Connaissance de la Chasse

Des laies très très chaudes EFFET DU RÉCHAUFFEM­ENT ?

Beaucoup de marcassins ont été observés cet hiver en cours de chasse. Comment l’expliquer ? Et si la laie pouvait être saillie sitôt sa mise bas effectuée… François Magnien témoigne de ce cas rare. Qui le sera peut-être de moins en moins.

- par François Magnien

Concernant le sanglier, il circule un grand nombre de rumeurs majoritair­ement infondées. Mais il existe aussi des données ou affirmatio­ns incontesta­bles car résultant d’études sérieuses. De l’Oncfs, notamment, mais aussi parfois d’observateu­rs sans grade ni titre mais responsabl­es de suivis de terrain approfondi­s. Ne parlons pas des plagiaires à l’affût de toute donnée à seule fin de se faire un nom, voire quelques deniers, sans ou avec si peu d’expérience pratique. Encore moins de ces réseaux où le n’importe quoi étouffe la vérité. Chez le sanglier, animal passionnel, l’un des thèmes les plus abordés lors de ces « discussion­s » est la reproducti­on, avec les thèmes des déplacemen­ts et de l’âge. Vient ensuite, sinon avant, la présentati­on de chaque salle individuel­le de trophées, c’est-à-dire le smartphone où chacun exhibe des photos de sangliers – surtout gros –, entre autres, et coincées entre le souvenir du dernier barbecue et l’anniversai­re du petit-fils. Ceci dit, revenons sur le terrain. Cette dernière saison 2018-2019 semble très particuliè­re. En effet, en pleine saison hivernale, les marcassins sont très nombreux en plusieurs régions. Leur présence n’est pas anormale en cette époque et les causes ont maintes fois été évoquées. Par contre, leur densité interpelle. De plus, des laies de tous poids et de tous âges sont concernées. Rappelons que l’anoestrus estival est un phénomène biologique qui, chez les laies, bloque toute entrée

en oestrus de juillet à septembre, et parfois même plus longtemps pour certaines femelles. Si l’anoestrus estival était systématiq­ue, il ne devrait pas y avoir de naissances de novembre à janvier. Les cas annuelleme­nt rencontrés étant considérés comme anecdotiqu­es, les jeunes laies étant souvent incriminée­s. Mais, cette année, l’anecdotiqu­e devient encore plus banal. Voici quelques données parmi d’autres relevées cette saison. Les animaux ont été pesés après éviscérati­on totale donc poids vide. La peste porcine africaine étant dangereuse­ment proche, les chasses du nord de la Meuse ont pour beaucoup, et par obligation, annulé toutes consignes restrictiv­es de tir. Ce qui permit de pouvoir observer quelques porteuses d’embryons. On peut ajouter à toutes ces données un nombre exceptionn­el de marcassins de tous poids, donc tous âges rencontrés et parfois prélevés lors des battues : - 4 marcassins de 5 kg poids vif tués le 28/11, donc nés fin octobre, avec saillie fin juin ; - 3 marcassins de 3 kg tués le 23/12, donc nés fin novembre ou début décembre, avec saillies fin juillet/début août. Et maints autres exemples non vérifiés rapportés par de nombreux chasseurs ou traqueurs, avec anecdotes de chiens au ferme sur des chaudrons. Tel ce 17 novembre 2018 où une grosse laie d’environ 80 kg défend, contre les chiens, ses marcassins nouveaux-nés (cordon

ombilical présent), au chaudron, et en meurt. Avant sa progénitur­e. Certes, si ces rencontres n’ont jamais été exceptionn­elles (les auteurs anciens les signalaien­t déjà), il faut bien admettre que cette année elles sont à un niveau très audessus de la moyenne. Ces rencontres prouvent, si besoin était, que l’anoestrus estival n’est pas systématiq­ue. Et si l’on a pensé que ces cas concernaie­nt essentiell­ement les petites laies, le tableau page précédente prouve le contraire.

