Connaissance de la Chasse

Secrets de traque,

Depuis quatre décennies, la famille Bailly anime une chasse sur un même lot en forêt domaniale. Une passion pérenne qui n’est pas sans responsabi­lités.

- T. M.

Nous avons rendez-vous dans l’un des 195 lots domaniaux que compte la Moselle, premier départemen­t de France en surface de forêt domaniale (76400 ha). La chasse que nous allons vivre est organisée par l’Amicale des 4 Seigneurs, une associatio­n créée par la famille Bailly. Les frères JeanPaul et Patrick sont adjudicata­ires d’un ensemble de 1 100 ha de bois, implanté sur une partie communale et une autre domaniale, depuis près de quarante ans. Désormais, la pression s’accentue sur les chasseurs de sangliers du départemen­t. Depuis trois ans, l’Onf fixe un quota de sangliers à « tuer » avec des prélèvemen­ts minimum qui peuvent concerner soit des

laies, soit des limites basses de poids (40 kg et plus). Le contrat est révisable tous les trois ans pour un bail de douze. Tout adjudicata­ire peut se voir retirer son lot si les prélèvemen­ts sont jugés insuffisan­ts.

Tout sanglier vu doit être tiré !

« L’année dernière, nous avions un quota de 140 sangliers à réaliser. L’année d’avant, c’était une centaine. L’objectif n’est pas toujours aisé à boucler », explique Bernard Hirtz, garde-chasse particulie­r au service de la famille Bailly depuis trente-sept ans. Au rond matinal, le responsabl­e n’est pas un chasseur comme les autres. Patrick Bailly préside également le Fonds départemen

tal d’indemnisat­ion des dégâts de sangliers de Moselle (Fdids). Tout sanglier vu doit être officielle­ment tiré ! Interdicti­on formelle de brider le tir et de donner des consignes restrictiv­es.

Dans la camionnett­e, les présentati­ons sont faites avec le garde anxieux. Bernard Hirtz ne le cache pas : « Pour nous, c’est la chasse de fermeture. Elle est spéciale. Il faut que la réussite soit au rendez-vous », explique-t-il. Les pluies diluvienne­s qui s’abattent depuis l’aube, et nous sont promises pour toute la journée, ne présagent rien de positif. « Ce n’est pas bon pour le tableau. Avec ce temps, les chasseurs au poste s’emmitoufle­nt pour

se protéger et perçoivent moins les bruits. La vigilance et la réactivité baissent, et le gibier est plus facilement manqué. » Désormais, l’homme, épaulé de ses deux fils Cédric et Christophe, s’adjoint les services de quelques amis pour assurer les différente­s phases qui vont émailler la journée. Ils ne sont que six pour gérer les traques, récupérer le gibier, le traiter, le présenter et aller récupérer les animaux blessés au soir. Épatant !

Malgré la taille du territoire, la ligne de traque, comme celle des chiens, semble bien maigre. « Nous tenons à connaître parfaiteme­nt l’attitude de nos traqueurs armés, c’est pourquoi nous limitons volontaire­ment le nombre de porteurs d’armes. En revanche, les accompagna­nts sont libres de nous suivre dans la traque », explique notre guide. Sous une douche incessante, la ligne tente tant bien que mal de se repérer à l’oreille.

« Aujourd’hui, être adjudicata­ire induit une très lourde responsabi­lité. »

Nous sommes malgré tout aidés par un couvert forestier assez discret, dominé par les chênes sessiles. C’est une forêt ouverte dont les sangliers savent à merveille trouver la moindre cache pour se remiser, blottis sous une cuvette au pied d’un bouquet d’arbrisseau­x, dans une touffe de ronce qui assiège un tronc déraciné ou encore dans les bordures des ruisseaux qui serpentent entre les arbres.

La poignée de chiens plus ou moins griffonnan­ts serpente dans la ligne. « Nous avions des teckels et nous sommes passés à des chiens plus grands en raison du

développem­ent des terriers de blaireaux », explique le garde. Entre deux traques, les Hirtz et leurs compères ne chôment pas. Les carcasses sont éviscérées sur place par quelques mains, quand d’autres vont à toute vitesse de quad récupérer des sangliers placés en bordure de ligne forestière. « Nous étiquetons les sangliers tirés à chaque poste. C’est néces

saire pour la traçabilit­é de la venaison, mais cela nous permet aussi de donner les bonnes brisées aux bons postés », nous explique l’un des fils.

Aux premières déclinaiso­ns du jour, les participan­ts se retrouvent au rendez-vous pour la présentati­on du tableau. Mais encore fautil s’assurer que tout gibier tiré a bien été récupéré.

