Formidable épagneul breton
Un éleveur, Patrick Morin. Un affixe, de Keranlouan. Une commune, Callac. Trois noms indissociables, et synonymes d’une renommée internationale qui ne date pas d’hier, pour qui s’intéresse quelque peu à ce continental, au caractère bien trempé, qu’est l’é
Je fais un métier exaltant », nous confie, non sans fierté, l’éleveurdresseur Patrick Morin qui nous accueille aujourd’hui au coeur de son bocage costarmoricain. Il suffit de regarder d’un peu plus près le nombre de titres de travail, mais aussi de beauté, remportés par l’élevage de Keranlouan pour comprendre que cette réussite ne peut être que le fruit d’un homme passionné. Une flamme héréditaire, acquise voici plus de 40 ans, au contact de son père, Guy, lui-même dresseur de renom et acteur incontestable de l’évolution de la race. « Mon père, qui avait une vivacité d’esprit assez extraordinaire, arrivait toujours à remarquer les points susceptibles d’être améliorés chez un chien », nous déclare Patrick. « Bien que l’épagneul soit intelligent, dynamique, courageux et doté d’évidentes qualités de retriever, il avait noté qu’il lui manquait toutefois d’un peu de puissance de nez par rapport à son cousin le setter anglais. Par ailleurs, de caractère orgueilleux et jaloux, l’épagneul d’antan ne supportait pas qu’on puisse lui voler l’aboutissement de son travail. Il était donc impossible d’imaginer, à cette époque, un sujet capable de respecter le patron. Avec l’aval de Gaston Pouchain, à la fois président du club et de la Société centrale canine, mon père décida donc de faire un peu de retrempe avec du sang de setter. Opération qu’il sut réaliser avec doigté. L’un des tout premiers chiens issus de ces croisements fut Tintin de Keranlouan, sacré champion d’Europe en 1976. Outre ce titre international de travail, ce sujet exceptionnel remporta aussi celui de champion de France de beauté. Doté de toutes les qualités inhérentes à la race, plus quelques-unes apportées par le sang anglais, il fut ainsi le premier épagneul breton,
un prototype en quelque sorte, à posséder dans ses gènes le patron naturel. » Force est de constater que, quatre décennies plus tard, Tintin reste toujours un point de repère incontournable pour la plupart des éleveurs et dresseurs du monde entier s’intéressant à l’épagneul breton. Respectueux de son aïeul, qui fut aussi son professeur, Patrick avoue toutefois avoir eu très tôt une vision bien différente du dressage. « Plutôt arbitraire dans sa façon de travailler, mon père réussissait parfaitement avec des chiens au caractère trempé et rapides. Mais il ne s’intéressait nullement aux sujets plus timides qu’il qualifiait de tocards. Âgé de 12 ans et déjà passionné par la gent canine, je passais évidemment tout mon temps libre à m’occuper des chiens de l’élevage paternel. Rapidement, je me suis rendu compte que ces soi-disant tocards étaient en fait sensibles, intelligents, communicatifs et doués d’un sens de l’observation exceptionnel. Plus je les sortais, plus ils cherchaient à me faire plaisir, et j’obtins alors des résultats incroyables. Depuis, j’ai mis ma vie au service des tocards. »
En mode connecté
Plutôt que de parler de dressage au sens littéral du terme, Patrick Morin préfère se positionner lui-même comme éducateur. Son objectif ? Donner à ses plus jeunes élèves l’envie d’obéir, en réveillant chez eux la première de leur qualité naturelle, à savoir l’instinct de course à la poursuite. Dès la cinquième semaine, il n’hésite pas à séparer les chiots de leur génitrice, les faisant d’abord téter deux, puis une seule fois par jour. L’homme devient ainsi rapidement une seconde maman. La connexion entre l’humain et le chien, élément primordial selon l’éleveur, commence peu à peu à s’établir. À 7 semaines, Patrick sort la portée entière sur le terrain. Déjà imprégnés, ses bébés – comme il les aime à les appeler – sont irrésistiblement attirés, aimantés par leur maître. D’abord