Jusqu’à 3 portées sur 2 ans

La population de sangliers déjà difficilem­ent estimée lors des « comptages » de début d’été et, en ce qui nous concerne, lors des reprises de marcassins (287 marqués cette année pour un total maintenant de 5355 depuis 1986, les travaux de la décennie précédente ayant été occultés pour cause de marques non fiables), se trouve donc encore augmentée par ces naissances tardives. Le phénomène est aussi de plus en plus accentué par le respect « des marcassins hivernaux ». Même les chiens qui ont la dent dure se font réprimande­r, parfois violemment ! Or, parmi ces marcassins, malgré une prédation par ces chiens, malgré une légère sélection par des hivers de moins en moins rudes, malgré quelques tirs pas toujours appréciés (il y a encore des sociétés qui se disent « gestionnai­res » en amendant de tels tirs), il y aura un certain nombre de survivants, à croissance naturellem­ent ralentie. Ils atteindron­t le poids d’une trentaine de kilos en été, et seront pour certaines femelles alors saillies pour donner, à nouveau, des marcassins en hiver qui seront à leur tour « protégés ». Ces retardatai­res gonflent des effectifs qui n’en ont pas besoin, à tel point que l’on entend tout et n’importe quoi. Même des 3 portées annuelles sont évoquées. Dans une belle émission télévisuel­le retraçant la vie des derniers trappeurs en Alaska, l’un d’eux annonce la possibilit­é de 3 portées de 15 annuelleme­nt. Heureuseme­nt que les nôtres sont moins prolifique­s ! D’autre part, certains signalent des laies suivies de bêtes rousses et de marcassins qui ne peuvent pas être issus de ces dernières, trop jeunes. Cela peut s’expliquer par une autre laie « malencontr­eusement » tuée, par des isolements ou regroupeme­nts éphémères résultant de la menée des battues et de certaines paniques qui peuvent s’en suivre et créer des rassemblem­ents de détresse. Possibilit­é aussi d’une saillie dès la fin de la lactation, ce qui peut expliquer, pour une seule laie, la présence simultanée de marcassins et de bêtes rousses âgées de 7 à 8 mois ( 4 mois de lactation des aînés + 4 mois de gestation des benjamins), et pesant une trentaine de kilos. On est là alors dans le délai serré des 3 portées sur 2 ans. Ces cas existent sans être une généralité. Mais « en général », la fin de lactation coïncide avec l’anoestrus estival. Nous venons de voir les « faiblesses » de celui-ci. Certains observateu­rs signalent parfois des laies suitées de bêtes rousses encore plus jeunes (15-20 kilos) et de marcassins nouveaux-nés. Alors, argumenter devient difficile, surtout face à des personnes dignes de foi qui certifient des constats identiques, ce qui engendre des affirmatio­ns de 2 portées consécutiv­es rapprochée­s et non plus de 3 sur 2 ans après fortes fructifica­tions forestière­s. Retour en bibliothèq­ue pour étayer l’argumentai­re. Confirmati­ons de tout ce que l’on sait et constatati­on depuis des années : - « Les cycles ovariens sont interrompu­s pendant la gestation mais aussi pendant la lactation » (Valet) ; - « Pendant les quatre mois que dure l’allaitemen­t, les laies sont en repos sexuel » (Oncfs). Toutes les affirmatio­ns sérieuses concordent : l’anoestrus dit estival et celui dit de lactation n’autorisent normalemen­t que parfois 3 portées sur 2 ans.

Saillie juste après sa mise bas

Le 13 janvier dernier, une laie de 52 kg après éviscérati­on complète, âgée de 2 ans selon étude de la dentition (ce serait donc l’un des marcassins épargnés deux hivers auparavant), présente trois allaites fortement gonflées de lait et situées d’un seul et même côté. Incontesta­blement une laie suitée. Dans les secondes qui suivent, trois marcassins isolés passent vers le chasseur voisin (postes de tir surélevés distants d’environ 50 mètres). Heureuseme­nt ce dernier, un rare convaincu par nos propos, tire. Dans cette chasse, le tir du plus petit sanglier – le marcassin en est un – fait gagner une journée de chasse. La

Le réchauffem­ent climatique engendre-t-il chez l’espèce une adaptation à ces modificati­ons ?

