Battue polonaise, un air de fête
Vastes massifs bien percés, larges allées, débuchés de cervidés et de suidés à répétition, salves nourries, jolis tableaux et organisation irréprochable sont autant d’atouts qui, au fil du temps, ont forgé, et entretiennent, la réputation des battues polo
Vastes massifs bien percés, larges allées, débuchés de cervidés et de suidés à répétition et organisation irréprochable sont autant d’atouts qui ont forgé, et entretiennent, la réputation des battues polonaises.
Petit matin frileux, la neige est tombée pendant la nuit et nous avons la surprise de découvrir, en quittant la maison forestière où nous sommes arrivés la veille au soir, que le sol est recouvert d’une fine pellicule de poudreuse. Il en faut cependant davantage pour arrêter dans leur élan une douzaine de chasseurs aguerris et bien déterminés à se mesurer aux grands gibiers des forêts environnantes. Dans ce groupe, une majorité de fidèles dont certains font le déplacement plusieurs fois par saison. Ils jouent ici un peu comme à domicile et, dans les voitures qui nous acheminent vers le point de rendez-vous, les « petits nouveaux » les assaillent de questions pour connaître avec précision la suite des évènements. L’ambiance est festive et bon enfant. Au terme d’une trentaine de kilomètres, nous quittons une route départementale pour nous engager sur une étroite, sombre et chaotique allée forestière tracée au milieu d’un océan de marmenteaux séculaires. Une dizaine de minutes plus tard, dans le jour naissant, nous débouchons sur une clairière où est implanté un abri en bois qui s’avère être un rendez-vous de chasse. Au centre de l’espace, un feu imposant crépite à même le sol tandis que des hommes vêtus de tenues fluorescentes jaunes ou orange s’activent en tous sens. S’enchaînent les salutations d’usage et les derniers préparatifs avant que ne se forme naturellement un « U » qui met face à face, parfaitement alignés, l’équipe des visiteurs et les chefs de ligne, les rabatteurs ainsi que les conducteurs de chiens pousseurs et de chiens de sang. Sur le côté, prennent désormais place le directeur de chasse et l’interprète. Les consignes sont claires. Toutes les catégories de sangliers sont tirables sans aucune limite de poids ni de longueur de défenses, à l’exception des marcassins en livrée. Il en va de même pour le nombre de biches, de faons, de renards et de chiens viverrins. Par ailleurs, deux cerfs coiffés portant jusqu’à 5 kilos de trophée sont intégrés au programme du jour. S’agissant des chevreuils, seules les chevrettes peuvent être tirées. Choses dites, s’ensuit l’incontournable tirage au sort des cartes qui attribue, de
manière équitable et irréprochable, les postes de chacun pour la journée. L’heure est maintenant à la chasse et les tireurs prennent place à bord de 4×4 bien identifiés qui vont les conduire vers la ligne de chacun en vue de la première traque. Ce fonctionnement peut, au début, dérouter les novices, mais il s’avère très efficace et permet de gagner un temps précieux, notamment lors des changements d’enceinte.
Sangliers à l’horizon
C’est ainsi que peu de temps après, sur les conseils du directeur de chasse, nous nous retrouvons posté, aux côtés de Lionel, sur une butte au milieu de charmes gigantesques. Pas le moindre buisson à l’horizon, le sol est totalement dégagé. Seul un épais tapis de feuilles et quelques branches éparses recouvrent un substrat qui semble porter les stigmates de lointains bombardements. Il règne en ces lieux un silence de cathédrale. Nous cherchons à comprendre, dans pareil biotope, où le gibier peut trouver à se remiser. Pourtant, on nous a assuré que la place était réputée et qu’il fallait se montrer extrêmement vigilant. Accosté à un tronc, appareil photo prêt à monter à l’oeil, nous patientons en silence en échangeant de réguliers regards interrogatifs avec notre coéquipier. Il fait sombre, la nuit retient le jour, et la pellicule de neige a disparu. Une dizaine de minutes s’est écoulée quand les récris étouffés d’un chien nous font prêter une oreille plus attentive. Sans broncher, nous scrutons la forêt à la
recherche du moindre mouvement. Entre creux et bosses du terrain, il nous semble apercevoir, par intermittence, plusieurs points en mouvement. La voix du limier n’est, quant à elle, plus perceptible, mais les taches vont grandissant dans notre direction. Plus de doutes, il s’agit d’une compagnie de sangliers. Lionel serre fermement sa carabine en espérant que le gibier va poursuivre son rapproché. Subitement, au sommet d’une butte, un, puis deux, puis cinq, puis une dizaine de suidés débarquent au petit trot. Elle traîne avec elle un kopov muet qui ne la lâche pas d’une semelle.
