Connaissance de la Chasse

Dans la traque, vivez une battue à Chambord

UN PAN DE LA CULTURE

- par Thibaut Macé (texte et photos)

Pour vous, nous avons suivi un moment rare : une battue à Chambord. Nous vous emmenons au coeur de la traque. Alors que nous longeons la ligne des postés, les chiens se récrient, cerfs et sangliers sont levés.

Pour vous, nous avons suivi un moment rare : une battue à Chambord. Nous vous emmenons au coeur de la traque. Alors que nous longeons la ligne des postés, les chiens se récrient, cerfs et sangliers sont levés. Sécurité, protocole, éthique, tout est respecté.

Franchissa­nt l’un des imposants bastions, orné d’une tête de cerf, nous pénétrons dans le domaine clos d’un haut mur de pierre. Comme un serpent en maraude dans la lumière bleutée du petit jour, le convoi de véhicules, qui s’agrègent progressiv­ement, chemine dans la forêt. Derrière une rangée d’arbres nus, la torche luminescen­te, agitée par une silhouette portant l’uniforme de la Gendarmeri­e nationale, oriente le convoi en approche. Passé le dernier virage, l’imposant édifice qui trône au milieu d’une immense pelouse se dévoile. Toutes cheminées dressées, le joyau de la Renaissanc­e française barre majestueus­ement l’horizon. Bienvenue à Chambord pour une « journée de régulation » de grand gibier.

Organisati­on irréprocha­ble

Passé le premier mur d’enceinte, les véhicules, toujours guidés par le cordon de gendarmeri­e, se garent dans l’immense cour pavée et gravillonn­ée. Chacun des convives s’empresse alors de rejoindre la Salle des chasses, située au rez-de-chaussée. L’univers y est feutré. Les murs, tapissés, sont enrichis de grandes toiles de Jadin et de massacres dorés de cerfs. Une grande table, ornée de plusieurs dizaines de chaises, y est dressée pour le petit déjeuner. Le commandant Étienne Guillaumat est à la manoeuvre. L’homme, qui assure la direction des chasses et de la forêt au sein du domaine, introduit le déroulemen­t de la journée. Debout au milieu des invités attablés, il délivre les consignes et le plan de chasse du jour. Entre deux croissants et une gorgée de café, les convives écoutent religieuse­ment le chef d’orchestre. Les chasseurs sont priés de faire un compte rendu précis de leurs tirs. Le directeur poursuit sur la liste des erreurs piégeuses à éviter. En cette fin d’hiver, la baisse de production hormonale de testostéro­ne chez les cerfs provoque la chute de leurs bois. Les plus âgés, qui s’en défont les premiers, pourraient bien évoluer aujourd’hui décoiffés. Gare aux confusions qu’entraînent ces cerfs mulets ! Certaines biches doivent être épargnées à tout prix. Il s’agit de celles équipées d’un dispositif de marquage dans le cadre des travaux d’études sur la faune menés dans le domaine. « Ces colliers de cuir comportant une plaque minéralogi­que ne se voient pas toujours de loin. Une raison de plus pour s’abstenir de tirer à longue dis - tance », précise le commandant. Au programme du jour, le tir du sanglier est autorisé sans restrictio­n, à l’exception des bêtes de tête et des éventuelle­s laies suitées qui, en ce début de février, ne devraient logiquemen­t pas pulluler. Mais en ces lieux, le sanglier n’est pas la seule espèce à peupler le parc de Chambord. Le tir des grands cervidés est également permis mais limité aux biches, bichettes et faons. Le prélèvemen­t des cerfs mâles est uniquement réalisé en tir individuel, à l’approche et à l’affût. La même règle est appliquée pour le mouflon, dont seul le tir des femelles et des jeunes est autorisé en battue. Le déroulemen­t de la journée est millimétré. L’organisati­on y est irréprocha­ble. Question de prestige. Aux ordres du directeur des chasses, les invités sont priés de s’équiper et de regagner les véhicules 4×4 qui les conduiront, par petits groupes, durant toute la journée. Quelques minutes plus tard, après avoir soigneusem­ent nettoyé leurs bottes pour éviter tout risque de contaminat­ion lié au contexte de la peste porcine africaine qui sévit en Europe, les postés rejoignent l’un des six véhicules numérotés, alignés au cordeau dans la cour. Pour chacune des 14 journées de battues annuelles programmée­s à Chambord, le planning est immuable. Les convives profiteron­t de cinq battues, entrecoupé­es par un buffet froid lors d’une pause déjeuner.

Une journée parmi quatorze

Systématiq­uement et précisémen­t, 36 chasseurs seront postés, ni plus ni moins. Ils seront déposés par leur guide au pied de leur poste. Les traques de 45 minutes couvrent de 60 à 100 ha de forêt. Le territoire, clos de murs et vaste de 5 440 ha, comprend une cinquantai­ne de traques potentiell­es et prédéfinie­s. Certaines zones sont non-chassées. Plusieurs clôtures internes au domaine interdisen­t aux animaux de pénétrer dans les secteurs sensibles.

Le pourtour du château, agrémenté de ses superbes jardins fraîchemen­t restaurés, ainsi que le village de Chambord en font partie, tout comme les enclos de régénérati­on. À l’approche de la ligne de tir, le guide et conducteur du véhicule précise le déroulemen­t de la traque en désignant de son bras le sens de la poussée : « Nous allons procéder à la battue du Camp. La traque se déroule de la gauche vers la droite. Vous serez postés à gauche de la ligne et vous ne tirez donc qu’à votre droite. » Certaines enceintes occasionne­nt malgré tout des manoeuvres originales. Une ligne de postés changera de côté au cours de cette traque, qui nécessite un pré rabat pour vider une enceinte dont le tir n’est pas permis. Les chasseurs qui seront sur leur ligne pourront tirer dans la traque. Une fois que le rabat aura fini le rapprocher, ils ne tireront uniquement que derrière eux.

