Insolites Chevreuils
L'APPROCHE DU BROCARD AY CHIEN D'ARRÊT
Nous avons posé nos valises au nord-est du Béarn. Non loin d’Orthez, c’est l’approche du brocard qui figure au programme. L’originalité du moment réside dans les profils associés. D’un côté un voyagiste cynégétique tchèque et, de l’autre, un jeune armurier chti. Tous deux sont également guides de chasse expérimentés. Mais pour l’heure, c’est le Nordiste Paul Riglaire qui ouvrira la marche, canne de tir en main, et Martin Jambor le Tchèque, carabine à l’épaule, qui se fera guider. Destins croisés autour du brocard béarnais. Lorsque les traditions de l’Est s’exportent un instant dans le Sud-Ouest.
L’herbe est plus verte
« J’ai entendu dire que dans ce coin de France, la chasse des brocards porteurs de beaux trophées était bien moins onéreuse que chez nous. Voici la raison de ma présence », explique le Tchèque qui pour une fois, s’est « déguisé » en client chasseur le temps de quelques jours. Paul Riglaire, salarié de l’agence Sud-Chasse (lire encadré ci-contre), maîtrise désormais son vaste secteur. « Cette région béarnaise présente un paysage taillé pour le chevreuil, poursuit notre interlocuteur et guide. Blé, maïs et tournesol constituent les cultures principales, souvent accrochées à un relief très vallonné. Les prairies représentent une part non négligeable de l’assolement local. Cette mosaïque formée d’un parcellaire de taille réduite est reliée de haies plus ou moins larges et de boqueteaux. Cette région est d’évi-
dence un biotope très propice à une belle densité de chevreuils. Le Béarn a ma préférence par rapport au Gers, plus médiatique. C’est une région plus humide, plus verte, contrairement à d’autres lieux qui, une fois desséchés par l’été caniculaire, deviennent difficiles à chasser. Ici, en Béarn, l’herbe est plus verte. » Et si notre séjour est pour nous une occasion de vous exposer les atouts formidables de ce coin du Sud-Ouest, la présence d’un troisième protagoniste en constitue une seconde. Notre Tchèque n’est pas venu seul. « Je chasse toujours avec ma chienne. Terra a déjà 11 ans et il est temps d’assurer la relève », précise Martin Jambor qui envisage également quelques sorties avec son chiot Happy, âgé de 3 mois. Que ce soit en battue comme en chasse individuelle, l’emploi d’un chien est très répandu dans son pays de naissance, très exigeant sur le dressage canin. « En juin, toutes les prairies n’ont pas forcément été fauchées. Elles laissent alors émerger une végétation qui étouffe facilement la silhouette d’un brocard sur pied. » Et si l’observation de ces animaux à cette période n’est pas la plus aisée, que dire de la recherche d’un animal blessé sous une faible luminosité. « Avoir un chien avec soi vous permet donc de grappiller quelques minutes de chasse souvent précieuses pour l’observation des chevreuils et vous assure de le retrouver une fois tiré. » Morceaux choisis.
Coiffer à la dernière minute
« Je ne chasse pas jusqu’à la nuit », précise Paul Riglaire qui s’explique : « Si le repérage et même l’identification d’un brocard peut, selon la qualité de votre optique et du site où il se tient, se faire à toute heure, le jugement du trophée, lui, réclame un minimum de luminosité. » En l’occurrence, celui que le guide vient de juger lui semble convenir aux souhaits de
chien d’arrêt qui a la capacité de coiffer le brocard et de l’immobiliser. Mais au départ, à l’écoute de ses premiers aboiements, je voulais m’assurer qu’elle n’était pas blessée par le porteur de bois. C’est déjà arrivé. En voulant immobiliser un brocard blessé, elle a subi des coups d’andouillers. Je l’ai retrouvée avec 9 perforations de 2 à 3 cm de profondeur », précise le maître. Deux minutes plus tard, sans susciter une quelconque réaction de la part de son maître, la chienne accourt à grandes enjambées dans notre direction. « Demain, je lui mets le collier. Il ne faudrait pas qu’elle reparte sur un animal sans mon ordre », avertit celui qui juge cet accessoire comme un véritable progrès dans l’aide au dressage des chiens de chasse. Questionnez Martin sur les prodigieuses facultés de son chien, il vous répondra laconiquement comme une évidence. « En Tchéquie, un chien dit de chasse doit être capable de satisfaire à 17 disciplines pour obtenir les brevets. On commence dès le plus jeune âge avec l’obéissance. On y va doucement, le chien est encore fragile. On l’habitue aux coups de carabines. À 3 ou 4 mois, on commence à travailler le rapport. Puis à 4 ou 5 mois, on attaque le dressage plus technique des-
tiné à la chasse. Puis vient la recherche de gibier blessé avec des pistes de sang artificielles. Durant cette phase de 5 à 10 mois, l’essentiel du dressage sera réalisé. À 1 an, votre chien doit être pleinement opérationnel. Pour mon chiot, la tâche sera plus facile puisque c’est Terra qui fera une partie de son dressage, par mimétisme. »
Au nez sous pluie battante