Quatre balles entre les fûts
Un peu déboussolés, les animaux marquent de fréquents arrêts pour écouter et humer l’air. Calés derrière nos arbres, nous ne manquons rien de la scène. Alors que la rumeur des rabatteurs nous revient maintenant en écho, les sangliers prennent leur parti et s’engagent dans notre diagonale. Les images sont furtives entre la multitude de troncs mais une chose est certaine, la distance qui nous sépare des fuyards se réduit rapidement. Tandis qu’ils nous croisent à une soixantaine de mètres, le chasseur tente sa chance entre les nombreux fûts qui barrent l’horizon et expédie, en un temps record, quatre balles. Les consignes autorisaient un tir dans l’enceinte puisque, au regard de la topographie, ils sont ici obligatoirement fichants. Deux bêtes noires accusent nettement sans pour autant s’effondrer sur place. Tireur d’expérience, Lionel reste très surpris par son manque de résultat. La bande a rapidement éclaté en tous sens et a disparu. Des coups de carabines résonnent désormais de partout, entre 25 et 30 se succèdent. Nous observons bientôt d’autres sangliers dans la traque, ils sont cette fois hors de portée. Dans la foulée, une harde d’une douzaine de grands cervidés s’offre subrepticement à notre vue et s’évapore. Les détonations qui suivent nous font imaginer qu’ils ont sauté l’une des lignes. Ce massif, que nous pen- sions désertique, se révèle en réalité une fourmilière grouillante de vie. Avec l’apparition des rabatteurs s’achève cette magnifique entrée en matière. Lionel n’y tient plus et part aussitôt vérifier ses tirs. Très vite un animal est retrouvé. Il a, en fait, basculé de l’autre côté de la butte qui nous faisait face et est mort, d’une balle de coeur, en bas du raidillon. C’est un soulagement pour le chasseur. Avec l’aide du responsable de ligne, il sera remonté non sans peine. Le second sanglier touché sera aussi récupéré un peu plus tard près de là. Mais le rythme imposé par le chef de battue ne laisse aucun répit à notre nemrod. À peine s’est-il vu remettre de façon très protocolaire une brisée qui va immédiatement orner sa casquette, qu’il est prié de rejoindre au plus vite ses camarades. Une équipe dédiée va, quant à elle, se charger de rassembler l’ensemble du gibier tombé dans cette traque pour l’éviscérer et le ramener.
Chevrettes uniquement
Déjà, il faut reprendre place dans une voiture pour filer vers le poste suivant. Ce moment de retrouvailles entre chasseurs est l’occasion de joyeux échanges. Chacun s’exprime sur ce qu’il a vécu, vu et éventuellement tiré. C’est un régal de les écouter. La seconde enceinte, située à plusieurs kilomètres de la première, nous propose bientôt un environnement totalement différent. Nous passons ainsi des feuillus aux résineux avec une pinède gigantesque implantée sur un terrain plat comme la main qui permet une belle visibilité. La dernière carabine est tout juste placée quand démarre la traque.
Cette fois, certains pousseurs se sont munis de bidons en plastique vides sur lesquels ils tambourinent sans ménagement, d’autres poussent des cris en tous genres. Ces bruits s’entendent à des centaines de mètres à la ronde. Ils ont pour effet de semer la panique dans les rangs des cervidés, petits et grands. Plusieurs chevreuils sautent l’allée sur laquelle nous nous trouvons. Incertains quant à l’identification des sexes de ces animaux, les postés concernés préfèrent s’abstenir plutôt que de prendre le risque de tuer un brocard dont le tir est formellement interdit en battue et punissable par une forte amende. Une immense harde mêlant cerfs, biches et faons est aussi en mouvement. Sous la houlette d’une meneuse, elle tourne dans le bois, s’arrête souvent, se met en paquet, écoute, repart au trot en cherchant une issue. Une laie isolée pointe également le bout de sa hure. Elle joue l’effet de surprise en choisissant l’option « droit devant », au triple galop, fendant la ligne sans crier gare. Sa vitesse n’y suffit pas, deux lourdes détonations la font rouler comme un lapin alors qu’elle allait atteindre l’autre côté de l’allée.
Jolie journée
C’est aussi rapidement la débandade chez les grands cervidés. Ils éclatent en groupuscules dans toutes les directions et sont l’objet d’un feu nourri. Une biche et un faon tombent successivement sur notre ligne. Nous découvrirons plus tard que cette traque aura aussi permis de récolter les deux cerfs prévus au quota ainsi qu’un renard. À ce rythme soutenu, nous enchaînons cinq battues avant la sacrosainte pose « soupe », avalée à la hâte, sous un abri de fortune exposé aux quatre vents. Nous repartons de plus belle moins de trente minutes plus tard vers de nouvelles aventures cynégétiques. Les chasseurs connaîtront des fortunes diverses et les enceintes seront parfois moins généreuses mais aucune ne va se révéler creuse. Notre montre indique 16h10 lorsque s’achève la neuvième et ultime traque de cette magnifique journée inaugurale. La nuit arrive déjà à grands pas. Rabatteurs et chasseurs sont fourbus d’une saine fatigue et les stigmates se lisent sur les visages. Les uns ont marché comme des damnés, les autres n’ont pas relâché l’attention. Tous sont ravis de se retrouver pour l’incontournable tableau et le discours de clôture de la chasse par le responsable du territoire. En Pologne, on ne badine pas avec le protocole lorsqu’il s’agit de polowanie (chasse). Dès lors, à l’instar de la mise en scène matinale, chacun s’aligne pour écouter le débriefing. Au centre du rassemblement a été soigneusement présenté le tableau. L’ensemble est encadré de rameaux de sapins. Aux grands cervidés succèdent les sangliers puis les chevrettes et enfin le renard. À la lueur de flambeaux, le directeur de chasse remercie Saint Hubert pour sa générosité. Il salue également avec insistance la prudence et l’habileté des chasseurs et, enfin, loue les prouesses accomplies par l’ensemble de l’organisation pour que cette battue se déroule sous les meilleurs auspices. S’ensuit la traditionnelle remise de médailles qui récompense le roi et le vice-roi de la chasse ainsi que l’ami des animaux, celui qui a le plus manqué. La fin de chasse est alors officiellement annoncée et rendez-vous est pris pour le lendemain au petit jour. Sur ces mots, la douzaine d’amis français reprend le chemin de la maison forestière pour quelques heures de repos bien méritées. Le premier chapitre de leur séjour vient d’être écrit de bien jolie manière, les quatre autres à venir seront tous aussi riches et palpitants. L’indémodable Pologne a une fois encore tenu toutes ses promesses.