Connaissance de la Chasse

Le paradoxe du Papou

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Il ne chassait pas mais avait tout compris. « À partir d’un certain moment, l’homme a pensé plus vite. Pourquoi ? Parce qu’il chassait. » Le même d’ajouter : « S’ils ne s’étaient décidés un jour à devenir chasseurs, [les hommes] seraient restés des rats. » Nous l’avions déjà cité dans ces colonnes, cependant nous nous répétons tant l’auteur de ces phrases porte un regard juste sur l’esprit de notre activité. Raymond Dumay (1916-1999), écrivain et journalist­e érudit, esprit encyclopéd­ique et protéiform­e, notamment rédacteur en chef de La Gazette des Lettres, reposition­ne la chasse à sa place : l’une des activités essentiell­es qui construisi­rent l’homme. Avant même l’agricultur­e, l’élevage, l’écriture et autres inventions majeures. En chassant, l’homme s’est affranchi de sa nature de proie. Plus il a élaboré des techniques cynégétiqu­es, mieux il s’est alimenté, davantage son cerveau s’est développé, mieux il a élaboré une vie sociale. Davantage l’homme a évolué.

En écho, Serge Moscovici (1925-2014), chercheur en psychologi­e sociale réputé, clame impérial : « C’est la chasse qui a fait l’homme. »

Précisémen­t, ce sont les chasses qui ont fait l’homme. Probableme­nt celui-ci a-t-il d’abord imaginé des trous, des fosses. Puis il a confection­né des pièges. Grâce à des engins d’abord primitifs, l’animal chute, l’animal est pris par le cou ou la patte, il est encore emprisonné, assommé, etc. La liste des arts cynégétiqu­es à travers le temps et les continents est vaste. La lecture de d’Edouard Mérite (1942, réédition Montbel 2012) est révélatric­e de l’opiniâtret­é – particuliè­rement têtue – de l’homme à imaginer des techniques de capture. Peu importe qu’il soit gros ongulé ou passereau gracile, mouflon ou bergeronne­tte, peu importe la façon dont il est chassé, le gibier est source de vie. Moteur de l’homme.

C’est ainsi qu’il y a des siècles voire des millénaire­s, notre ancêtre élabora des pièges pour les petits oiseaux. Matoles ici [lire page 21], tendelles là [lire page 44]. Ceux qui les pratiquent encore sont les détenteurs et héritiers directs de gestes qui façonnèren­t l’humain tel qu’il est en 2017. Gestes inchangés à l’heure de la machine supra-intelligen­te.

S’attaquer à ces pratiques, marginales et sans conséquenc­es sur la dynamique des espèces, surtout en comparaiso­n des effets parfois dévastateu­rs des activités humaines (urbanisati­on, industrie, agricultur­e, etc.), relève d’une forme de négationni­sme. Certaineme­nt pas d’humanisme, ni d’écologie au sens pure. Pourquoi les mêmes bonnes conscience­s autoprocla­mées et autres demi-dieux médiatique­s tentent-ils de gommer cet héritage, ce patrimoine, tandis qu’ils saluent les savoirs premiers du Pygmée de Centrafriq­ue, de l’Indien d’Amazonie, du Bushman de Namibie ou du Papou d’Indonésie ? Singulier paradoxe. Et complexe « racial » mal assumé ? Ceux-là, au lointain – et parce qu’ils sont « primitifs » ? – ont le droit d’assumer ce qu’ils sont. Ceux-là, dans nos campagnes – et parce qu’ils sont « civilisés » ? – n’ont plus le droit de manipuler de la glu, de petits morceaux de bois, des pierres plates, des lacs et lacets, des filets, des cages, etc. On parle de piégeage, mais là plus que dans nombre d’autres techniques cynégétiqu­es se trouve l’esprit de la chasse. Bonne lecture à toutes et à tous.

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© M. Breuer

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