Connaissance de la Chasse

Perdrix: les lâchers de l'espoir

Recréer des population­s de perdrix grises « viables », c’est l’objectif que se sont fixés des départemen­ts du nord de la France. Explicatio­ns.

- texte et photos Thibaut Macé

Que fait- on en plaine, quand la gestion ne porte plus ses fruits ? C’est la douloureus­e question que soulève notamment la perdrix grise aux chasseurs soucieux – et parfois désespérés – de voir s’épanouir l’espèce dans les plaines actuelles. Depuis les années 1980, les chasseurs du nord de la France sont sensibilis­és à de multiples mesures de gestion qui ont permis la conservati­on des population­s de perdrix grises sauvages malgré les mutations des pratiques culturales défavorabl­es à l’espèce. Mais aujourd’hui, ces efforts parfois lourds ne semblent plus suffire (lire encadré p. 42). Un pari est désormais lancé pour tenter d’enrayer ce problème sous un angle complément­aire.

Quatre départemen­ts pour un plan

En juillet 2014, le collectif « Ensemble conservons la perdrix grise » annonçait un plan de sauvetage. « Des convention­s ont été passées avec les fédération­s des chasseurs des départemen­ts de la Somme, de l’Oise, de la Seine-Maritime et de l’Eure », détaille Éric Dion, responsabl­e des domaines auprès de l’Oncfs. Ladite convention, établie pour six ans, a pour objet la production en élevage de perdrix grises de souches sauvages. L’objectif étant de procéder à partir d’oeufs récupérés lors des travaux agricoles pour constituer ainsi les bases de cet élevage. Les oiseaux nés de parents de souche sauvage sont exclusivem­ent destinés à des opérations de recons-

titution de noyaux de population­s (implantati­on ou renforceme­nt). Cette opération est pilotée par le Collectif Perdrix grise basé dans les locaux de l’Oncfs de Saint-Benoist (Yvelines). L’ambition affichée est la « production » d’environ 9 000 à 10 000 perdreaux par an à partir de 2016.

De F0 à F2

« La réussite que nous connaisson­s depuis plusieurs années sur le faisan commun nous amène à penser que tous les espoirs ne sont pas perdus pour le gibier emblématiq­ue des grandes plaines du nord de notre pays : la perdrix grise, introduit Éric Dion. Relancer ses population­s, c’est aussi, à terme, remettre le chasseur dans la plaine qu’il aurait tendance à déserter faute de volatiles. C’est aussi donner plus de sens au rôle du chasseur dans la préservati­on des espèces. Le rôle du conservato­ire de souche est comparable à celui d’un éleveur de gibier, à ceci près que ce qu’il produit n’est pas destiné au tir mais au renforceme­nt », précise notre interlocut­eur. « En d’autres termes, notre objectif premier est de produire des oiseaux issus de parents sauvages. Cette reproducti­on donnera lieu à une première génération que nous nommerons F1. Cette génération F1 devra à son tour être placée dans des conditions analogues pour être également amenée à se reproduire et donner ainsi naissance à la génération F2, c’est-à-dire celle issue de parents nés en captivité mais dont les grands-parents étaient sauvages. Cette production en nombre de perdreaux de génération F2 sera par la suite relâchée sur les terrains propices à son émancipati­on. » Si, théoriquem­ent, ce projet se conçoit aisément, son applicatio­n et la réussite de ce succès relèvent cependant d’un vrai défi en raison de l’extrême délicatess­e que réclame notre perdrix grise.

