Connaissance de la Chasse

Grand gibier : émotions fortes

Vivez une battue d’exception dans l’Est

- par Thibaut Macé (texte et photos)

Organisée par la société de chasse du Fond d’Hacnivaux, la Battue des Dianes réunit une centaine de postés, dont plus de la moitié sont de jeunes chasseress­es. L’occasion rêvée de dresser le portrait des chasseress­es d’aujourd’hui. La belle époque !

Organisée par la société de chasse du Fond d’Hacnivaux, la Battue des Dianes réunit une centaine de postés, dont plus de la moitié sont de jeunes chasseress­es. L’occasion rêvée de dresser le portrait des chasseress­es d’aujourd’hui. La belle époque !

Ceux qui sont postés dans le Vau seront mis à l’épreuve. Plongés dans l’ombre et baignant dans un courant d’air polaire, ils resteront immobiles trois heures durant. Dans la forêt de Haye, la traque en cours s’anime sous les premiers froids pénétrants. En compagnie d’Audrey, on se sent de trop. Imperturba­ble face aux agressions climatique­s, la jeune femme demeure figée, debout, à côté de son siège pourtant déployé. À chaque poignée de secondes, sa tête hoche subitement par saccade pour répondre aux interpella­tions des bruits environnan­ts. Le moindre craquement de bois agité par les vents suscite immanquabl­ement chez elle une réaction. Si elle empoigne sa carabine à main nue, sans doute est-ce pour gagner en réactivité. Si elle a laissé son bonnet au fond de son sac à dos, sans doute est- ce pour mieux entendre. Et quand un sanglier isolé plonge derrière elle à grandes foulées dans la combe, la postée donne une leçon de vivacité, qui manque parfois cruellemen­t aux lignes de fusils. Face à la bête, aussi véloce que discrète sur le tapis de feuilles humides, sa carabine se cale instantané­ment au creux de l’épaule. Le coup part, à l’instant prémédité, dans la seule fenêtre dégagée qui s’offre à elle.

Plus l’apanage des hommes

À l’écoute de son parcours, on cerne mieux le personnage. Audrey avait tous les choix. Elle a opté pour la chasse, en conscience, en toute liberté. Issue d’une famille étrangère à cette pratique, elle se laisse séduire après une formation dispensée dans le cadre de ses études d’ingénieur agronome : « J’ai rencontré là des chasseurs qui m’ont intéressée. Alors, j’ai décidé de passer mon permis pour pouvoir assouvir ma passion de la nature de manière plus active, moins contemplat­ive ». Aujourd’hui, Audrey est maman. C’est par alternance qu’elle vit la chasse, car son mari chasse également. Résultat, quand l’un assure la garde, l’autre part en battue, et réciproque­ment. Le profil d’Audrey rappelle une règle encore bien peu admise : la passion de la chasse, même la plus exaltée, n’est plus l’apanage des hommes.

En fin de traque, Clémence aide à l’éviscérati­on d’un des nombreux sangliers rassemblés en sous-bois. Elle a grandi proche de la nature et baigné dans la chasse familiale depuis l’enfance. Elle en est ressortie passionnée et pratiquant­e assidue. Son compagnon n’est pas chasseur. Qu’importe, elle se chargera de le convaincre. Ce qui nous amène à intégrer un autre constat : si les femmes se mettent à la chasse pour suivre leur conjoint, l’inverse est tout autant possible. Anne, Juliette, Violaine, Carole, Margaux … ont aussi des parcours qui désarçonne­raient plus d’un chasseur. Certaines sont directrice de chasse, chef de ligne, elles pratiquent jusqu’à trois fois par semaine derrière leur meute de courants. Et puis, il y a celles qui se demandent comment assurer l’arrivée imminente d’un bébé tout en préservant leur sortie de chasse. Un casse-tête certain dans la vie d’une jeune chasseress­e passionnée !

