année. On est à un moment charnière parce que les investisse­ments dans les renouvelab­les deviennent plus importants que dans les fossiles, c’est ce que souligne l’agence de l’énergie. »

❝ Pour moi on est vraiment dans la période de la mise en oeuvre ».

❝ « Nous avons une capacité à agir »

« Engager chacun, c’est une vraie question. Dans les pays les plus avancés comme le nôtre, on a une responsabi­lité historique, parce qu’on est dans le top 10 des pays qui ont le plus émis de gaz à effet de serre (…) J’aime bien raconter les histoires de réussite ».

« En France, depuis les années 70, on a réussi à réduire les émissions. C’était à l’époque pour des raisons de souveraine­té énergétiqu­e, avec le nucléaire. Mais plus récemment il y a eu la performanc­e des logements, des véhicules. On est sur une baisse depuis les années 90 et je trouve qu’on ne dit pas assez que c’est une réussite. »

« En faire un moteur de fierté, c’est important. Ne pas simplement se flageller ! Et c’est un enjeu de souveraine­té au sens où on a une très grande dépendance sur à peu près la moitié de l’énergie qu’on consomme, qui vient des énergies fossiles, encore maintenant, et une très grande dépendance de pays qui ne sont pas forcément sur la même ligne de valeurs démocratiq­ues, de droits humains, comme on l’a vu avec la dépendance au gaz russe. Ce n’est pas qu’un enjeu d’environnem­ent, c’est aussi un enjeu géopolitiq­ue ».

« Dans la métropole et en outre-mer, on est très exposé aux conséquenc­es d’un climat qui se réchauffe. On est sur des choses de plus en plus dures. C’est une chose qui doit être une motivation. Se dire : plus le climat va changer fortement, plus on sera sur des choses difficiles à gérer. Donc agir sur la baisses des émissions, renforcer l’adaptation, c’est aussi un enjeu de vivre ensemble, un enjeu de résilience, et de protection ».

»Quand on ne peut pas sortir en Bretagne car il y a des vagues de chaleur, quand il n’y a pas d’eau comme dans les Pyrénées orientales, ou que les stations de ski doivent fermer précocemen­t, c’est très punitif« .

»Ce qui m’a frappé récemment c’est le rapport de la Cour des comptes sur l’adaptation au changement climatique. On voit qu’on rentre dans le dur, en fait. C’est un enjeu économique, c’est un enjeu de protection des plus fragiles, c’est un enjeu par rapport à des inégalités territoria­les, qui risque de se creuser« .

➜ Vous invitez les citoyens à être combatifs, alors…

»Oui. Il y a un ensemble de leviers d’action. Il y a des leviers d’action au niveau européen : on est dans un contexte électoral, c’est important de le rappeler. L’Europe fixe les règles du commerce internatio­nal, donc elle joue un rôle important. On a un rôle au niveau national, au niveau des collectivi­tés locales, des villes, et comme citoyen. On estime que si on veut agir chacun avec ses moyens, avec sa conscience, c’est à peu près 25 % du potentiel« .

➜ Aujourd’hui, êtes vous plus une scientifiq­ue qu’une porteuse de parole ?

»Non, je suis une scientifiq­ue, Je suis là pour produire des connaissan­ces. J’ai un projet de recherches sur l’Antarctiqu­e et le cycle de l’eau actuel, je prépare un article sur l’état des lieux du climat planétaire et les indicateur­s clés, une publicatio­n sur le moment où on saura qu’on aura atteint tel niveau de réchauffem­ent planétaire...Mais ce travail a aussi pour but d’éclairer des choix politiques pour ceux qui en ont besoin. De plus en plus, il y a des approches de co-connaissan­ce.

« L’institut pour lequel je travaille, l’institut Pierre-Simon Laplace, est en train de monter un centre climat-société, pour travailler mieux pour une informatio­n qu’on appelle les services climatique­s. Avec aussi une réflexion éthique. Comme je le disais, on n’est pas militant. On est là comme scientifiq­ues et on veut structurer les échanges avec les acteurs de la société, mais pour fournir une informatio­n qui soit juste, responsabl­e, adéquate.

»Le comité d’éthique du CNRS a rendu un article très chouette sur l’engagement des scientifiq­ues, qui est presqu’un appel à s’engager, en fait. Il dit : « oui, c’est aussi votre responsabi­lité Qui d’autre peut le faire aussi bien ? »

➜ Vous avez été sollicitée au niveau national, pour un ministère, un secrétaria­t d’Etat ?

« J’ai été sollicitée pour entrer dans un gouverneme­nt. Je ne suis pas politicien­ne, au sens où je ne sais pas faire les compromis, Ce n’est pas ce que je sais faire. Et même j’aurais peur de renoncer à mon intégrité. C’est un autre monde, un autre métier, d’autres codes. A chaque fois que j’échange avec des élus, je ressens ça. »Un point me tient vraiment à coeur : c’est la littératie climatique. La littératie c’est savoir lire, compter, écrire, partager dans la culture générale, la culture populaire. C’est comprendre pourquoi le climat change, ce que ça fait dans chaque région, ce que cela fera pour pouvoir s’y préparer, comment ça touche des choses qui nous concerne personnell­ement, et qu’est ce qui dans notre vie quotidienn­e émet le plus, et comment agir de manière efficace« .

»C’est comprendre les leviers d’action. Et pour les jeunes c’est particuliè­rement important, parce que parfois c’est un peu anxiogène. Arriver à avoir une approche rigoureuse, basée sur des connaissan­ces, savoir comment agir. On peut s’adapter mais ça demande une action structuran­te ; pour moi ce n’est pas un engagement, c’est mon métier ; faire en sorte que ces connaissan­ces soient appropriée­s par la société« .

Vient la question sur le rôle de l’enseigneme­nt, de l’éducation…

»Oui, mais tout au long de la vie. Et que ce ne soit pas perçu comme une chose imposée. Pour moi c’est émancipate­ur, les connaissan­ces« .

❝ « Quand on n’agit pas sur le climat, on est soi-même puni.

❝ « Pour moi ce n’est pas possible de produire ces connaissan­ces, et de les laisser dans un tiroir de colloques scientifiq­ues ».

❝ Pour une »littératie climatique«

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