Connaissance de la Chasse

« Un Chasseur maladroit »

BONNES FEUILLES

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Extrait de

Le Grand Veneur de Napoléon Ier à Charles X,

de Charles-Éloi Vial, éditions de l’École des Chartes (lire encadré page 103) « La piètre aptitude de Napoléon à tout travail physique ou manuel, son incapacité à tirer au fusil et sa maladresse à cheval, compétence­s indispensa­bles pour pratiquer la chasse, font l’unanimité parmi ses biographes et ses détracteur­s, qu’il s’agisse de le tourner en ridicule ou au contraire d’exalter ses qualités morales et intellectu­elles. Napoléon n’a ainsi jamais été un bon tireur. Il était myope et devait, pour voir de loin, utiliser des lunettes qui lui étaient livrées par l’opticien Lerebours. Comme il ne les portait pas en permanence, sa myopie s’aggrava sans doute avec le temps. Aussi, dès 1805, Napoléon garda-t-il à portée de main une lunette de théâtre : un ordre fut donné au grand écuyer, qui spécifiait qu’“il sera ajusté à chacune des selles de Sa Majesté un étui de cuir pour une petite lunette de diamètre de deux pouces et de six pouces de long.” Napoléon n’avait pas non plus suivi de cours de tir. Selon le valet de chambre Constant, il “n’appuyait pas bien son fusil à l’épaule, et comme il faisait charger et bourrer fort, il ne tirait jamais sans en avoir le bras tout noirci. Je frottais la place meurtrie avec de l’eau de Cologne, et S. M. n’y pensait plus.” Pour amortir le choc du recul, Napoléon fit ajouter des coussinets sur la joue de la crosse de ses fusils. Pourtant Napoléon ne semble pas avoir été affecté de sa maladresse, car il s’intéressai­t peu aux résultats de la chasse. En revanche, il semblait s’énerver quand on la lui faisait remarquer. Le 13 ou 14 avril 1806, lors d’une chasse à tir offerte par le maréchal Bessières dans son domaine de Grignon, “l’officier des chasses qui accompagna­it l’empereur disait, chaque fois que celui-ci manquait une pièce : cuisse pendante, aile cassées, fortement blessée. Napoléon, fatigué de cette flatterie répétée, et peut-être aussi de sa propre maladresse, s’écria : Aile cassée ! Eh bien, allez la chercher ”. À sa décharge, tirer sur du gibier à plumes en mouvement n’est guère facile, et viser un cerf au milieu d’une meute de chiens relève de la performanc­e : “L’empereur tira cinq fois au beau milieu des chiens ; il est inconcevab­le qu’il n’en tue pas. C’est le moindre de ses soucis. Il manqua deux fois, toucha deux, et au dernier coup, sur la tête du cerf.” Napoléon eut même un certain mérite à chasser malgré sa vue basse. Le tsar Alexandre, qui s’était toujours privé de la chasse à cause de sa myopie, n’osa en profiter qu’en 1808, au moment de chasses de l’entrevue d’Erfurt, où il fut encouragé par Napoléon. Riche de son expérience de grand veneur, Berthier suggéra ce jour-là de creuser des tranchées où les rabatteurs pourraient s’abriter des tirs maladroits des monarques. La maladresse de Napoléon fut un secret bien gardé en dehors de la cour. Aucun registre du gibier tué ne fut tenu et les journaux présentère­nt toujours des chiffres arrondis. Quelques témoignage­s subsistent pourtant. Grégoire, secrétaire de la musique de la Chambre, décrivant la chasse du 31 octobre 1810 à Fontainebl­eau, montre que le piètre talent de l’empereur prêtait à sourire : “Les chiens ont mis le cerf en arrêt près d’un mur, l’empereur est arrivé, le cerf s’est échappé, et a été se jeter dans un canal avec tous les chiens ; le mamelouk a donné un fusil à deux coups à l’empereur, Pan-pan, l’a pas tué, un deuxième fusil, il le manque au troisième. Il tire le quatrième et le cerf a eu peur, il fixe le cinquième, et le sixième. L’a pas tué. Enfin un septième. Il est tombé, et alors fanfare, fanfare, réjouissez­vous la bête est morte.” Les performanc­es de Napoléon au tir montrent que pour lui, seul comptait l’exercice physique. La chasse devait soit être une distractio­n, éloignée de tout souci de performanc­e, soit un événement de cour symbolique, où les enjeux sportifs n’avaient pas leur place. »

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