« The book » : spécial globe-trotteurs
À la tête de la réputée maison d’édition américaine Safari Press, Ludo Wurfbain publie la 30e édition du livre de records mythique : Rowland Ward’s Records of Big Game. Quelles sont les modifications apportées depuis la dernière édition parue il y a cinq ans ? « THE BOOK » Qui est Ludo Wurfbain ?
Ludo Wurfbain : Je suis originaire des Pays-Bas où je suis né il y a 61 ans, en 1958. En 1982, à l’époque étudiant, je suis parti pour la première fois aux ÉtatsUnis afin de rejoindre une université. Université dans laquelle j’ai rencontré ma femme. Je me suis installé dans le pays de l’Oncle Sam tout en ayant préalablement vécu également au Royaume-Uni et bien évidemment aux Pays-Bas. D’ailleurs, bien que je sois résident aux États-Unis, je suis toujours citoyen néerlandais à ce jour.
Vous êtes chasseur ?
Oui, passionnément. J’ai d’ailleurs, pour l’anecdote, tué mon premier lapin avec un calibre 20 appartenant à mon oncle Ludo qui vivait en France en Dordogne et à qui je rendais visite chaque année. Mais j’ai aussi beaucoup accompagné mon père qui était également chasseur et qui aimait marcher et chasser avec des chiens, comme le faisaient avant lui son père et son grand-père.
En fait, dès que j’ai pu marcher j’ai accompagné des chasseurs aux perdrix dans les champs de betteraves en Hollande mais aussi aux canards, aux lapins et aux lièvres. À l’époque, aux PaysBas on pouvait tirer 26 variétés de canards ainsi que des oies, des bécassines, des bécasses et même des tétras-lyres.
Les choses ont bien changé…
Oui, maintenant, la chasse aux PaysBas est très restreinte, ce qui est, d’une certaine manière, nécessaire pour certains oiseaux dont les populations ont beaucoup diminué mais pas nécessaire pour d’autres. Il y a encore beaucoup d’anatidés.
Exit le grand gibier ?
Non, bien sûr que non. J’ai d’ailleurs tué mon premier chevreuil à l’âge de 16 ans et je me souviens très bien de la chaise haute sur laquelle j’étais assis alors près de la petite ville de Keppel (Pays-Bas). Je suis allé par la suite en Tchécoslovaquie et en Écosse également pour chasser le grand gibier. Enfin, en 1981, alors que je recherchais une université aux États-Unis, je me suis inscrit au tirage au sort pour aller chasser une antilope pronghorn au NouveauMexique. J’ai eu la chance d’être sélectionné.
Un grand moment donc ?
Oui, car je n’avais jamais chassé aux États-Unis mais à cette époque, on pouvait acheter une arme à feu sans trop de problème et je suis parti. Un grand pays, des océans d’herbes, une région très sèche pour un Européen. Il y avait beaucoup de pronghorns. On dormait dans des tentes, on faisait notre feu… Ça me faisait penser au Far-West. Que de souvenirs ! J’ai d’ailleurs toujours encore cette tête de pronghorn accrochée dans mon bureau.
Quant à l’Afrique ?
J’y ai effectué mon premier voyage en 1987. Je rêvais de ce continent et j’en avais beaucoup entendu parler, notamment par un taxidermiste que j’avais connu aux Pays-Bas et pour qui j’avais travaillé à temps partiel. Il y était allé de nombreuses fois et avait même fait de la taxidermie pour le prince Bernard et avait voyagé avec lui au Kenya (le prince Bernard était l’époux de la reine Juliana, la grandmère du roi actuel, ndlr).
Au retour de ce premier voyage, je me voyais en Tintin au Congo ou en Ernest Hemingway. Une chose est ceci dit certaine : ce premier voyage déclencha chez moi le virus de l’Afrique, tant et si bien que j’y suis retourné à plus de 20 reprises depuis.
Encore récemment ?
Oui, pas plus tard que l’an dernier où je suis allé au Mozambique dans le delta du fleuve Zambèze.
Une zone qui m’a impressionné par la quantité de gibier qu’elle recelait : des centaines de buffles, des waterbuck, des nyalas, des reedbucks, des phacochères et beaucoup d’autres animaux. Il y avait même des léopards, des lions et quelques éléphants. Ceci dit, je crois que ce sont les chasses au Cameroun que j’ai le plus appréciées parce que c’est là qu’il y a le plus de défis à relever mais j’ai aussi vu le Tchad, la Guinée, la Tanzanie, la Namibie, l’Afrique du Sud…
Et l’Asie…
J’y ai effectué 12 voyages et j’y ai fait de belles chasses au chevreuil de Sibérie, en particulier dans le Caucase et en Sibérie centrale.
« Créer des cartes actualisées sur la distribution des espèces a nécessité une recherche intense. »
Safari Press est-il l’aboutissement de ces voyages de chasse ?
Non, absolument pas car ma femme et moi avons fondé Safari Press, notre société d’édition de livres, en 1982. C’est donc bien antérieur.
