Le château idéal en route vers l’absolu
EN ROUTE VERS L’ABSOLU
Influencé par la Renaissance et les arts italiens, inspiré par Léonard de Vinci, François Ier a une marotte : la construction de châteaux. Parmi les onze que nous lui devons, Chambord se singularise.
Influencé par la Renaissance et les arts italiens, inspiré par Léonard de Vinci, François Ier a une marotte : la construction de châteaux. Parmi les onze que nous lui devons, Chambord se singularise. Récit d’un rêve vécu.
Un pavillon de chasse ? Gageons que les 426 pièces qui composent le château de Chambord, plus vaste château de la Loire orné de ses 282 cheminées, avaient un dessein différent ! Non, l’édification de Chambord ne répond nullement à un besoin cynégétique. Replaçonsnous dans le contexte de l’époque de sa construction, qui débuta il y a un demi- millénaire, pour le comprendre. À partir de la fin du XVe siècle, les souverains français s’engagent dans une série de conflits pour faire valoir ce qu’ils estimaient être leur droit héréditaire sur le royaume de Naples et le duché de Milan. C’est la campagne des guerres d’Italie, une série de 11 conflits qui s’étire
de 1494 à 1559. Cette tranche d’histoire est initiée par Charles VIII qui, à son retour en France, revient accompagné de plusieurs artistes italiens qui vont fortement influencer les arts et les sciences. C’est le début de la Renaissance dite à la française, qui a pour inspiration celle originelle, italienne. Ce nouveau courant, apparu quelques décennies auparavant, apporte une vision anthropocentrée pour délaisser l’inspiration religieuse qui dominait au Moyen Âge. Cet « humanisme » se répand alors progressivement en Europe, remplaçant « l’âge sombre ». Cette « première pierre culturelle » posée, en France, par Charles VIII, sera très largement consolidée sous le règne de François Ier (de 1515 à 1547). Ainsi l’esprit et l’oeuvre de
la Renaissance prendront en France une toute autre dimension sous le règne de ce roi, conquis par ce mouvement. À l’image de son aïeul, François Ier participe également aux campagnes d’Italie et revient lui aussi accompagné de personnalités italiennes, porteuses du courant Renaissance. La plus célèbre d’entre elles étant Léonard de Vinci. Fasciné par l’esprit de ce renouveau, François Ier fondera même un centre artistique à Fontainebleau représenté de peintres, sculpteurs, graveurs… Passionné entre autres par l’architecture, dessinateur à ses heures, le souverain s’appuie sur le courant Renaissance pour mettre en oeuvre plusieurs projets innovants. Il entend installer la grandeur de la France notamment par la construction d’édifices suscitant la plus grande admiration des visiteurs. Ainsi, pas moins de 11 chantiers – des châteaux – seront entrepris durant son règne. Parmi ceux- ci, Chambord est sans conteste le plus remarquable de son temps.
Le roi entend édifier une cité idéale à l’image de la Cité de Dieu, une Jérusalem Céleste. Le courant de pensée de l’époque, humaniste, propulse de nouvelles disciplines comme la théorisation de l’architecture. La volonté est de construire des villes nouvelles idéales, symétriques, tournant le dos à celles médiévales, tortueuses. Le site retenu doit être isolé, reculé des axes de fréquentation, pour magnifier l’oeuvre. Ce sera Chambord, site d’une ancienne forteresse protégeant un passage à gué sur la rivière du Cosson, accolée à un prieuré et un petit hameau perdu dans une
zone marécageuse non loin de la Loire. « À l’époque, il s’agissait d’un lieu ouvert. La forêt ne couvrait pas plus de 30 % de sa superficie actuelle », précise Éric Johannot, chargé de recherches et de l’action éducative au sein du Domaine national de Chambord.
Du marais à la forêt
Chambord est incontestablement l’icône de la Renaissance à la française. Cette construction repose sur l’adaptation des modèles italiens qui fascinent les Français, sans pour autant abandonner les modèles médiévaux (donjon, douve, murs d’enceinte…). En somme, Chambord reprend un plan de château médiéval tout en y associant des dispositions architecturales modernes, inédites. Le caractère identique des différents appartements, tous immenses, plaçant celui du roi aux mêmes dimensions que les autres, en constitue un bon exemple. Le donjon, coupé en quatre en forme de croix grecque, puise son origine dans les nouvelles églises italiennes.
