Paroles d’expert : grande chasse = conservation, avec Jean-Pierre Bernon et l’Aggc
Décriée, la grande chasse se révèle pourtant être un acteur réel de la sauvegarde de la biodiversité, des espèces (éléphants, lions, etc.) comme des espaces. Expert en la matière, Jean-Pierre Bernon développe des arguments imparables.
Depuis des années, nous assistons, impuissants, au dramatique déclin de la biodiversité mondiale, avec à chaque fois comme bouc émissaire la grande chasse, alors que cette disparition est principalement liée à deux facteurs : - la perte des habitats du fait des activités humaines (agriculture, élevage, exploitation du bois, activité minière, réseau routier…) ;
- le commerce illégal des espèces sauvages (braconnage).
Résultat : près de 60 % de la biodiversité mondiale a disparu au cours des cinquante dernières années (source : WWF, 2018). Protéger les habitats et les espèces animales est le seul moyen pour préserver la biodiversité. Or, la grande chasse répond parfaitement à ce besoin de conservation. La preuve. La grande chasse est une activité légale très réglementée, aussi bien au niveau national qu’international. Dans les pays où elle est pratiquée, les autorités en charge de la protection de la faune sauvage déterminent notamment des quotas de tir annuel pour chaque espèce.
Au niveau international, la Convention de Washington sous l’égide de l’Onu (Cites) regroupe 183 États. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce d’espèces sauvages ne menace pas leur survie. Voici les grands principes de cette réglementation :
- les espèces sont classées en trois annexes en fonction du degré de protection qu’elles nécessitent ; - l’importation ou l’exportation de ces espèces doit obligatoirement être autorisée dans le cadre d’un système de permis ;
- le nombre de permis Cites pour chaque espèce chassée et pour chaque pays est revu chaque année par des groupes scientifiques composés de spécialistes. Si bien que pour la grande chasse – qui rappelons-le ne concerne que le tir d’animaux mâles et âgés –, les taux de prélèvement autorisés sont faibles, avec une moyenne de 2 % par espèce. Par ailleurs, les territoires de chasse sont loués par des organisateurs de chasse qualifiés aux États africains (licences de guides de chasse obligatoires), ayant une grande expérience terrain. Les secteurs de chasse peuvent aussi être donnés en gestion aux populations locales, et sont parfois constitués de territoires privés (Afrique du Sud, Namibie…) où le gouvernement autorise l’activité de la grande chasse. Dans tous les cas, organisateurs et populations locales ont des comptes à rendre aux États dans la gestion et la préservation de la biodiversité de ces territoires.
Il convient ici de ne pas confondre grande chasse et braconnage. À l’inverse de la grande chasse, le braconnage est une chasse illégale majoritairement responsable de la disparition de la grande faune. À titre d’exemple, le braconnage des éléphants, pour alimenter en ivoire les marchés asiatiques, est responsable de la disparition de 60 % d’entre eux au cours de la dernière décennie. Autre chiffre révélateur : 98% des éléphants abattus chaque année en Afrique résultent de l’activité illégale du braconnage, et 2% seulement de la grande chasse. Au final, le commerce illégal des espèces sauvages est la 4e activité criminelle transnationale la plus lucrative (source : UNEPINTERPOL, 2016).
Localement profitable
En quoi, désormais, la grande chasse est-elle forcément vertueuse ? Les cas concrets de ses atouts ne manquent pas :
- pour pouvoir exercer une activité de grande chasse, les populations locales ainsi que les organisateurs et les guides de chasse gèrent, protègent et aménagent les territoires. Concrètement, cela passe par la création de camps de chasse, l’entretien et la création de points d’eau, la création de salines (apport de sel), la gestion des feux de brousse, l’entretien et la création de pistes (routes et pistes d’aviation) ;
- les territoires de chasse sont surveillés afin de lutter contre l’implantation illégale de culture, la pénétration illégale du bétail, l’exploi
tation illégale du bois et le corollaire à ces activités, le braconnage et la disparition de la grande faune ;
- la gestion et plus particulièrement la surveillance de ces immenses espaces sauvages nécessite d’importants moyens humains et financiers qui peuvent être obtenus par l’activité de la grande chasse ;
- la grande chasse se pratique dans des régions isolées où les revenus des populations locales sont très bas. Ces populations bénéficient de l’activité économique générée par la grande chasse : revenus provenant des taxes de tir, ressource alimentaire provenant des animaux chassés, créations d’emplois (pisteurs, chauffeurs, taxidermistes, serveurs, cuisiniers, mécaniciens, ouvriers, gardes pour la lutte antibraconnage…) ;
- les cahiers des charges des organisateurs de grande chasse, imposés par les gouvernements, prévoient toujours un volet de développement communautaire (création de dispensaires et d’écoles, installation de puits…) ;
- toute la viande provenant de la grande chasse est distribuée et consommée par les populations locales.
