Ennemi mortel
Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ». Paraphrasant le bon maître La Fontaine, nous écririons : « Qui veut tuer son cerf, l’accuse de ravages. » Le 15 février dernier, l’Onf a marqué un superbe point en inspirant un reportage au journal de 20 heures de France 2. Alors que le titre du reportage s’inscrit et demeure sur l’écran (« Forêt : des cerfs trop voraces »), le commentaire ne fait pas dans la dentelle. Dès le début de ces 4,17 minutes, le cerf est qualifié d’ « ennemi mortel » de la forêt. Puis nous apprenons que : « Depuis 30 ans, chevreuils et cerfs se multiplient. On peut les voir sur les chemins, pas effarouchés […] broutant en troupeau. » Ah les sales bêtes ! « Les animaux sont tellement nombreux qu’ils ne trouvent plus assez de nourriture et s’attaquent aux jeunes arbres, c’est l’abroutissement. » Bigre, n’est-ce pas là un comportement alimentaire normal ? Un chasseur donne un autre son de cloche : « La forêt a un rôle de production, mais elle a aussi un rôle d’accueil de la faune sauvage. » À cette intervention succède un commentaire égratignant : « Les chasseurs préfèrent ne pas tuer trop de bêtes sauvages pour être sûrs d’en retrouver assez les années suivantes. » Irresponsables chasseurs. Le site internet de France 2 en remet une couche : « Environnement : la forêt menacée par les bêtes sauvages. La prolifération de millions de chevreuils et de cerfs met actuellement les arbres des forêts françaises en danger. Explications avec France 2. » Voilà une opération de communication parfaitement réussie.
Plus que jamais, la grande faune sauvage est accusée de mille maux : le grand gibier propage des maladies, il véhicule les tiques – lesquelles propagent elles-mêmes des maladies –, il occasionne des accidents de la circulation, il met en péril la forêt française. Tout cela avec la complicité des chasseurs.
Relevons ici le silence assourdissant des grandes centrales dites de protection de la nature sur ce dossier. Excepté les associations regroupant des naturalistes locaux, jamais les « écolos » ne s’intéressent au chevreuil, au cerf, et encore moins au sanglier, considérés comme de simples gibiers. Quid du monde de la chasse ? La Fédération nationale des chasseurs, et l’Association nationale des chasseurs de grand gibier doivent-elles réagir ? Le veulent-elles ? N’est-il pas possible voire nécessaire de riposter d’une manière ou d’une autre à un reportage, disons tendancieux, vu par 4 à 5 millions de personnes. Une paille ?
Ici nous ne chassons pas assez, là-bas trop paraît-il. Le 18 janvier dernier, des députés européens ont rédigé une déclaration demandant l’interdiction d’importation de l’ensemble des trophées de chasse dans l’Union européenne. La mouvance du droit animal et de l’anti-chasse aura très certainement été encouragée dans cette démarche par l’affaire du lion Cecil (1er juillet 2015) ainsi que par celle de l’éléphant chassé – légalement – au Zimbabwe mais considéré par certains comme trésor national car âgé de plus de 50 ans (7 octobre 2015). Rappelons que le 12 novembre 2015, après avoir interdit l’importation en France des trophées de lion légalement obtenus, Ségolène Royal écrivait à Brigitte Bardot : « En ce qui concerne les trophées des autres espèces, je suis favorable à un encadrement beaucoup plus strict des trophées de chasse. » La ministre s’engagea à porter le débat au niveau de l’Europe. Le 18 avril prochain, nous saurons si l’Union européenne exauce les souhaits de Madame Royal. L’Uicn (Union internationale pour la conservation de la nature) voit les choses autrement : « Une chasse sportive peut contribuer à la conservation de la biodiversité en raison des avantages sociaux et économiques qu’elle entraîne. »
Le risque : que l’émotion l’emporte sur la conservation. Bonne lecture à toutes et à tous.