Genèse du F0

« Les perdrix F0 que nous préservons au conservato­ire et qui constituen­t la première lignée de notre élevage de souche pure proviennen­t directemen­t de la nature puisqu’il s’agit le plus souvent d’oeufs découverts par les récoltes et donc condamnés. Une fois récoltés, ces oeufs sont élevés localement dans les différente­s fédération­s partenaire­s et les oiseaux éclos y sont conservés jusqu’au tout début de septembre, puis transférés ici. Le conservato­ire accueille donc concrèteme­nt des perdreaux de quelques semaines et aura pour tâche non seulement de

les préserver durant l’hiver, puisqu’il s’agit d’une période où le taux de mortalité est élevé, mais aussi de les faire s’accoupler à partir de février avec la mise en place des oiseaux par couple. La grande difficulté est d’assurer leur reproducti­on tout en nous rapprochan­t le plus possible des paramètres naturels pour notre élevage. Contrairem­ent à nous, un éleveur convention­nel aura tendance à privilégie­r toutes les techniques pour augmenter les naissances (éclairage anticipé, alimentati­on…). De notre côté, nous sommes davantage focalisés sur les conditions d’élevage plus que sur leur rendement. Ceci afin de produire des oiseaux qui puissent prétendre le plus possible à un standard sauvage. Nos oiseaux ne sont, par exemple, pas éclairés comme cela se fait dans des élevages pour les oiseaux de tir. Nous n’apportons aucun traitement pour quelque phase que ce soit. Ils vont pondre ainsi dans un cycle nor- mal. La superficie dont ils bénéficien­t est bien plus grande. L’objectif de cette démarche s’inscrit dans le long terme puisqu’en aucun cas notre production ne peut directemen­t faire l’objet d’un prélèvemen­t par la chasse. Enfin, nous avons souhaité augmenter notre capacité de production en passant une convention avec Vincent Lieury, un éleveur basé en Seine-Maritime. Une deuxième convention vient d’être signée avec un partenaire de l’Indre qui remplacera le travail qu’effectuait auparavant la Fdc des Landes. »

Multiplier des F1 à F2

« Le conservato­ire des souches me fait parvenir des oiseaux de génération F1, explique Vincent Lieury, de l’élevage de la Pitié. Je les reçois généraleme­nt début septembre, ils sont alors âgés de 10 semaines. Charge à moi de les faire se reproduire et de donner ainsi naissance à la génération F2. Actuelleme­nt, nous sommes en cours de période de reproducti­on pour la perdrix. Les premiers oiseaux sont nés autour du 1er juin. Je comptabili­se 600 F2 pour approximat­ivement le même nombre de F1 reçus par le conservato­ire des souches, c’est-à-dire 300 couples. Les naissances vont ainsi s’étaler jusqu’à fin juin, ce qui implique que le chiffre que je vous donne est encore bien incomplet. » Il va de soi que les conditions drastiques de travail de notre éleveur ne peuvent rivaliser avec les autres éleveurs de perdrix. « Nous savons déjà que près d’un tiers (30 %) des oiseaux ne pondra pas. Malgré tout, la moyenne obtenue est de l’ordre de 18 à 19 oeufs par ponte, là où dans un autre élevage, elle pourrait peut-être se situer au-delà de 40 oeufs. Aujourd’hui, mes premiers oisillons nés sont âgés de 10 jours. Dans un élevage cou-

rant, avec les techniques d’éclairage qui anticipent le processus, les premiers oiseaux nés ont déjà 5 à 6 semaines », explique l’éleveur qui n’est encore qu’en phase de démarrage. « Il faudra au moins une, voire deux années pour appréhende­r notre potentiel d’élevage. Notre objectif est d’atteindre la production de 10000 F2 par an avec le double de couples reçus, c’est-à-dire 600 à 700. Malgré tout, nous connaisson­s déjà notre taux de perte, qui est assez faible et d’ailleurs pas forcément différent des autres modes d’élevage, c’est-à-dire 5 à 10 %. Le moment de vérité, c’est sur le terrain qu’il aura lieu. La vraie question n’est donc pas de connaître le taux de survie des perdreaux en élevage, mais une fois qu’ils seront relâchés. C’est pour cette raison que les fédération­s qui reçoivent mes oiseaux travaillen­t pour leur fournir les meilleures chances de réimplanta­tion. »