sur un chemin, il les entraîne derrière lui chaque un jour un peu plus loin, un peu plus vite, avant de compliquer la tâche en utilisant les pièges naturels du terrain : arbre couché à contourner, ruisseau à franchir, talus à sauter, etc., pour finir à l’intérieur du bois. « La découverte de la nature et de ses obstacles oblige le chiot à rester en éveil permanent pour garder le contact avec son maître », explique l’expérimenté dresseur. « Il peut ainsi révéler ses qualités naturelles transmises par les parents. Chacun de ses progrès est considéré comme une performance, dont il est fier, et rapidement il devient avide et demandeur de la reconnaissance de l’homme. Cette connexion représente à mon sens plus de 60 % de l’obéissance, le reste étant lié au dressage proprement dit. » Selon Patrick Morin, le chien doit impérativement porter un intérêt sur ce qu’on veut lui faire faire. Être trop ferme dépersonnalise de façon inéluctable le sujet en lui enlevant tout esprit d’initiative, et en lui faisant perdre toute curiosité. A contrario, en lui laissant trop de liberté, le dressage accompli risque de s’effacer au fil du temps. Il est donc nécessaire de faire un affûtage régulier pour ne rien perdre de la connexion préalablement établie. Il faut en fait condi-
tionner le chien à vouloir obéir et non le forcer à le faire. « Un bon dressage, est un savant dosage entre la motivation et l’obéissance, et cela nécessite de temps à autre un rééquilibrage. C’est parfois compliqué car il faut savoir rester objectif, et apprécier les réactions qui peuvent être différentes selon le gibier ou le biotope. En tout état de cause, c’est à vous d’aller dans le sens des réactions naturelles du chien, et d’essayer de le comprendre, au lieu de le rebuter en lui imposant des commandements parfois injustifiés à ses yeux. » Aussi, plutôt que de parler de rappel, ordre impératif de retour, préfère-t-il évoquer le terme de commandement de frein qui, selon ses propos, sert à attirer l’attention du sujet. « Un chien qui a un son de radio permanent derrière lui sait parfaitement où est son conducteur », poursuit-il. « Il n’éprouve donc aucune inquiétude, et n’a cure des appels incessants de son maître. Plutôt que de vouloir lui faire rebrousser chemin à tout prix, il est plus utile de le conditionner à revenir. Il existe trois zones de vigilance, la verte où le chien est calme, l’orange où il est énervé par des sources extérieures, et enfin la rouge lorsqu’il est surexcité comme par exemple en présence de gibier. C’est en zone verte qu’il faut utiliser de façon posée le commandement de frein. Crier sur son chien quand il est d’ores et déjà en action est absolument inutile, pire, c’est souvent lui donner un ordre à contresens. Malheureusement, nombre de propriétaires réagissent ainsi, générant à coup sûr un conflit chien-maître. N’oubliez jamais que l’animal le plus dénaturé de la terre n’est autre que l’homme… »
Une table de multiplication singulière
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Patrick Morin ne travaille que très peu la notion d’arrêt. L’arrêt est pour lui un réflexe conditionné du chien à vouloir se saisir d’un gibier sans pouvoir y arriver, et doit le rester. Certes, il utilise du gibier entravé qu’il met en présence des jeunes sujets, mais uniquement dans le but de déclencher cet instinct héréditaire, et non de forcer ses élèves à arrêter. Une fois le côté mordant manifesté, il fait appel à un moniteur – comprenez un spécimen adulte à l’arrêt sûr – derrière lequel il laisse cou-
