Petit sanglier de Viendra solitaire*
UNE ESPÈCE PAS SI GRÉGAIRE QUE CELA
Quand et comment le sanglier devient-il solitaire ? Une étude récemment publiée par l’Oncfs y répond. Entretien avec Éric Baubet, chef de projet pour les études sanglier au Cnera.**
Le sanglier mâle devient définitivement solitaire avant l’âge de 21 mois. À ce stade, il est encore juvénile.
Nous y sommes ! Peut-être aurez-vous la chance de croiser un solitaire ces prochains jours lors d’une sortie de chasse estivale. Le saviez-vous ? C’est entre juin et août (voire septembre) que la plupart des sangliers mâles quittent définitivement leur compagnie. L’éloignement de la compagnie se fait-il subitement ou progressivement chez le mâle ? La structure du groupe de naissance a-t-elle une influence dans le processus d’émancipation d’un sanglier ? Voici des questions auxquelles tente de répondre cette étude de l’Oncfs menée durant plusieurs années sur le site « référence » de Chateauvillain (Haute-Marne).
À portée de main
Les ingénieurs de l’Oncfs qui opèrent des marquages de sangliers depuis plusieurs années avaient finalement les informations à portée de main. « Cette étude résulte d’une base de données que nous avions déjà accumulées lors de nombreux marquages, réalisés en majorité sur les marcassins », introduit Éric Baubet. « Nous procédons par l’emploi de cages plus ou moins grandes et appâtées au maïs. Ce système permet non seulement de capturer des marcassins, mais également de les reprendre à nouveau plusieurs mois après », explique le scientifique qui concède que dès leur deuxième année, les animaux ne se font plus beaucoup piéger. Quant aux adultes, c’est très rare. « En marquant des marcassins et en équipant leur mère d’un système permettant leur suivi télémétrique, vous avez de fait accès à toute une somme d’informa- tions. Nous parvenions à repérer par la suite les compagnies baugées durant la journée et à les identifier grâce à leur système de marquage. C’est ainsi que nous avons pu nous lancer dans cette recherche en découvrant des informations qui brisent bien des idées reçues. » Mais cette étude a conduit les chercheurs à réaliser également des tests Adn sur les animaux et à parvenir à une première découverte.
Une famille avant tout
Si la plupart des chasseurs savent désormais que la « compagnie traditionnelle », celle dirigée par une laie meneuse, repose sur une structure de type matriarcale, l’étude en apprend bien davantage en révélant qu’une telle compagnie est une véritable famille puisque la totalité des sangliers qui la composent ont un Adn commun. « En d’autres termes, ce constat va à l’encontre d’une idée qui consiste à prétendre que les laies peuvent adopter des marcassins. Si cela peut se produire au sein d’une compagnie qui perdrait l’une de ses laies suitées, cela ne peut survenir si une laie, suitée ou non, rencontre par hasard des jeunes sangliers esseulés étrangers. » Les seuls sangliers « étrangers à la famille » qui fréquentent une compagnie et qui en sont tolérés, sont soit les mâles solitaires durant le rut, soit sur les points de nourrissage ou éventuellement les zones de remises très fréquentées et restreintes. Mais en déplacement, une compagnie ne se limite strictement qu’aux membres de sa famille. « De même, il est tout à fait probable que plusieurs groupes
de sangliers, expulsés d’un roncier par une ligne de traqueurs, ne soient en fait qu’autant de structures familiales remisées. »
Croyances mises à mal
Mais revenons à la thématique centrale de cette étude. Auparavant, il était commun de penser que le sanglier solitaire, image largement connue et d’ailleurs attribuée au grand sanglier « d’âge mur », était à l’origine un animal chassé par d’autres pour des raisons de rut, que ce soit par leur propre mère ou par un mâle dominant venu dans l’espoir de saillir. Mais jusqu’à présent, la connaissance sur les conditions, et les raisons, qui poussent le sanglier à devenir solitaire étaient obscures et échappaient pour ainsi dire
à la science, qui ne s’était pas encore penchée dessus. « Lors de chaque observation, tous les jeunes mâles nés au cours de la saison précédente, donc âgés de moins de 12 mois, demeuraient au sein des compagnies, malgré la présence d’autres mâles plus âgés et ce même lors des combats, des saillies et durant la phase de gestation des laies », explique Éric Baubet. Ces observations mettent à mal certaines hypothèses souvent énoncées. L’émancipation des jeunes mâles ne commence donc pas au moment où les mâles géniteurs entrent dans les compagnies. « Tous les jeunes mâles étaient présents dans leur compagnie d’origine encore deux mois avant les futures naissances. Le dernier mois avant celles-ci, la présence de jeunes mâles au sein de la compagnie diminuait (56 % des observations). Enfin, le mois suivant les nouvelles mises bas, ils n’étaient présents que dans 30 % des observations. Sur