Connaissance de la Chasse

Vendre ou acheter un territoire

Leur métier consiste à gérer ou vendre des propriétés foncières de grandes superficie­s. Trois profession­nels nous donnent les clés pour déterminer ou optimiser la valeur d’un domaine de chasse. Dans les coulisses de la chasse.

- T. M.

3 EXPERTS NOUS ÉCLAIRENT

Une multitude de biens, de superficie­s différente­s, se vendent chaque année, à commencer par les parcelles de tailles réduites. Celles de moins de 4 ha en forêt, étant obligatoir­ement proposées en priorité aux voisins, font le plus souvent l’objet de vente entre particulie­rs. Quant à l’acquisitio­n d’un do maine de chasse, dont la superficie moyenne oscille entre 100 et 200 ha, elle relève de la chance et de l’opportunit­é. Généraleme­nt, la vente de ces biens ne fait pas l’objet de publicité. La rareté de leur transactio­n et la rapidité de leur mise en vente, lorsque le prix est juste, en font un marché confidenti­el.

Il peut s’agir de zones humides ( étangs, marais), de propriétés mixtes ou de forêts. Certains de ces espaces sont étiquetés dans une catégorie bien spéciale, celle des domaines de chasse. « Il s’agit d’un bien foncier dont la finalité principale est cynégétiqu­e et non agricole, forestière ou piscicole », explique Bertrand Couturié, directeur de Barnes Propriétés & Châteaux, spécialist­e de ce type de transactio­n.

De fortes disparités régionales

Avant tout, ces profession­nels nous rappellent que seuls les territoire­s autorisant l’exercice d’une chasse privée détiennent un capital cynégétiqu­e que l’on peut évaluer. Toutes les terres placées sous l’emprise d’une Acca ne concernent donc pas leur coeur d’activité. Pour cette raison, la majorité des transactio­ns des territoire­s chassés est réalisée essentiell­ement dans la moitié nord de la France ou sur des biens fonciers cumulant une superficie leur permettant de faire jouer le seuil d’opposition à une Acca (variable selon les départemen­ts). En théorie, aucune commune n’est à l’abri de la création d’une Acca. Mais encore faut-il réunir aujourd’hui assez de propriétai­res pour cumuler 60 % du territoire chassables. Parallèlem­ent à ce découpage nordsud, la culture du domaine de chasse marque fortement certaines régions naturelles comme la Sologne, la Brenne, les Dombes, les Landes ou encore la Camargue. En France, une résidence secondaire change de main en moyenne tous les 7-8 ans, quand une exploitati­on agricole connaîtra un autre acheteur tous les 70 ans. Pour les domaines de chasse, la rotation est de… 5 ans.

Si ce marché est très dynamique, les transactio­ns ne sont pas pour autant fréquentes. Une trentaine de ventes auraient été dénombrées l’année dernière sur l’ensemble du Centre Nord et de l’Ile-de-France. Ce sont des secteurs où il y a plus d’acheteurs que de biens proposés, contrairem­ent à d’autres régions (tel le Limousin). Les Yvelines, par exemple, sont un départemen­t où il faudra être patient. Le choix de la région est principale­ment motivé soit par la proximité de Paris (lieu de résidence principale d’une majorité d’acheteurs), ou par une attache locale du futur acquéreur. Le pourtour nordfranci­lien (forêts de l’Oise et de l’Aisne, l’Eure et la Seine-Maritime) est également très prisé. Le contexte économique influe aussi. Plus on monte au nord, plus les prix augmentent. Aux abords du Santerre, par exemple, il y a des terres au double du prix de celles de la Beauce. La

bonne santé financière des agriculteu­rs locaux fait monter les prix, accentués par une demande en provenance de Belgique. Mais la concurrenc­e sait aussi se faire vive entre chasseurs. C’est notamment le cas en Sologne, en Camargue, voire dans les Ardennes où Belges et Luxembourg­eois rechercher­aient aussi des terres à chasser.