Avant d’arriver sur le site, il faut faire tout un cheminement. Pour le roi, l’idée est d’être dans un lieu retiré pour mieux profiter de sa cour. Cette cour restreinte, qu’il nomme « petite bande », est composée d’intimes et de quelques ambassadeurs étrangers. Car Chambord, ne l’oublions pas, est avant tout un outil de communication destiné à susciter l’émerveillement. Ce type d’ouvrage s’inscrit déjà à l’époque dans une dynamique de concurrence internationale. Un vent nouveau souffle en Europe.
Pour la gloire et le plaisir
Chambord n’est pas fait pour être habité, mais est une oeuvre à faire découvrir aux autres pour les éblouir, un faire-valoir. Malgré tout, le roi s’y rendra assez régulièrement durant son règne. 19 séjours sont à ce jour connus, pour 73 jours de résidence. Mais si c’est la fascination pour la Renaissance d’un roi entreprenant et bien entouré qui donne naissance à Chambord, son autre passion, celle cynégétique, parachève incontestablement l’identité et la singularité de l’oeuvre. Placer une bâtisse aussi monumentale au milieu d’un massif boisé, ar
L’esprit et l’oeuvre de la Renaissance prendront en France une toute autre dimension sous le règne de François Ier.
tificialisé, immense, n’est pas anecdotique. Là encore, l’influence italienne est à souligner. Habité par une autre passion, François Ier entend profiter de l’isolement de Chambord pour se créer un domaine de chasse à l’image des parcs dédiés observés en Italie (Pavie). Il en délimitera lui-même les contours en faisant planter des piquets dès 1523. C’est en 1542 qu’un mur de maçonnerie est vraiment commencé et où Chambord ne prend encore la forme que d’un donjon. À l’image des domaines de chasse de Fontainebleau et de Corbeil, il reproduit son initiative des Capitaineries Royales de chasse, un corps destiné à assurer l’abondance du gibier dans la forêt close et lutter contre le braconnage. À cette époque, le cumul des terres composant le domaine avoisine les 2500 ha. Il provient initialement des terres de la Couronne, puis de rachats successifs. Durant tout son règne, François Ier n’eut de cesse de vouloir agrandir son domaine de chasse. Cette entreprise sera par la suite poursuivie et achevée par Gaston d’Orléans et Louis XIV (son neveu) au cours du XVIIe siècle.
Patrimoine mondial de l’Unesco
Entre-temps, sous le règne d’Henri II, les habitants de la région, prompts à ouvrir des brèches dans ces murs, soit pour y braconner, soit pour raccourcir leurs déplacements, se voient confier l’entretien du mur en échange de l’aménagement d’ouvertures. Plusieurs pavillons gardant les portes d’entrée sont alors édifiés. Cinq d’entre eux subsistent encore aujourd’hui. L’aménagement récent des passages à gibier a permis de supprimer l’emploi de gardes permanents, chargés jusqu’au milieu du XXe siècle de leur ouverture. L’ensemble de cet ouvrage unique, dont la construction sera étalée sur un siècle ( 1542- 1660), est aujourd’hui la propriété de l’État. Le
mur d’enceinte, long de 32 km, ceinture une emprise de 5 440 ha. Il constitue le plus vaste espace forestier clos de murs d’Europe. L’ensemble du domaine national de Chambord est classé au patrimoine mondial par l’Unesco. Après la création de l’établissement en 2005, initié par la loi sur les territoires ruraux, une stratégie de dynamisation du site de Chambord est entreprise à partir de 2010.
Une oeuvre pour éblouir
Le taux d’indépendance financière a grimpé à 90,4%, signifiant ainsi que la gestion du domaine est désormais proche du seuil de l’autonomie. Un résultat formidable obtenu par une politique fidèle à l’esprit de la Renaissance : le mécénat, qui provient aujourd’hui pour l’essentiel de la chasse et des chasseurs. Ni palais, ni forteresse, Chambord, il est vrai, a depuis son origine accueilli des convives chasseurs. Mais cette oeuvre monumentale, encore chargée de mystères et pétrie de symboles, est bien plus que cela. Voulu, à son origine, comme une icône de puissance et d’esthétisme, Chambord s’impose comme un lieu d’émerveillement pour tout visiteur.