Maurice, le pigeon rescapé
LA VOLONTÉ DE DURRELL
Beaucoup moins médiatique que le dodo ( Raphus cucullatus), éradiqué de l’île Maurice en 1681, soit 83 ans seulement après sa découverte par le portugais Alfonso de Albuquerque, le discret pigeon rose, autrement appelé le « pigeon des mares » ( Nesoenas mayeri), est un colombidé de même origine qui, lui aussi, plus récemment, a bien failli disparaître à tout jamais. Cet élégant oiseau doit dans un premier
Joli colombidé autrefois très présent sur l’ensemble de l’île Maurice, l’endémique pigeon rose, ou pigeon des mares, a bien failli disparaître. Alors qu’on ne comptait plus que 10 individus à l’état sauvage en 1981, ils sont aujourd’hui environ 400, sauvés de l’extinction.
temps son salut à Gérald Malcolm Durrell (1925-1995), le célèbre naturaliste, écrivain, présentateur de télévision et fondateur du Durrell wildlife conservation trust. C’est en effet grâce à sa volonté et à son organisation environnementale qu’au cours des années 1960 a été lancée sur l’île Maurice la sauvegarde de l’endémique pigeon, promis sinon à un anéantissement total et rapide. Cette initiative a, beaucoup plus tard, été relayée et secondée par d’autres structures tels la Mauritius wildlife foundation (Mwf) et le gouvernement mauricien (National parks and conservation services). La réduction de l’habitat (cyclones, déforestation et importation de variétés végétales non indigènes, le goyavier de Chine notamment a pris le pas sur la végétation locale dont le pigeon des mares se nourrit), la prédation due aux macaques, aux rats noirs, aux chats sauvages et à l’homme sont les principales causes de ce déclin.
Sachez au passage qu’il ne perdure aujourd’hui que 5 % de forêt d’origine sur le territoire mauricien. Connu aussi à une époque lointaine et révolue sur l’île voisine de la Réunion, autre terre de l’archipel des Mascareignes, le pigeon rose ne comptait plus dans ses rangs à l’état sauvage à Maurice en 1976 que 23 individus, 15 en 1979, puis 10 en 1981. Quelques spécimens nés et élevés en espace clos ont permis, au fil des ans, de renforcer les maigres effectifs survivants. Ces lâchers ont eu lieu dans le jardin botanique de Pamplemousses en 1984, dans la forêt de Brisefer en 1991 mais aussi au bois de Pigeon, à Combo, au domaine de Bel Ombre, à Plaine-Paul, à Pétrin ou encore sur l’île aux Aigrettes (îlot corallien de 25 ha situé en face de Mahébourg dans le sudest de Maurice). Aujourd’hui, les recensements font état d’environ 400 pigeons roses répartis à travers
La sauvegarde du pigeon rose est aujourd’hui l’une des priorités
du gouvernement mauricien.
les différents sites évoqués, tous situés dans le tiers sud du pays. Objet de programmes scientifiques très pointus, chaque colonie est suivie et encadrée en permanence par des spécialistes et des éco-volontaires. Ceux-ci ont en charge l’observation en milieu naturel, l’apport de compléments alimentaires, le contrôle des prédateurs et des espèces invasives, la gestion de l’habitat ou encore la sécurité des nids et l’apport de soins si nécessaire. Ces différents travaux ont permis de voir croître, lentement mais sûrement, les populations de pigeons roses affranchis. Sans être complètement sorti d’affaire, le volatile a d’ailleurs récemment été changé de classement par l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn) en passant du statut « d’espèce en danger critique d’extinction » à celui moins alarmiste « d’espèce en danger ». Les pigeons des mares que nous avons pu observer et photographier en mai 2014 sur les hauteurs boisées du domaine de Bel Ombre nous sont apparus peu farouches, voire confiants, à l’égard de l’homme. Ce trait de caractère fait partie des raisons de sa quasidisparition. Vaquant isolément, en couples ou en petits groupes, ils passaient calmement de branches en branches en grappillant au passage feuilles, bourgeons, graines, fleurs et fruits d’arbres divers. Les massifs forestiers d’altitude forment le biotope favori de ces oiseaux. Il faut savoir par ailleurs que la population actuelle compte bien davantage de mâles que de femelles. Les premiers jouiraient d’une espérance de vie supérieure de cinq ans aux secondes. Les plus vieux individus connus atteindraient l’âge plus que respectable de 17 à 18 ans. Il existe une réelle volonté de la part du gouvernement mauricien de voir le pigeon rose recoloniser une très large partie de l’île. Il s’en donne d’ailleurs, avec ses partenaires internationaux, les moyens techniques et financiers. Ces mêmes hautes instances gardent en mémoire les erreurs commises par le passé avec le dodo. Dans ces conditions, tout nous accorde à penser que le magnifique pigeon rose est en passe de renaître de ses cendres.