Connaissance de la Chasse

Fox and hound

100 % RENARD ET PLUS ENCORE

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Les robes cuivrées des chevaux luisent de leurs plus scintillan­ts reflets, sous un soleil étonnammen­t lumineux pour la saison. Vêtus de redingotes beiges et de pantalons verts, les cavaliers s’affairent autour de leurs fiers destriers. L’heure est aux préparatif­s. D’aucuns sanglent les selles de cuir tannées par les ans ; d’autres ajustent une dernière fois leurs étriers. En cette mi-mars, nous avons rendez-vous sur le territoire de la paisible commune de Brux, aux confins de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Charente. La renaissanc­e de la végétation, conjuguée à des températur­es pour le moins clémentes, sont, à n’en pas douter, les signes précurseur­s d’un printemps qui ne saurait tarder. Pour nombre d’entre nous, la fin février vient de sonner quelques jours plus tôt le terme d’une énième saison. Nettoyées, huilées et cirées, les armes ont regagné le cocon sécuritair­e des armoires fortes, jusqu’au prochain automne. Restent les souvenirs… Toutefois, de leur côté, les veneurs bénéficien­t encore de quelques semaines pour s’adonner à leur art. Aussi avonsnous accepté l’invitation d’Alain Bouhet, maître d’équipage du Rallye des Grands Ormeaux, qui nous a aujourd’hui cordialeme­nt convié à suivre le laisser courre du renard. Dans la voie de Vulpes vulpes depuis trois décennies, cet équipage, qui à ses débuts utilisait des beagle-harriers, puis des harriers, a fait voici quelques années le choix de découpler à l’aide d’une meute de foxhounds. Race britanniqu­e emblématiq­ue s’il en est, son nom à lui seul donne le ton. Quant aux Grands Ormeaux, leur réputation cynégétiqu­e a franchi depuis bien longtemps les frontières de leur Poitou d’origine. Une alchimie qui rime avec déontologi­e, efficacité et succès.

Foxhound, traduisez littéralem­ent « chien de renard ». Spécialist­e britanniqu­e du laisser-courre de maître Goupil, ce chien fit par le passé le bonheur de plus de 250 équipages anglais. Un engouement qui, de ce côté-ci de la Manche, a aussi quelques adeptes, à l’instar du Rallye des Grands Ormeaux.

« Avec respect et loyauté »

Une rencontre des plus prometteus­es nous attend donc, il ne peut en être autrement. Pour l’heure, limiers sous le fouet, Alain rassemble boutons et suiveurs pour l’incontourn­able rapport. Un seul mot d’ordre : respect. Celui de la propriété d’au-

trui bien sûr, mais aussi, et surtout, celui du gibier convoité. Pas question de fouler les terres de qui s’y opposerait, ni d’avoir recours à de trop modernes moyens de communicat­ion. Trompes et piboles uniquement. À cor et à cri, tel le veut la tradition. De la même façon, nous apprenons que l’équipage n’attaque jamais au terrier, ni n’obstrue la nuit précédente les repaires alentours. L’éthique des Grands Ormeaux n’étant de découpler qu’à la billebaude, afin de lancer un renard déjà sur pieds. Et si la vénerie sous terre vient parfois s’associer aux chiens courants d’Alain Bouhet, c’est dans l’unique but de relancer un animal qui viendrait à se terrer lors du laisser-courre. L’homme nous confie d’ailleurs sa vision personnell­e de la chasse à courre : « C’est avant tout une pratique qui doit laisser à l’animal toutes les chances d’user de ses moyens de défense, de ses ruses naturelles. La chasse des chiens courants, tentant de déjouer ces multiples pièges, n’en est alors que plus belle. Qu’importe le nombre de renards pris en fin de saison, c’est avant tout la qualité des menées qui prime. Si le laisser-courre aboutit à la prise de l’animal chassé, tant mieux, sinon tant pis. Mais, n’oubliez jamais que la chasse, quelle qu’elle soit, doit toujours être pratiquée avec respect et loyauté. » Comme pour ponctuer ses dernières paroles, d’un geste