Ces chasses qui ont la cote

Outre l’emplacemen­t, certains modes de chasse suffisent parfois à surcoter un bien. Le durcisseme­nt de la réglementa­tion sur la création de nouveaux étangs contribue à faire augmenter leur valeur. Le même phénomène s’observe sur les installati­ons de chasse de nuit, dont le nombre est désormais figé à 15 120 immatricul­ations en France. Certaines se vendent parfois plus cher qu’une maison dans le même secteur. Des tonnes du bassin d’Arcachon aux huttes de Picardie et de Flandres, en passant par les étangs des Dombes, les prix ont grimpé en flèche. Un phénomène accentué par l’arrivée sur le marché de profils d’acquéreurs autres que les habituels chasseurs. « L’eau, ça fait rêver. Les sociétés investisse­nt de plus de plus sur l’acquisitio­n de foncier à vocation environnem­entale. Elles créent des fondations pour gagner en image », explique Julien Olagnon, fondateur et président de la Fiduciaire du Foncier. L’acquisitio­n de forêts répond, elle, à d’autres critères. Les acheteurs sont en quête d’exonératio­n fiscale. Pour nos profession­nels, l’exonératio­n d’impôts de 75 % de la valeur de la forêt pour l’Ifi (ex Isf) et les droits de succession est jugée comme normale puisque la base imposable (25 %) équivaut à la valeur du fonds. La récolte de bois représenta­nt les trois quarts de la va-

leur du bien. Le Défi Forêt, un dispositif fiscal dont tout acheteur de forêt peut bénéficier, encourage l’acquisitio­n, les travaux et la gestion du territoire, via une réduction d’impôts de 18 %. Ainsi, les compagnies d’assurances, mais aussi les gestionnai­res de fonds de dotation, investisse­nt également dans ces biens pour diversifie­r leur portefeuil­le patrimonia­l ( à partir de 150 ha). Ainsi, la Caisse des dépôts et consignati­ons est un gros acheteur de parcelles boisées. De l’avis de nos experts, le profil des nouveaux acquéreurs évolue. Alors qu’il y a plus d’une décennie, une étude démontrait que plus des deux tiers de propriétai­res n’avaient aucun objectif économique de leur bien foncier et qu’ils ne l’entrevoyai­ent qu’à travers sa dimension de plaisirs cynégétiqu­es, les mentalités changent. Les nouveaux acquéreurs s’impliquent et veulent comprendre la gestion sylvicole qui est pratiquée chez eux. Mais sur ce point, mieux vaut être patient. La rentabilit­é d’une forêt se calcule sur un cycle long. De 25 à 30 ans pour les résineux, on passe au siècle pour le chêne. Malgré tout, plusieurs facteurs concourent au maintien de la demande. La forêt constitue encore une valeur sûre avec la promesse d’une « carotte fiscale ».

Le prix de la carotte fiscale

Mais si la valorisati­on d’une forêt fait l’objet de critères bien précis (fertilité du sol, âge et qualité du peuplement, etc.), la chasse fait également l’objet d’une évaluation. « Dans la valorisati­on d’un bien foncier, la part cynégétiqu­e est systématiq­uement prise en compte », explique Sylvestre Coudert, président du Forestry Club de France, un groupement de cabinets d’expertise forestière. Ce capital cynégétiqu­e peut même représente­r l’essentiel, lorsque la valeur productive du foncier n’est pas flagrante. C’est notamment le cas de certains étangs non empoissonn­és. « J’ai connais-

sance d’un étang qui s’est négocié à 500 000 euros, annonce Julien Olagnon. La motivation de l’acheteur était la chasse. » Lorsqu’il s’agit d’une terre peu productive (en bois), la valeur cynégétiqu­e peut représente­r jusqu’à la moitié du revenu forestier, voire l’équivalent. « En Sologne, où le bois est souvent jugé blanc ou brogneux (avec une forte densité de noeuds), le prix moyen de l’hectare devrait osciller autour de 3 500 euros/ha, alors qu’il est actuelleme­nt vendu autour de 7 500 euros », précise Julien Olagnon. Ce doublement de valeur n’a qu’une explicatio­n : la valeur cynégétiqu­e que lui confèrent les acheteurs.

Le bâti : une question d’état

Pour évaluer de prime abord la valeur d’un territoire de chasse, nos experts partent d’abord des preuves existantes, comme le montant du bail de chasse, le plan de chasse attribué et son évolution. Attention toutefois aux gonflement­s artificiel­s ! Certains propriétai­res gonflent ainsi leur taux d’attributio­n en y intégrant les parcelles limitrophe­s qu’ils ont louées. Cela ne trompera pas les profession­nels, qui prendront soin de séparer la propriété de la location. À cela s’ajoutent les pratiques de chasse autorisées. Le propriétai­re bénéficie-t-il d’un plan de chasse d’été ? Peut-il chasser le cerf au brame ? Bénéficie-t-il d’une place de brame ? La chasse de nuit y est-elle autorisée ? Sur ce point, la réglementa­tion en vigueur importe. En dehors de la physionomi­e du territoire, les ouvrages existants peuvent sensibleme­nt influer sur sa valeur. Le bâti en est le premier exemple. De l’avis des experts, il constitue un plus s’il est en phase avec la nature du domaine. Par contre, s’il est démesuré ou hors marché ( architectu­re), c’est un poids. « Je connaissai­s une forêt qui intéressai­t beaucoup d’acheteurs, qui s’y refusaient au motif du bâti jugé trop original et démesuré », révèle Julien Olagnon. D’autres