Résultat, l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn) ainsi que l’Organisation des nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (Un-Fao) et le Fonds mondial pour la nature (Wwf) reconnaissent sans équivoque l’utilité de la grande chasse pour protéger les habitats et participer au développement économique des populations locales.
Quant aux safaris photos…
Grande chasse ou safari photo ? Saviez-vous que la plupart des territoires de chasse ne se prêtent abso
lument pas à des activités de safaris photos ? Cela est dû à une visibilité très réduite du fait d’une végétation dense, à la présence de nombreux insectes piqueurs dont les mouches tsé-tsé, à un accès difficile, à la faible présence de paysages exceptionnels comme dans les parcs nationaux, etc.
On rappellera ici que la superficie totale de tous les territoires de chasse d’Afrique est plus importante que la superficie totale de tous les parcs nationaux africains, sur lesquels se déroulent les safaris photos, et que la grande majorité d’entre eux ne pourront être reconvertis en zones de tourisme de vision. Les espaces sauvages gérés par la grande chasse en Afrique ont précisément une superficie supérieure de 22% à celle des parcs nationaux (source : LINDSEY, 2007).
Si l’activité de grande chasse venait à être supprimée, et dans la mesure où les safaris photos ne sont pas envisageables sur ces territoires, en raison d’un manque de gestion et de protection, ces derniers seraient alors immédiatement occupés pour des activités agricoles et d’élevage et victime d’un accroissement du braconnage. Autant d’éléments qui auraient des répercussions dramatiques sur la biodiversité.
Protéger les espaces sauvages
Il faut bien avoir à l’esprit qu’en Afrique, les agriculteurs et éleveurs ne sont pas indemnisés comme dans les pays occidentaux en cas de dégâts dans leurs cultures ou de perte de bétail du fait d’animaux sauvages. C’est pourquoi, agriculteurs et éleveurs mettent tout en oeuvre, de façon bien compréhensible, pour que les populations de grands herbivores
(éléphants, buffles, hippopotames…) et de prédateurs (lions, léopards, hyène…) soient les plus basses possible. On ne peut pas demander à des populations locales défavorisées de préserver la faune sauvage si celle-ci ne leur rapporte rien et constitue un frein à leur développement.
Il s’avère que la grande chasse, sur des territoires non adaptés au tourisme de vision (safaris photos), permet donc, au même titre que le tourisme de vision dans les parcs nationaux, de protéger et de conserver d’immenses espaces sauvages, tout en participant au développement de populations locales défavorisées. Insistons bien sur ce point concret : interdire la grande chasse sur les territoires où elle est la seule activité touristique possible s’accompagnerait d’une recrudescence de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Au final, l’interdiction de la grande chasse aurait des conséquences dramatiques et irréversibles pour la conservation de la biodiversité.
En conclusion, deux cas peuvent nous faire réfléchir :
- au Kenya, la chasse est interdite depuis 1977. Il convient de savoir que cette interdiction a eu pour conséquence une diminution de près de 40% des populations animales sauvages du pays entre 1977 et 1996 (source:NORTHON-GRIFFITHS, 2007); - au Botswana, la grande chasse a été interdite en 2014. Or, seulement 20% des territoires de chasse sont parvenus à développer une activité de safaris photos (source : MBAIWA, 2018). Les 80% vacants ont subi une forte pression agricole et d’élevage ainsi qu’un braconnage massif qui a poussé le gouvernement en mai 2019 à autoriser de nouveau… la grande chasse. Chassons les idées simples et les idées fausses, et préservons la grande chasse, acteur discret mais réel de la sauvegarde de la biodiversité.