naturel le maître d’équipage ajuste l’épingle à cravate, à l’effigie du goupil. Coutume oblige, « Le départ pour la chasse », vigoureuse­ment emporté par quelques virtuoses de la trompe, vient sonner le début des hostilités. À peine la dernière note est-elle enlevée, que déjà les cavaliers montent en selle, emmenant derrière eux une meute qui, bien qu’impatiente, reste sagement sous le fouet. Le biotope que nous découvrons à la sortie du rendez-vous de chasse est un paysage de plaine alternant parcelles céréalière­s et bois de feuillus. Et c’est naturellem­ent vers l’un de ceux-ci que nous nous dirigeons maintenant. Un choix qui n’est pas le fruit du hasard, puisque quelques jours plus tôt, au crépuscule, un renard en maraude y fut aperçu en lisière. La météo joue par ailleurs en notre faveur. Conséquenc­e des abondantes averses de la nuit précédente, il est fort à parier que notre proie soit à rôder hors de sa tanière.

« Quand ils se récrient, jamais ils ne mentent ! »

Tout juste franchi le premier rideau de châtaignie­rs, les hounds se mettent en quête. Individuel­lement, chacun d’entre eux analyse la moindre émanation, étudie le plus léger effluve. Dix minutes durant, tous plus studieux les uns que les autres, les fidèles auxiliaire­s du Rallye des Grands Ormeaux vont s’activer à la tâche, avant que subitement Voucher ne se récrie. Discret au début, le mâle à la robe tricolore monte peu à peu d’un ton. Bien vite d’autres voix, toutes aussi franches que gorgées, lui font écho. Et c’est bientôt une meute endiablée qui empaume prestement la voie d’un premier renard. Car aucun doute n’est permis : « Nos foxhounds sont parfaiteme­nt créancés », nous confirme l’aguerri veneur. « S’il est relativeme­nt facile d’interdire à tout chien de chasser les cervidés, il en va tout autrement des sangliers. Nombre de meutes poursuiven­t ainsi à la fois renards et suidés. Mais de notre côté, nous mettons un point d’honneur à ne lancer que les premiers. Et soyez sûrs que nous y parvenons. Cette race, sélectionn­ée par nos amis anglais dans le but de chasser exclusivem­ent le renard, n’est certes pas des plus difficiles à créancer, mais croyez bien que ce résultat est aussi le fruit de longues heures d’entraîneme­nt sur le terrain. Au bout

du compte, quel plaisir de pouvoir faire totalement confiance à nos auxiliaire­s. Quand ils se récrient, jamais ils ne mentent ! » Comme pour confirmer ces propos, sur notre gauche, trois longs coups de pibole s’élèvent soudain, annonçant la vue. Taïaut ! Oreilles couchées, le chassé vient de jaillir d’un épineux buisson, et file désormais éperdument à travers un champ de blé. Deux minutes plus tard, c’est un groupe enflammé qui surgit à son tour, remontant sans la moindre hésitation la voie du fugitif. La chasse, rapide, vive, intense, semble se diriger vers une forêt avoisinant­e située à l’opposé de la route communale. Tandis que les chiens atteignent la chaussée, les cris se font tout à coup moins puissants, puis s’espacent pour finalement se taire. Truffe collée à l’asphalte, la gent canine semble brutalemen­t désorienté­e. Le pourchassé a probableme­nt emprunté le goudron, avec l’espoir de mettre en défaut ses assaillant­s. C’est l’une des multiples ruses à mettre à l’actif de ce méfiant canidé, qui n’ignore pas que l’odeur de son passage sur une route fréquentée, et a fortiori bitumée, sera des plus fugaces. Mais c’est sans compter sur la ténacité et la finesse de nez des britanniqu­es qui s’appliquent, sur le bas-côté, à retrouver le sentiment laissé par le fuyard. Appuyés par le jeune piqueux de l’équipage, ils ne tardent pas à remonter la voie près de 200 mètres plus loin. Quelques coups de nez ponctués de sonores récris, avant que ne s’élève à nouveau un carillonna­nt concert. Le défaut est relevé, la chasse relancée, pour notre plus grand plaisir.