Après une courte nuit, vient l’aube. Sous la pluie lourde, le guide s’immobilise dans un sous-bois en bordure d’une coupe à blanc. La lumière timide est assombrie par la noirceur du ciel. Derrière une petite haie de troncs dessouchés et empilés, la masse rousse, tête engloutie dans les hautes herbes, se dandine au petit matin dans une friche. À 90 mètres précisément d’elle, le chasseur, l’arme parfaitement calée sur sa canne de pirsch, lance son projec- tile. Le brocard s’effondre à la détonation et le chien jusque-là impassible, assis aux pieds de son maître, s’élance au signal inaudible. Elle file d’abord dans une direction en oblique puis bifurque instantanément vers le corps inerte de l’animal, s’immobilise devant lui et aboie. « Vous avez vu la trajectoire du chien. Elle est allée directement sur le brocard qu’elle n’a pourtant pas pu voir puisqu’il y avait cette haie. Elle s’est guidée à l’odeur. Il aurait fait nuit, cela n’aurait rien changé », explique Martin Jambor qui sait que si l’obéissance est une base de dressage, elle ne vaut que sur un chien qui a le sens de la chasse. « Le chien doit être déterminé dans l’action mais obéissant. » Et après les compliments, viennent les réprimandes. Arrivant sur les lieux de l’anschuss, la chienne a cessé d’aboyer pour indiquer sa position. Elle envisage désormais de goûter à un morceau de
venaison. « Terra chasse également en battue le grand gibier. Côtoyer ces chiens souvent très mordants n’est pas forcément bon pour appréhender la venaison ». C’est coincés entre des balles de paille fraîchement compactées que nous entamons la sortie suivante. Cette chasse du soir débute par un affût improvisé. La chienne allongée au sol finit par s’assoupir. Régulièrement, elle se redresse pour mordiller frénétiquement sa patte, sans doute chatouillée par un insecte intrusif. L’ennui gagne l’animal qui finit, centimètre après centimètre, par imiter son maître, trop occupé à scruter l’horizon de ses optiques. Terra s’est déportée de deux mètres et échappe désormais à notre vue. Constatant son absence, Martin contourne le ballot puis nous fait signe. Cinq mètres devant nous, la chienne s’est avancée dans la prairie en position couchée. Tête dressée et tremblante, son corps tétanisé est tourné vers un renard qui mulote à bonne distance. D’un signe de la main, elle repart se blottir sous le foin. « La sagesse et les commandes à distances sont fondamentales pour pratiquer ce type de chasse avec un chien. Avant d’inspecter une clairière, je demande à mon chien de se coucher. Je l’appelle de la main à distance et il accourt. C’est plus sûr. »
Sensible aux aboiements
Le lendemain, sur une prairie accrochée à la pente, nous improvisons un second affût dans l’espoir de voir surgir un animal des mul- tiples ouvertures qui s’offrent à nous sur le versant opposé. Depuis notre poste d’observation stratégique, nous entendons les aboiements de brocards fuser régulièrement, faisant se dresser les oreilles du tout jeune chien âgé de 3 mois qui nous accompagne désormais. L’oeil joyeux, Martin observe sa prochaine génération. « Elle a déjà la détermination, le sens de la chasse. Les chevreuils aboient et elle les écoute avec la plus grande concentration. C’est bon signe. Avec Happy, mon deuxième chien, j’ai gagné en expérience. Je sais que je ne commettrai pas l’erreur de le rappeler en sifflant à distance. Un mauvais réflexe que je faisais avec Terra quand nous étions au petit gibier. Il faut toujours reve- nir à distance de votre chien (60 m) et le commander de la main si l’on souhaite évoluer discrètement. »
Insensible à la pression
Au dernier soir, nous parcourons une prairie soigneusement tondue par deux imposants chevaux de trait juste avant le tir d’un dernier brocard. À peine avons-nous franchi les barbelés que les deux occupants du carré accourent nerveusement. D’un pas de sénateur, Martin, sa chienne systématiquement à la hauteur de son genou gauche, suit son guide. Malgré les masses équines qui nous collent à moins de deux mètres, la chienne ne détournera à aucun moment son regard. « Avec Terra, le plus dur fut l’obéissance. C’est un chien très déterminé. Il a fallu savoir la freiner au départ. Mais pour d’autres ce sera l’inverse. Il faudra les pousser à développer certaines aptitudes », résume le Tchèque. « C’est ce qu’il me faudrait, reprend Paul Riglaire. Guider avec un tel chien serait l’idéal. La récupération des brocards blessés, certes peu nombreux lors des chasses silencieuses, serait aisée. Mais il reste à convaincre les mentalités locales. Plusieurs responsables de territoires voient d’un très mauvais oeil l’intrusion d’un chien dans les campagnes l’été. » Ne désespérons pas. Il y a moins de 20 ans, la chasse individuelle du brocard était, en ces terres, totalement inconcevable. Pourtant, cette tradition qui nous vient directement de l’Est a su s’enraciner profondément à l’Ouest.