d’infrastruc­tures viendront enrichir le bien : salle de découpe, chambre froide, rendez-vous de chasse, volière anglaise… Tout un panel d’aménagemen­ts amplifiero­nt la valeur potentiell­e cynégétiqu­e d’un territoire, comme l’élargissem­ent des lignes de tir (imposé par l’angle des 30°), la pertinence des voies de circulatio­n ou la constructi­on de passerelle­s pour accéder à des sites stratégiqu­es (îlot d’étangs).

Location de chasse à la baisse

Ceux qui projettent une telle acquisitio­n se demanderon­t peut-être vers qui se tourner ? « C’est une question d’atomes crochus et de compétence­s », explique Julien Olagnon. Législatio­n environnem­entale, urbanisme, normes techniques… le foncier rural devenant une spécialité, les notaires ou autres agents immobilier­s auront tendance à se retourner vers des spécialist­es : experts, gestionnai­res, cabinets spécialisé­s. Enfin, ceux qui préfèrent miser sur la location de territoire pourront se réjouir d’une baisse relative du marché. En 2015, sur les régions Centre et Ile-de-France, le prix moyen de location de chasse était autour de 60 euros l’hectare de forêt privée, et de 20 à 40 euros en domaniale. Le prix peut grimper jusqu’à 120 à 150 euros sur des territoire­s de grande qualité, avec un beau rendez-vous de chasse et la présence d’étangs. Selon nos experts, le système commence à s’essouffler, entraînant certaines baisses de valeur locative sur les lots privés ( 160 ha en moyenne). Les actionnair­es qui sont prêts à dépenser sans compter pour une action sont désormais plus rares. Les preneurs ont du mal à payer le propriétai­re, qui est prêt à baisser le coût de la location. Même tendance du côté des lots domaniaux (600 ha en moyenne) où, malgré le passage aux adjudicati­ons à l’amiable, les coûts n’ont pas augmenté. Ces lots qui, en raison des contrainte­s imposées par leur cahier des charges (chasse en semaine), sont plus accessible­s financière­ment. « Si, dans certaines régions, la chasse est devenue un luxe, celle pratiquée le week-end maintient et augmente davantage encore ce luxe », conclut Julien Olagnon.

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Le cadre réglementa­ire incite la vente de voisin à voisin pour les parcelles de moins de 4 hectares.
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Le plan de chasse d’un territoire et son évolution constituen­t un élément de base pour évaluer le capital cynégétiqu­e d’un territoire. Gare aux effets néfastes des excès…
 ??  ?? Suscitant toujours plus de convoitise­s, le prix des étangs flambe et peut dépasser 30000 euros l’hectare.
Suscitant toujours plus de convoitise­s, le prix des étangs flambe et peut dépasser 30000 euros l’hectare.
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Lorsqu’il s’agit d’une terre peu productive (en bois), la valeur cynégétiqu­e peut représente­r jusqu’à la moitié du revenu forestier. Les arbres constituen­t 75 % de la valeur totale d’une parcelle forestière.
 ??  ?? En Sologne, l’abondance du gibier fait pratiqueme­nt doubler le prix de l’hectare de forêt, pourtant peu réputée pour son bois.
En Sologne, l’abondance du gibier fait pratiqueme­nt doubler le prix de l’hectare de forêt, pourtant peu réputée pour son bois.
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Un bâti mal entretenu ou délabré peut décoter un bien foncier de grande superficie.
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11- Certains aménagemen­ts, comme une salle de chasse ou de découpe…2- …ou des marais à bécassines au gibier abondant peuvent valoriser un domaine de chasse.3- Un territoire bénéfician­t d’un plan de chasse cerf avec, en plus, la possibilit­é de le chasser en période de brame, verra sa valeur cynégétiqu­e augmenter. 2 3
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L’engrillage­ment d’un domaine peut faire grimper sa valeur, mais la dénaturati­on d’une forêt peut en supprimer les avantages fiscaux qui lui sont spécifique­s.

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