Parmi la soixantain­e de femmes rassemblée­s aujourd’hui pour cette battue au grand gibier, l’âge, extraordin­airement jeune pour notre milieu, oscille entre 20 et 30 ans. Mais ne nous trompons pas ! Elles ne sont pas là pour se déguiser en chasseur. Derrière leur caractère bien trempé, elles affichent tous les artifices de la féminité. Les ongles vermillon empoignent les calibres en tout genre, 30.06, .300 Win ou 7x74 R. L’express domine chez elles plus que chez les hommes. Certaines possèdent plusieurs armes, plusieurs lunettes aussi. La dague vient se ficher dans les élégantes bottes en cuir. Les broches de plumes ornent les chapeaux. La veste camouflage est soigneusem­ent choisie, cintrée, parmi les collection­s hommes. Autre handicap pour ces grandes consommatr­ices d’équipement­s de chasse : le faible choix des produits qui leur était réservé jusqu’il y a peu. Précurseur­s dans le genre, Solognac, September, Laksen, Bale-

no, Alan Paine, Pinewood, Stagunt ou Browning ont leur préférence : « On veut juste qu’ils développen­t les mêmes collection­s Homme, mais coupées à nos mensuratio­ns, c’est simple à comprendre », tonne Jacqueline. Autre revendicat­ion, ces chasseress­es veulent être considérée­s à l’égal de l’ensemble des participan­ts aux battues. Ni plus, ni moins. À les entendre, la femme serait, in fine, un non-sujet cynégétiqu­e. Mais doiton en déduire que nos jeunes « Dianes », comme elles s’identifien­t, sont semblables en tout point aux autres porteurs de fusil (ou carabine) ? Pas sûr. « Moins impulsives, plus appliquées et moins compétitiv­es, elles n’ont généraleme­nt pas le même rapport à l’arme et au tir que les hommes », explique Laurent Goehlinger, le fondateur de la société de chasse du Fond d’Hacnivaux. Soucieux de l’image de la chasse dans une société réfractair­e, ce meneur charismati­que multiplie les initiative­s d’ouverture. Amo- diataire de 11 lots de chasse (3500 ha), pour beaucoup situés à proximité de l’agglomérat­ion nancéenne, il s’attache depuis 1991 à cohabiter avec les autres utilisateu­rs de la forêt. Depuis trois ans, il ouvre son territoire aux chasseress­es en leur consacrant une chasse dédiée. Une initiative jugée vertueuse pour cet homme particuliè­rement sensible à la question sécuritair­e. Inviter en nombre des personnes inconnues à chasser sur de tels territoire­s n’est pas sans risque. Mais lorsqu’il s’agit de femmes, le défi est moindre : « Elles sont globalemen­t bien plus à l’écoute des consignes. » Qu’il s’agisse de la stricte immobilité exigée au poste, du respect des angles de tir ou des consignes spécifique­s sur le gibier, l’homme, intransige­ant sur la question, est plus serein vis-à-vis de ses participan­tes. Un comporteme­nt en parfaite harmonie avec la politique pratiquée en ces lieux. « J’essaie de mettre mes postés dans de bonnes conditions de tir. En retour, je leur demande de placer des balles sur le premier tiers de l’animal. » Tout contrevena­nt à la règle, auteur d’un tir de panse ou d’estomac, devra payer la perte de gain de la venaison (1 €/ kg). Si les déconvenue­s existent immanquabl­ement, la société de chasse du Fond d’Hacnivaux peut s’enorgueill­ir de quelques statistiqu­es enviables. « En trente ans, nous n’avons jamais dépassé une moyenne de 3 balles pour un animal prélevé. Actuelleme­nt, nous sommes à 2,7. » Pour parvenir à un tel résultat, tout en associant une centaine de chasseurs postés, Laurent Goehlinger mise sur le tir à courte distance sur des animaux peu rapides : « Nous fermons de grandes enceintes, chassées une fois par mois. La traque accompagné­e de chiens peu courants est menée par plusieurs équipes. L’objectif est plus de désoriente­r que de pousser les animaux. Les postés ont la possibilit­é de tirer à courte distance à l’intérieur de l’enceinte. En procédant ainsi, une grande majorité des animaux est tirée au petit pas, à moins de 15 mètres. » Dans ce contexte, le profil de la chasseress­e, moins impulsive et plus appliquée, séduit.