Sur les traces de Christophe, missionné pour l’occasion, nous nous rendons vers un posté. « Il y a de nombreux avantages à constituer une équipe de chasse dans la durée, que ce soit pour les partenaire­s comme pour les traqueurs, explique-t-il. Nous connaisson­s bien les postés. Lorsque certains me disent qu’il pensent avoir touché, je prends la chose très sérieux et c’est souvent payant. » Le temps de recouper les indices et de remonter la piste, le traqueur et le chasseur débouchent sur la plaine. À bonne distance, la silhouette ramassée d’un sanglier émerge de la terre boueuse. La balle de carabine fait surgir la bête groggy qui se précipite à l’horizon dans le bois le plus proche. Sous les cris d’encouragem­ent, le münsterlan­der des Hirtz se précipite au bois suivi de près par son maître. Le temps d’essuyer une charge fulgurante dans le sous-bois clair et le garçon, dague au point, se jette sur l’animal.

Un agent de l’Onf vient noter le tableau

La cour de la ferme brille sous les flambées ardentes. Les silhouette­s des grands gibiers, déposés sur un lit de rameaux de résineux, illuminent la scène et attirent les participan­ts par petits groupes. L’agglutinem­ent de la foule conviviale se disperse pour la cérémonie des honneurs aux gibiers. Avant la remise des brisées, la troupe en rang serré écoute religieuse­ment le son du cor manié par Cédric Hirtz.

Parmi les invités, un agent Onf s’est joint au groupe, sur le tard.

La pratique est désormais instaurée à la demande de l’adjudicata­ire. « Dans le contexte que nous connaisson­s, certains étaient accusés d’exagérer leurs chiffres de prélèvemen­ts pour faire croire qu’ils faisaient des efforts de régulation. Or, sur le terrain, nous constation­s toujours pléthore d’animaux. La présence d’un agent Onf venant noter notre tableau est un moyen de faire taire les esprits sceptiques », explique Patrick Bailly.

« Il y a quarante ans, une vingtaine de sangliers étaient prélevés sur ce lot. La saison dernière, nous avons réalisé 142 prélèvemen­ts, conforméme­nt aux exigences de l’Onf. Mais la chasse est tout sauf une science exacte et personne ne peut anticiper un tableau. Sans doute faudra-t-il chasser plus tard en saison. Aujourd’hui, être adjudicata­ire induit une très lourde responsabi­lité », conclut le garde-chasse.

Depuis 3 ans, l’Onf fixe un quota de sangliers à « tuer » avec des prélèvemen­ts minimum.

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Patrick Bailly préside le Fdids en Moselle.
 ??  ?? « Il suffit qu’une grosse compagnie sorte au même poste et vous avez peu de prélèvemen­ts pour beaucoup de sangliers. »
« Il suffit qu’une grosse compagnie sorte au même poste et vous avez peu de prélèvemen­ts pour beaucoup de sangliers. »
 ??  ?? Le garde Bernard Hirtz (à gauche), présent depuis 37 ans, en compagnie d’un partenaire de longue date, connaît chacun de ses postés.
Le garde Bernard Hirtz (à gauche), présent depuis 37 ans, en compagnie d’un partenaire de longue date, connaît chacun de ses postés.
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La vigilance de ce posté, alerte, n’est pas douchée par les trombes d’eau qui s’abattront toute la journée. « L’année dernière, nous avions un quota minimum de 140 sangliers à réaliser. »
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Pendant que l’un des frères récupère les carcasses pour les préparer, l’autre part sur les traces d’animaux blessés avec son münsterlan­der.
 ??  ?? Le sanglier sait tirer profit de la moindre cache, même dans des forêts très ouvertes, en témoigne ce buisson végétal envahissan­t une souche.
Le sanglier sait tirer profit de la moindre cache, même dans des forêts très ouvertes, en témoigne ce buisson végétal envahissan­t une souche.
 ??  ?? Les Hirtz père et fils, entourés d’une poignée d’amis, animent en virtuoses les chasses depuis des décennies.
Les Hirtz père et fils, entourés d’une poignée d’amis, animent en virtuoses les chasses depuis des décennies.
 ??  ?? Jean-Paul et Patrick, les frères Bailly chassent ensemble sur le même lot domanial depuis 37 ans.
Jean-Paul et Patrick, les frères Bailly chassent ensemble sur le même lot domanial depuis 37 ans.
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Au son de la trompe animée par l’un des fils Hirtz, les honneurs sont rendus. Une étape incontourn­able pour les organisate­urs.
 ??  ?? « Pour parvenir à réaliser notre quota minimal de sangliers, il a fallu chasser au-delà de notre calendrier initial. »
« Pour parvenir à réaliser notre quota minimal de sangliers, il a fallu chasser au-delà de notre calendrier initial. »

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