les vingt-trois mâles nés en année N, seize vivaient au printemps N+1 dans des compagnies au sein desquelles des laies avaient reproduit. Pour treize d’entre eux, le déclenchement de la phase d’émancipation a correspondu à la première mise bas dans la compagnie. Par la suite, seulement deux mâles ont encore eu des contacts épisodiques avec leur compagnie, jusqu'à cinq et huit mois après les mises bas », indique l’étude. Si l’Oncfs peut désormais affirmer que ce n’est pas le rut qui incite les mâles à devenir solitaires, serait-ce alors les naissances ? Et si tel est le cas, qu’advient-il si un jeune mâle n’est pas confronté à ce phénomène ? « Nous avons pu suivre un tel scénario et l’émancipation s’est tout de même faite, répond Éric Baubet. Dans deux compagnies, les mâles suivis n’ont pas connu d’événement de mise bas l’année suivant leur naissance, parce que la seule laie adulte de la compagnie a été prélevée. Dans ce cas, le groupe de jeunes survivants (deux mâles et une femelle) s’est rapidement éclaté (deux mâles d’un côté et la femelle de l’autre). Puis les mâles ont montré des phases d’isolement, c’est-à-dire une vie solitaire, avec de brèves phases de réassociation entre eux. Ils sont devenus définitivement solitaires à l’âge de 16 mois. Dans, l’autre cas, c’est la laie adulte qui n’a pas reproduit. Malgré tout, les jeunes ont eu ten-
« Les mâles quittent d’eux-mêmes leur compagnie »
dance à vivre entre eux dès l’âge de 10 à 11 mois, le plus souvent entre mâles, avant un passage à la vie en solitaire à l’âge de 15-17 mois. » La mise bas d’une laie n’est donc pas un processus déterminant pour l’émancipation du sanglier mais correspond plus à sa phase de maturation, qui intervient entre ses 10 et 17e mois, la moyenne se situant vers l’âge de 14 mois pour devenir définitivement solitaires. Une thèse renforcée par l’observation d’un mâle issu d’une naissance décalée, comme en témoigne Éric Baudet : « Nous avons également suivi un mâle né en novembre et donc âgé de six mois lors des mises bas suivantes dans sa compagnie. Malgré tout, il a commencé son émancipation à l’âge de 10 mois, associé à d’autres individus de la même génération (mâles et femelles), pour devenir totalement solitaire à
18 mois. » Si l’émancipation du sanglier est amorcée par les naissances, ces dernières ne sont pas déterminantes. Autre information, le sanglier passe souvent par une phase transitoire en évoluant quelques mois en petits groupes de jeunes. Concrètement, l’adolescent alterne entre une phase de solitude et une phase de vie grégaire.
Bande « d’ados »
Au moment où le lien avec la compagnie diminue, les mâles semblent vivre une sorte de phase « d’adolescence » durant laquelle ils peuvent parfois être solitaires. Mais le plus souvent, ils sont soit dans des groupes d’individus mixtes, soit dans des groupes de mâles, tous issus de la même compagnie. La vie totalement solitaire se fait donc progressivement le plus souvent. » Ain- si, durant plusieurs mois, se forme une « compagnie d’adolescents » ayant en moyenne entre 12 et 18 mois. Elle peut être mixte ou uniquement composée de mâles. L’observation d’un tel groupe permettrait donc d’emblée pour le chasseur d’en déduire non seulement la fourchette d’âge des sujets mais aussi leur lien de parenté (tous issus de la même compagnie). « Sur les seize mâles suivis appartenant aux compagnies avec mises bas, le cas le plus fréquent a été une sortie de la compagnie accompagnée de frères et de soeurs sur une période oscillant de quatre à huit mois, avant un passage définitif à la vie en solitaire. Deux mâles appartenaient chacun à une compagnie n’ayant que des soeurs de même génération. Le premier passa directement à la vie solitaire au moment des naissances. Le second poursuivit une associa- tion avec les jeunes laies de la compagnie pendant deux à trois semaines avant de devenir solitaire. La composition de la compagnie influence donc le déroulement de la phase d’émancipation des mâles. » Ainsi, le sanglier se plongera dans la solitude selon plusieurs cheminements. Il quitte la compagnie pour devenir directement solitaire (observé sur un mâle alors âgé de 12 mois). Il part avec d’autres jeunes mâles de la compagnie avant de devenir solitaire. Il reste d’abord dans un groupe mixte, puis il restreint par la suite cette association aux mâles, puis devient solitaire. Enfin, il devient directement solitaire après une phase mixte. « En résumé, audelà de 18 mois, peu de mâles restent en contact avec un ou plusieurs animaux de la compagnie, corroborant aussi le propos de Marion (1982). Cette phase peut toutefois durer jusqu’à 21 mois, âge auquel tous les mâles que nous avons suivis vivent en solitaires. » Finalement, un sanglier devient solitaire entre 1 et 2 ans ! Moralité : si un grand vieux est forcément solitaire, un solitaire n’est pas forcément grand, ni vieux. reportage Thibaut Macé