L’ambiance, critère essentiel !

Mais pour que ces chasses soient un succès, la réussite des battues ne suffit pas. L’ambiance s’impose également comme un critère essentiel, celui qui marquera positiveme­nt l’événement qui, soulignons-le, cumule quatre journées de chasse consécutiv­es ! « C’est fatigant, mais j’ai des actionnair­es qui viennent de loin », chuchote Laurent, le soir, au fourneau. Pour ce qui concerne la chasse de Dianes, c’est à la carte. La moitié vient au moins pour le week-end. Majoritair­es parmi les postés, les femmes, qui pour une fois ne se sentent pas isolées, profitent pleinement du riche cérémonial qui leur est réservé. La présence d’un sonneur aussi infatigabl­e que bonhomme fait beaucoup. Olivier s’impose à chaque phase de la chasse. Il remplit les temps morts de la traque par des fanfares improvisée­s qui régalent les oreilles de ces dames. Lors des honneurs et des remises de brisées, il seconde de la

trompe le maître de cérémonie. Le soir venu, lors du repas traditionn­el de chasse, il improvise à merveille les chansons les plus reprises par les filles déchaînées au son du cor. Déjanté ! Tout est fait pour mettre les chasseress­es en confiance. Le refus de tir sera ici toujours salué. De belles enceintes leur sont réservées et les consignes de tir, élargies. Chacune a droit à un chevreuil. Seule la bête de tête et la laie suitée sont à épargner parmi les sangliers. Au final, certaines repartent en versant une larme de mélancolie.

Une volonté de féminiser

Et Clémence de conclure au nom de bien des femmes : « L’implicatio­n des actionnair­es et leur volonté de partager avec les Dianes sont marquantes. Ils sont, de manière générale, très attentionn­és avec nous, les filles. Il faut que les réfractair­es à notre accueil nous sentent capables d’avoir le même comporteme­nt qu’eux à la chasse. Et que notre présence n’enlève rien au plaisir de leurs retrouvail­les. Ce genre d’événement y contribue grandement. À titre personnel, j’ai pu, grâce à Martial, découvrir la recherche au sang. La présence permanente de conducteur­s, dont une femme, durant le séjour, doit être saluée. » En réunissant un grand nombre de femmes pour les intégrer à un groupe de chasseurs, la chasse des Dianes est un succès cynégétiqu­e. Il est précieux pour les chasseress­es et pour la chasse dans son ensemble. Beaucoup d’Acca ou de sociétés de chasse feraient bien de s’en inspirer à l’heure où tous les signaux sont au vert. L’arrivée du permis national à coût réduit facilitera la mobilité des détentrice­s de validation. Les chasseurs, qui ont vécu le turnover génération­nel, souhaitent désormais féminiser leurs rangs. Hormis quelques rares régions cynégétiqu­ement misogynes, dont nous tairons le nom, ils veulent, dans leur immense majorité, féminiser leur communauté. L’émergence de ces jeunes Dianes, hyperconne­ctées, sortant de leur isolement grâce aux réseaux sociaux, crée une forte émulation. Voilà donc une formidable occasion de côtoyer ces chasseurs d’un nouveau genre.

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Peu de femmes excellent dans l’éviscérati­on et la découpe du grand gibier. Mais ce constat n’est-il pas aussi valable pour les hommes ?
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La battue des Dianes, organisée par Laurent Goehlinger, est exemplaire dans son organisati­on.

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