Le nom de votre société est sans équivoque…
Oui, nous sommes spécialisés dans les livres cynégétiques. Et depuis 1982 nous avons publié des livres sur la chasse en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord ainsi que sur les armes de chasse.
Vous êtes également à la tête d’un magazine… C’est exact. En 2002, nous avons racheté le magazine Sports Afield. Un magazine lancé en 1887 par Claude King à Denver, au Colorado. C’est le plus ancien magazine de plein air jamais publié en Amérique du Nord. Le premier numéro comptait 8 pages. Aujourd’hui, il en va tout autrement après que nous l’ayons recentré sur la chasse internationale du grand gibier.
Comment commence l’aventure Rowland Ward pour vous ?
Dans les années soixante-dix, mon employeur taxidermiste et mon compagnon de chasse depuis toujours Peter Beaujean m’a parlé de « The Book ». Intrigué, j’ai alors commandé un exemplaire en Angleterre. Je me souviens que sur la couverture du livre étaient énumérées toutes les éditions. Le livre m’a fasciné, aussi j’ai commencé à collectionner les premières éditions.
Vous auriez pu en rester là…
Oui et non car les circonstances sont parfois curieuses. Et cela tient en grande partie à l’histoire de ce livre. De 1892 à 1910, James Rowland Ward réalise les six premières éditions. Après sa mort, son directeur John Burlace publie le livre jusqu’en 1935. La Seconde Guerre mondiale terminée, Gerald Best prend la relève et édite l’ouvrage, notamment avec François Edmond-Blanc qui est peut-être le plus grand chasseur international français. Anthony Best lui succède de 1973 jusqu’au début des années quatre-vingt.
C’est alors qu’un club de chasse texan nommé « Game Coin » rachète Rowland Ward. Mais cela ne va guère durer car quelques années plus tard, ils le cèdent à Steve Smith en Afrique du Sud. Lorsque celui-ci meurt subitement dans un accident de voiture, c’est Robin Halse qui en 1994 prend la relève.
Je connaissais Robin Halse et sa famille car à cette période, Safari Press s’occupait de toute la distribution de Rowland Ward en Amérique du Nord.
En 2006, c’est sa fille, Jane Halse, qui reprend l’édition et la développe considérablement. En 2014, lorsqu’elle décide de vendre, elle m’appelle. Vous connaissez la suite.
Vous publiez cet hiver une nouvelle édition…
Il s’agit de la 30e édition en un volume sur l’Afrique uniquement. Mais un volume conséquent de
format 8,5 x 11 inches (21,6 x 28 cm) qui compte plus de 850 pages avec pas moins de 40 000 records dont 14 nouveaux records du monde et plus de 40 entrant dans les tops 10. 210 espèces sont répertoriées. Et à cela s’ajoutent 340 photos et 85 cartes de répartition. Le tout en couleur.
Un travail colossal… Absolument. Rien que le fait d’ajouter des photos à cette nouvelle édition a demandé un travail et une recherche longue et difficile. Rowland Ward avait toujours imprimé les photos des trophées des chasseurs jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mais après celle-ci, cela avait été abandonné, notamment je pense parce que la gestion de toutes ces photos était beaucoup trop lourde. Nous avons donc remis cela en place mais cela a représenté beaucoup plus de travail que ce à quoi nous nous attendions.
Deux personnes dans nos bureaux de Californie ont ainsi passé plus d’un an et demi à correspondre dans le monde entier pour rassembler ces photos. Ce fut donc une tâche monumentale, mais une énorme amélioration pour la nouvelle édition.
Sans parler de la cartographie…
Oui et c’est le travail dans lequel je me suis le plus impliqué. La création de cartes actualisées concernant la distribution des espèces a nécessité une recherche intense mais nous avons réussi à établir des cartes précises et très graphiques.
Avez-vous apporté d’autres changements ?
Lorsque nous avons repris Rowland Ward, nous avons commencé par mettre en ligne tous les formulaires et la documentation nécessaire sur la façon de prendre les mesures, les scores minimum, etc. Et nous avons mis également en place une série de principes directeurs qui expliquent dans quelles conditions nous allons accepter les animaux. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de mentionner que dans certains cas la chasse est devenue du tir et non plus un sport équitable.
Pouvez-vous préciser ?
La politique mise en place par Rowland Ward depuis le départ a toujours été de refuser de prendre des animaux issus d’espaces confinés. Nous avons donc mis tout cela par écrit. Que penser notamment de certains abus concernant les buffles et les lions qui ont eu lieu en Afrique du Sud ? Tout comme certaines « chasses » en espaces clos en Europe et en Amérique qui ne méritent pas leur nom aujourd’hui. Rowland Ward se posera toujours en défenseur d’une chasse équitable et honnête où l’animal a toutes ses chances !
Envisagez-vous dès à présent une 31e édition ?
Oui, et nous y travaillons déjà ! Elle paraîtra en novembre 2023 et comportera deux volumes : l’un sur l’Afrique et l’autre sur les Amériques, l’Europe, l’Asie et le Pacifique sud.