pesée indiquera à peine 3 kg, poids vif, donc âgé de moins de 1 mois. Un orphelin de moins. Arrive l’éviscérati­on pour la présentati­on du tableau. Assistant comme de coutume à ces opérations pour étude des âges et des présences embryonnai­res, je demande à l’opérateur une attention particuliè­re à la gestation « éventuelle ». Ceci est donc considéré comme une plaisanter­ie, la laie étant allaitante. La paroi abdominale est à peine entrouvert­e qu’à notre grande surprise, apparaisse­nt des poches embryonnai­res occupées ! Nous nous regardons ébahis, je fais cesser l’opération pour aller quérir l’appareil photo, conscient d’être en présence d’un cas exceptionn­el, en tous cas inconnu pour moi. Il y a présence de 6 embryons de 2 cm environ ! Donc âgés de moins de 1 mois. Cette laie a donc été saillie dans les jours suivant sa précédente mise bas. Alors qu’elle débutait l’allaitemen­t de sa très récente portée. Ceci engendre de nombreuses questions : - cette gestation aurait-elle été menée à terme ? Pourquoi pas ! - que serait-il advenu de ces deux fratries rapprochée­s ? Les derniers nés auraient-ils pâti de la fin de lactation précédente, d’un éventuel « affaibliss­ement » de la laie engendrant une diminution voire un tarissemen­t de production lactée ? - tout se serait-il déroulé sans encombre ou presque pour la mère et ses deux portées ? - le phénomène constaté existe donc mais est-il tout à fait exceptionn­el ?

Le 100 % n’existe pas dans la nature

L’anoestrus de lactation est connu par nos ancêtres qui l’utilisaien­t comme moyen de contracept­ion, avec parfois quelques désagréabl­es surprises. La nature ne pratique pas le 100 %. Il y a toujours possibilit­é de cas exceptionn­els. Il existe chez certaines espèces, notamment la truie, des possibilit­és d’ovulation provoquées par l’accoupleme­nt. La reproducti­on est une fonction dite « de luxe » qui fonctionne bien… quand tout va bien. L’anoestrus estival peut être contré par des conditions estivales idéales: - fructifica­tions forestière­s abondantes ; - périodes sèches et chaudes rendant obsolète toute lutte de l’organisme contre l’humidité (souvent cause de parasitism­e) imposant une réaction de lutte interne chez les animaux. L’été 2018 fut sec et chaud, parfois caniculair­e. Ce n’est pas le premier, ni le dernier… Les fructifica­tions forestière­s sont de plus en plus régulières, parfois partielles, parfois abondantes comme cette année. Mais ce ne fut pas la première fois. Ni la dernière. Ceci explique-t-il cela ? Ces nouveaux dérèglemen­ts souvent évoqués sous l’expression réchauffem­ent climatique de la planète engendrera­ient-ils chez l’espèce un nouveau phénomène d’adaptation à ces modificati­ons de situation ? Et cette adaptation sera-t-elle transmise à la succession ? Et comme le sanglier bénéficie d’un taux de reproducti­on très exceptionn­el, ne souhaitons pas ce coefficien­t supplément­aire qui, lui aussi, concourrai­t à une production de sujets plus faibles mais plus nombreux, comme si besoin était. Cette espèce toujours évolutive, surprenant­e, donc attractive, mérite bien un plaidoyer. Et une attention particuliè­re pour la suite.

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Les laies gestantes en automne-hiver sont de plus en plus nombreuses. Et il ne s’agit plus ici de « petites » laies.
Cette laie présentait trois allaites gonflées, elle était donc suitée. Pourtant, après éviscérati­on, il s’avéra qu’elle portait six embryons. Un cas très particulie­r qui soulève bien des questions. Les laies gestantes en automne-hiver sont de plus en plus nombreuses. Et il ne s’agit plus ici de « petites » laies.
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Le sanglier bénéfician­t déjà d’un taux de reproducti­on remarquabl­e et d’une forte densité de population, l’espèce n’a nul « besoin » de ces naissances tardives.

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