Ils n’hésiteront pas à se jeter au bain

Cet intermède a toutefois permis au poursuivi de se forlonger, prenant de la sorte une avance plus que confortabl­e. Aussi, c’est au pied d’une pile de ballots de foin que nous retrouvons, quelques minutes plus tard, des chiens plus déchaînés que jamais. Excellent grimpeur, et aucunement avare d’efforts, ni de subterfuge­s, le rouquin carnivore s’est

« Quelques coups de nez, avant que ne s’élève un carillonna­nt concert »

apparemmen­t glissé dans un interstice, avant de se hisser en haut de l’édifice. Dans un souci purement éthique – tout à l’honneur de l’équipage – décision est prise de ne pas lancer les auxiliaire­s de déterrage à l’assaut du pailler. Les fouets claquent sèchement, ramenant immédiatem­ent le calme parmi la meute. Derrière les cavaliers, le groupe s’en va aux ordres vers d’autres aventures. Un peu plus tard, un second renard sera attaqué. Une nouvelle chasse, plus rapide que la précédente, au cours de laquelle le traqué usera de plusieurs stratagème­s. Une fois, il battra l’eau, mettant le lit d’une rivière entre lui et ses agresseurs. Peine perdue, les courageux foxhounds n’hésiteront pas à se jeter au bain et retrouvero­nt rapidement le sentiment oublié sur la berge opposée. Le malin gibier traversera alors une parcelle fraîchemen­t recouverte de lisier, espérant de fait effacer toute trace de son passage. Les courants tergiverse­ront quelques secondes, certes, mais finiront cependant par démêler la voie, parmi des odeurs tout aussi puissantes que persistant­es. On imagine pourtant sans mal combien le sentiment peut être éphémère dans un tel environnem­ent, mais c’est grâce à leur rapidité que les auxiliaire­s de l’équipage pourront reprendre le pied sans difficulté excessive. Ce renard-là ne devra son salut qu’à la proximité d’une zone habitée. Quasiment sur ses fins, dans un ultime regain de vigueur, il regagnera l’abri d’un tas de bois dans la pénombre d’une grange en ruine. Fidèle à sa philosophi­e, Alain Bouhet mettra un terme immédiat aux abois, laissant la vie sauve à l’honorable rescapé. Puis, en fin de journée, nous assisteron­s à une ultime attaque. Tentant dès le début, mais sans succès, de se glisser dans la voie d’un brocard dérobard, ce dernier vulpes emmènera à sa suite, près d’une heure durant, une troupe survoltée. Chassé avec une étonnante célérité, il n’aura guère le temps de multiplier hourvaris, changes et autres feintes, avalant successive­ment prairies, cultures et boqueteaux. Et c’est à bout de souffle qu’il finira par regagner son repaire, ne distançant les chiens que de quelques dizaines de mètres. Étant donné l’heure tardive, il ne sera pas question de faire appel aux fox terrier. Si, comme nous l’avons déjà évoqué, déterrer un animal préalablem­ent traqué dans le but le relancer est chose envisageab­le, il est hors de question pour les Grands Ormeaux d’user de la vénerie sous terre pour le simple plaisir de servir ce trop respectabl­e gibier. Ce soir, ni « L’Hallali », ni « Les Honneurs », ni « La Curée » ne résonneron­t en hommage au méritant renard, aux vaillants limiers et aux non moins courageux veneurs. Maître Goupil sort aujourd’hui vainqueur de la partie. Qu’importe… « La qualité, avant la quantité ! », comme aime à le répéter Alain Bouhet.

Vélocité et robustesse

De cette journée, grâce aux qualités intrinsèqu­es de ces requérants britanniqu­es que sont les foxhounds, nous garderons le souvenir de superbes menées. Leur calme et leur obéissance sous le fouet cachent paradoxale­ment un tempéramen­t ardent, et endurant sans égal. Naturellem­ent doués et intelligen­ts pour la chasse, ils savent déjouer avec brio les pièges tendus par le rusé canidé et tenir parfaiteme­nt le change. Mais c’est certaineme­nt leur vélocité et leur robustesse qui font de cette race l’une des plus performant­es pour courir le renard. Particuliè­rement rapide, le foxhound ne laisse d’ordinaire guère le temps à son adversaire d’enchaîner les tentatives de défauts, et se veut ainsi redoutable. Sa réputation n’est pas usurpée, soyez-en sûrs, et de fait, aucun autre nom ne pouvait mieux coller à la peau de ce so british spécialist­e. reportage Christophe Aubin

 ??  ?? Puissant et endurant, le foxhound anglais est doté d’un don naturel pour la chasse.
Puissant et endurant, le foxhound anglais est doté d’un don naturel pour la chasse.

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