Affûtez le corvidé
TOUT L’ART DU LEURRE
La chasse de régulation des corvidés à la belle saison se développe en France. Nous avons recueilli les confidences d’un passionné de cette pratique émergente. En Loir-et- Cher, Daniel Trecul affiche un planning chargé.
En ce mois de mars, les corvidés ont envahi Fréteval. Par centaines, les choucas ont pris d’assaut le donjon usé par les siècles qui domine cette commune du Loir-et-Cher. Le long de la rivière qui traverse la bourgade, ce sont les freux qui ont colonisé la vaste peupleraie. Chaque année, ils se regroupent pour y renouveler leur nid coincé dans les plus hautes fourches des arbres. Les habitants sont sous pression. Les criards exaspèrent par leurs bruits incessants. « Le propriétaire du bois envisageait un temps de le raser pour cette unique raison », nous confie une habitante. Aujourd’hui, le mal est pis. Les croassements lugubres sont por- tés par les vents dont les plus puissantes rafales sont annoncées à 110 km/h. « C’est pas bon, ça ! », souffle Daniel Trecul, soucieux et perfectionniste. « D’habitude, je ne sors pas sous un tel temps. J’évite les pluies et le vent. Les oiseaux sont perturbés et imprévisibles. Est-ce par peur de voir tomber leurs oeufs ou défaire leur nid qu’ils rechignent à le quitter ? », poursuit l’homme qui nous pointe la vaste corbeautière accrochée aux peupliers tordus par les vents. « Regardez, les oiseaux sont encore là autour. Il y en a peutêtre 200. À raison de 3 à 4 petits, ça fait du monde à venir. Il y a un phénomène de déplacement, pour ne pas dire de migration partielle, pour-
suit notre expert. Fin février, les oiseaux reviennent en masse. Ils se regroupent pour y construire leur nid. Les naissances se manifestent autour de la première quinzaine de mai. Ils y resteront jusqu’à la mi-juin au premier envol des corbillats. » Tout ceci est cependant très variable d’une année sur l’autre en fonction des paramètres météorologiques. « À cette heure, ils devraient être au gagnage. Mais nous verrons bien làhaut, sur le plateau recouvert de terres agricoles. La destruction de corbeaux ne fait pas que des mécontents, loin de là ! », poursuit celui qui s’est tissé un réseau digne d’une toile d’araignée. « Plusieurs cultivateurs me contactent dès les labours, l’épandage et les semis. Ces derniers redoutent surtout les freux.
Il y a également les choucas, mais ceux-là sont intouchables (lire encadré p. 72). Il y a aussi les responsables de territoires de chasse qui apprécient que l’on régule la corneille, un prédateur insoupçonné qui se porte pourtant très bien. Et enfin, il y a les habitants dont ceux qui vivent auprès des nids finissent par devenir fous face aux croassements incessants qui perdurent près de cinq mois. »
La genèse Oscar
Daniel Trecul s’est taillé une solide réputation qui s’étend sur une large partie du département. C’est l’homme que l’on appelle quand on n’en peut plus. Celui qui sait comment s’y prendre avec les corvidés. « J’en ai fait ma passion. La chasse, la destruction, le tir, appelez cela comme vous voudrez. Personnellement, je procède avec les corvidés comme avec les pigeons ramiers. Je dispose des formes, des appelants, toutes sortes de leurres pour inciter les oiseaux à venir se poser là où je l’ai décidé. C’est mon plaisir, ma passion. Administrativement, on appelle cela de la destruction, mais convenons que cela peut tout autant être de la chasse », explique celui qui est tombé dans la marmite à corvidés il y a un peu plus de dix ans. « J’étais en train de jouer à la pétanque lorsqu’un oiseau noir me rase la tête pour tomber maladroitement là où j’allais pointer. C’était une jeune corneille qui avait raté son premier envol. Je l’ai appelé Oscar. On a vécu deux ans ensemble. Elle détestait les uniformes. Il fallait qu’elle tire les lacets de chaussure », poursuit celui qui connaît bien l’oiseau. « C’est un animal complexe, intelligent et qui couve encore bien des mystères. Et il faut bien dissocier le freux de la corneille. Le premier vit en colonie, le second davantage en couple. Mais de manière générale, les corvidés ont un oeil sûr et les innombrables vocalisations qu’ils sont capables d’émettre ont forcément une utilité. Je suis persuadé que l’on a tout à apprendre sur leur mode de communication », explique Daniel, qui décharge un impressionnant matériel en bordure d’un maïs. « C’est une chasse qui demande beaucoup d’observations préalables. Il faut régulièrement observer le manège des oiseaux. Repérer leur couloir de vol entre le gagnage et le nid. Où et quand ils se posent en fonction des conditions météorologiques.
Et puis, dès que vous entrevoyez un site courtisé, il faut être réactif. Venir au lever du jour, l’idéal étant d’être prêt en place avant que les oiseaux ne viennent. Mais c’est surtout lié au fait que les oiseaux sont beaucoup plus actifs le matin en début de matinée, donc autant être là de bonne heure pour en profiter. Cependant, il est tout à fait possible de faire venir des oiseaux quelques minutes après avoir installé votre dispositif en plein jour. »
Le moindre détail
Pour ce mode de chasse, c’est la pertinence du moment et du lieu qui sont les plus délicats à négocier. Si vous êtes au bon endroit au bon moment, vous verrez des oiseaux. Si les arti- fices que vous mettez en place ont leur importance, ils dépendent avant tout de la pertinence du lieu et de l’endroit. Nous en venons donc à la deuxième phase de cette chasse qui consiste à mettre en place le dispositif attractif agrémenté de leurres. Désormais, la chose est bien connue grâce au travail de certaines fédérations qui organisent des sessions de formation spécifiques à ce mode de chasse. Aujourd’hui, le chasseur de corbeaux dispose de toute une pa- lette d’accessoires pour augmenter le pouvoir attractif de son dispositif. « Des plus simples au plus élaborées, il existe toutes sortes de formes fixes ou animées, en plastique premier prix ou floquées. Enfin, vous avez ce que tout bon chasseur de corbeaux possède, des appelants vivants. Personnellement, j’utilise des freux. Ils sont bien moins agressifs que les corneilles, qui ont la fâcheuse manie de vous pincer durement aux mains. Je leur parle beaucoup et je les caresse lorsque je les manipule. Cela facilite nos rapports. Pour le dispositif d’attache, j’emploie un fil de nylon (à brochet) rattaché à une bague de sauvaginier. Mais n’oubliez pas que ce mode de chasse repose sur la réactivité dont font preuve ces oiseaux à la mise en place de vos leurres. La territorialité, l’instinct grégaire ou même la curiosité sont autant de traits de caractère de ces espèces qu’il faut savoir exploiter. Quand vous chassez ces oiseaux, il faut avoir à l’esprit que la moindre chose qui les incite à venir pourra tout autant éveiller leurs soupçons et les faire fuir. Pour cette raison, je brosse mes appelants pour leur ôter toute terre. Je peins leurs yeux d’un noir brillant. Et je m’impose ce même perfectionnisme à l’affût. »
« C’est la pertinence du moment et du lieu qui sont les plus délicats à négocier. »