Réimplanta­tion des F2

« Les perdreaux qui seront relâchés sur nos territoire­s proviennen­t de l’élevage de Vincent Lieury, introduit Laurent Sautereau, de la Fdc de l’Oise, partenaire du projet. Nous recevrons en deux vagues des oiseaux âgés de 6 à 8 semaines en juillet et en août. Ils seront lâchés par compagnies de 10 à 15 sujets. Les conditions de réimplanta­tion auxquelles ils seront soumis auront un impact important sur leur survie dans les semaines qui suivront. C’est pour cette raison que nous procédons par l’emploi de parquets. Il s’agit de grandes cages de 2×2 mètres surplombée­s d’un filet (à une hauteur de 5060 cm). Ce système optimise les chances d’adoption des perdreaux par des couples n’ayant pas reproduit. Nous savons que ces couples constituen­t une part importante parmi les population­s globales de perdrix grises sauvages. Durant les bonnes années, il ne descend pas en dessous de 40 % de couples. Les adultes se rapprochen­t ainsi des parquets et donc des oiseaux enfermés à l’intérieur. Cela peut se réaliser très rapidement, parfois en une heure. Par surveillan­ce accrue durant les premières heures suivant ces lâchers, nous décidons d’ouvrir les parquets. En cas d’adoption des perdreaux par des couples déjà présents sur le territoire, les chances de survie sont op- timales. Cependant, d’autres sujets lâchés et non adoptés parviennen­t tout de même à survivre. »

Pas n’importe où

« Le but est de recréer un noyau de population qui, lâché dans un environnem­ent favorable, serait à même de prospérer. Tous les milieux ne sont pas forcément adaptés. Il en va par exemple ainsi de la Beauce où nous savons que la prédation y est très forte sur la perdrix grise notamment », poursuit Éric Dion, également appuyé par Laurent Sautereau : « Le choix du territoire est un facteur fondamenta­l. Il doit offrir un environnem­ent propice à l’oiseau et connaître une baisse importante des effectifs. Dans l’Oise, nous choisisson­s donc des zones où les différente­s observatio­ns révèlent un nombre inférieur ou égal à 10 couples aux 100 ha. À titre d’informatio­n, nous avons connu des secteurs (en 2005) qui abritaient jusqu’à 80 couples aux 100 ha ! À l’évidence, ces territoire­s devront pratiquer une régulation des renards et offrir des bandes de cultures de maïs ou de betteraves qui fourniront un couvert après la moisson et ainsi les protéger des rapaces (busard). Ces deux espèces générant une partie importante de la prédation sur les perdrix. Une politique d’agrainage devra également être mise en place pour assurer la disponibil­ité alimentair­e aux oiseaux en toutes saisons. » Taux de survie, prédation, succès reproducte­ur des génération­s F2… Malgré toutes les incertitud­es que renferme encore ce projet, certaines fédération­s de chasseurs semblent s’y intéresser de plus en plus. « Nous avons déjà d’autres demandes de fédération­s qui souhaitera­ient également réimplante­r des perdrix de génération F2 sur leurs territoire­s », conclut le technicien. S’il est encore trop tôt pour apprécier la réussite de ce plan de sauvetage pour la perdrix grise, on peut d’ores et déjà conclure que l’avenir de la perdrix passe directemen­t par les chasseurs.

Seule certitude : l’avenir de la perdrix passe par les chasseurs.

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Dans le conservato­ire des souches de l’Oncfs, les perdrix récupérées dans la nature F0 donneront naissance à une première génération F1.
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Éric Dion.
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Une fois découverts par les récoltes, les oeufs de perdrix sont, à terme, condamnés.
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Les quatre départemen­ts partenaire­s du collectif récupèrent les oeufs de perdrix pour alimenter le conservato­ire de souches.
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Avant d’être définitive­ment relâchées sur un territoire approprié, les perdrix F2 transitero­nt quelques jours dans un parquet.
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L’adoption est un phénomène courant chez les perdrix. L’objectif est d’attirer des couples adultes sauvages n’ayant pas reproduit vers les perdreaux F2 tout juste cantonnés dans les parquets.

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