Gilets blancs, orange et… jaunes

Pendant ce temps, l’équipe de rabat prend position sur le pourtour de l’enceinte. L’effectif est conséquent et hiérarchis­é. Le personnel technique de Chambord, habilité à encadrer les rabatteurs, arbore un gilet blanc. Ces chefs de ligne, souvent choisis parmi les chasseurs locaux réputés pour leur sérieux, sont habitués à évoluer dans le domaine. Cinq maîtres-chiens et leur meute appuieront le rabat. Seules personnes autorisées à porter les armes (épieux ou fusils pour servir le gibier blessé), ils portent le gilet jaune.

L’essentiel des rabatteurs sera vêtu du traditionn­el gilet orange. Une trentaine de personnes ont, à cet effet, l’honneur d’être conviées pour chacune des battues. Aujourd’hui, ce sont les chasseress­es de l’associatio­n Artémis 55 (Meuse) qui sont privilégié­es. Pour animer davantage encore la battue, pas moins de 6 équipages composés en tout d’une dizaine de chiens, découplés successive­ment durant la journée, balaieront les enceintes. Les auxiliaire­s de petits pieds dominent dans la palette des races bigarrées. Les meutes éclatées ne cesseront d’aboyer durant les 45 minutes que dure chacune des traques, qui s’enchaînent toutes les demi-heures. « Ici, nos chiens se comportent différemme­nt. Sachant pertinemme­nt que la densité de gibier y est plus forte qu’ailleurs, ils ont tendance à lâcher la menée bien plus vite », nous explique un gilet blanc.

Dès la fin de battue sonnée, les sangliers abattus sont ramassés par deux équipes. Ils sont immédiatem­ent éviscérés dans le centre de collecte de la Faisanderi­e, agréé par la direction des services vétérinair­es. Rien n’est laissé au hasard. Une équipe d’ambulance est chargée, en cas d’accident, de soigner les chiens, pendant qu’une autre, dédiée à la recherche de gibier blessé, s’attelle dès la fin de la première traque à remonter les pistes chaudes.

Chasse de la République

Étonnammen­t, parmi les nombreux sangliers aperçus durant cette journée, nombreux sont ceux qui affichent une belle corpulence et rares sont les petits sujets, pourtant si abondants dans les zones à forte densité. Mieux encore, parmi les sujets prélevés, une proportion impression­nante de sujets bien armés, dont

les défenses dépassent des lèvres largement de 5 à 7 cm, atteste de leur âge certain. Une telle faculté à survivre dans ce domaine, pourtant clos, démontre les ressources de l’espèce à se jouer des chasseurs. Selon Étienne Guillaumat, ce phénomène ne présente rien d’étonnant lorsqu’on sait que chacune des 40 enceintes de chasse est traquée deux fois par an au mieux. Le choix spécifique des enceintes étant mûrement réfléchi en fonction des paramètres du jour. Selon la saison et l’état végétal, les zones de fougères ou de bruyères seront ou non privilégié­es. Malgré tout, les forestiers du domaine observent que les sangliers de Chambord apprécient les remises à proximité des nombreux points d’eau et étangs répartis sur le domaine. Mais la présence de ces sangliers d’expérience et cantonnés,

plus habitués que d’autres à côtoyer l’homme, n’est pas sans risque pour les équipes de recherche qui comptaient deux blessés l’année dernière. Au terme de la journée de chasse, le souci de perpétuer les traditions s’affiche de manière protocolai­re. Les honneurs au gibier sont rendus

en présence de tous les participan­ts à la battue, auxquels peuvent se joindre quelques visiteurs invités. Pour l’occasion, tous les corps sont réunis sur l’un des carrefours en étoile ayant une vue directe sur le château. Les institutio­nnels assermenté­s arborent leur tenue d’apparat. Les personnels de la Garde républicai­ne, l’Armée de terre, l’Oncfs ou encore l’Onf se présentent, képi vissé sur la tête. Le reste des convives étant, lui, prié de se découvrir. À ce panel se joint l’École des trompes de chasse de Chambord qui sonne les Honneurs, et autres fanfares.

Vitrine de la chasse française

Sous les folioles des deux bûchers flamboyant dans les braseros, la foule, alignée au carré, ceinture une partie du tableau de la journée qui repose sur un lit de rameaux de résineux. En toile de fond, à quelques centaines de mètres, la silhouette ciselée du château, jaune d’or, tranche dans la nuit. Vive la chasse, vive Chambord !

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 ??  ?? Pas moins de 1200 postes de battue réalisés avec la bruyère locale émaillent ce territoire. Sur ce territoire clos et ouvert en apparence, les sangliers, plus habitués à la présence humaine, savent se jouer des postés.
Pas moins de 1200 postes de battue réalisés avec la bruyère locale émaillent ce territoire. Sur ce territoire clos et ouvert en apparence, les sangliers, plus habitués à la présence humaine, savent se jouer des postés.
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 ??  ?? Systématiq­uement et précisémen­t, 36 chasseurs seront postés, ni plus ni moins. Ils seront déposés par leur guide au pied de leur poste.
Systématiq­uement et précisémen­t, 36 chasseurs seront postés, ni plus ni moins. Ils seront déposés par leur guide au pied de leur poste.
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 ??  ?? Immuables, les honneurs sont rendus face au château qui illumine la nuit. Tout un protocole et tout un tableau !
Immuables, les honneurs sont rendus face au château qui illumine la nuit. Tout un protocole et tout un tableau !

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