rir les chiots. À son contact, ces derniers ralentissent, ne serait-ce que par respect de leur aîné, et révèlent ainsi leur aptitude naturelle à patronner. Plus tard, le professionnel choisit un biotope adéquat permettant à ses apprentis de s’exprimer sur gibier volant. Mais jamais il n’a recours à la boîte d’envol. « Cet accessoire dénature à mon avis complètement l’arrêt. Le sujet mis en présence se retrouve en effet conditionné à arrêter sur émanation directe. Il perd ainsi les réactions naturelles de prudence d’un chien qui ralentit sur un oiseau qui piète. Mis ensuite devant un gibier sauvage, inévitablement piétard, il s’énerve, voire n’en tient pas cas. En action de chasse, l’erreur à ne pas commettre est de penser que son compagnon ne tiendra pas l’arrêt. Dans une telle situation, nombreux sont les chasseurs qui foncent pour servir leur auxiliaire. L’émanation de l’homme se répand, les vibrations du sol sont perçues par les coussinets, ce qui incite fatalement le chien à bourrer. La mauvaise habitude prise, celui-ci arrêtera forcément de moins en moins. Mon conseil ? Rester cool, et laisser l’équilibre naturel se faire. » Bien que le rapport soit l’aboutissement du travail du chien, et qu’il représente un atout majeur pour le chasseur, Patrick Morin ne dresse jamais ses disciples au rapport forcé. Car outre ses qualités d’arrêteur, l’épagneul breton se positionne naturellement comme un excellent retriever. Le dresseur, fidèle à ses opinions, préfère là encore laisser les aptitudes innées s’exprimer librement. Tout juste excite-il le mordant de ses chiots à l’aide d’un vieux chiffon en guise d’apportable. Lorsqu’on aborde la qualité de son chenil avec l’éleveur de bretons, il répond non sans humour : « Mes chiens ne sont pas meilleurs que les autres, mais pas moins bons que les meilleurs ! » Avant d’ajouter : « Parler de la valeur d’un chien n’est pas simplement évoquer ce qu’il représente officiellement d’un point de vue origines. L’important est ce qu’il est, et ce qu’il transmet. » Bien évidemment, Patrick Morin choisit pour autant ses lices et ses étalons par rapport au standard. Ceux-ci doivent être
bien structurés, posséder de bonnes articulations, et être dotés d’aptitudes de très haut niveau. Mais il ne s’arrête pas à ces seuls critères. Partant du principe que les qualités naturelles de base (intelligence, nez, instinct d’arrêt et de rapport, coeur à l’ouvrage…) s’additionnent, tandis que les caractères dominants (timidité, susceptibilité, vice, nervosité…) se multiplient en une seule génération, il est très prudent quant à la sélection des géniteurs, dès lors qu’il décide d’apporter du sang neuf à son élevage. « Sur un chien primé de 3 ou 4 ans, on ne voit plus les brèches psychologiques, car les points dominants de son caractère ont bien souvent été déjà effacés », explique-t-il. « Je préfère de loin choisir un étalon de n’importe quelle origine, mais à l’état vierge, c’est-à-dire âgé de 10 mois maximum. Si au même âge, il est capable de faire ce que fait un de Keranlouan, je sais que je n’ai guère de chances de me tromper. »
Une histoire de pulsations
Vous l’aurez compris, Patrick Morin est un éleveur-dresseur pour le moins atypique, dans ce monde tout aussi particulier qu’est celui du chien d’arrêt. Le voir entraîner une grappe de 20 chiots dans son sillage, ou encore faire arrêter un sujet tout juste âgé de 10 semaines sur une caille dissimulée sous-bois, n’a pu que nous séduire. De la même façon, nous avons apprécié le côté à la fois entreprenant et prudent de spécimens adultes patronnant à merveille. Les raisons d’un tel succès ? Beaucoup de travail, certes, même si pour Patrick « le temps ne se compte pas en heures, mais par les battements du coeur ». Mais aussi, une façon très comportementaliste d’aborder les bases du dressage. Enfin, si l’envie vous venait d’acquérir votre futur auxiliaire auprès de cet éleveur breton, sachez qu’il refusera probablement de vous céder un tout jeune chiot. Il préférera, c’est certain, vous vendre un épagneul breton, âgé de 5 à 6 mois, déjà éduqué et initié à la chasse. Vous ne pourrez qu’y être gagnant, à condition que, vous aussi, sachiez faire discernement entre obéissance et motivation, sans jamais oublier qu’à tout moment un chien, même bien équilibré, peut déconnecter de par la seule maladresse de l’homme.