Le cerf hors de la forêt ?
Antienne sylvicole : « Le cerf est une espèce originaire des steppes froides qui n’a pas sa place en forêt. Il aurait été contraint de s’y réfugier sous la pression des activités humaines. » Nous avons demandé à Guy Bonnet, solide connaisseur de l’espèce, ce qu’il en était au juste. De la toundra à la forêt
Pour faire simple, au Paléolithique supérieur, la majeure partie de ce qui constitue aujourd’hui la terre de France ressemblait au nord de la Sibérie actuelle. La végétation dominante, la steppe herbeuse, était le royaume des grands herbivores, proies principales des tribus de chasseurs-cueilleurs. Le réchauffement climatique qui marque la fin de la dernière ère glaciaire (vers -12000 ans) va bouleverser la donne. Sous nos latitudes, la forêt s’impose progressivement comme le nouveau climax. Forêt tempérée, d’abord claire avec des essences pionnières héliophiles, comme les bouleaux et les pins, puis plus dense, avec une dominante de feuillus. Une partie de la grande faune va disparaître (mammouth, mégacéros…), une autre (renne, élan)
émigrer vers des contrées plus septentrionales. Le cerf élaphe, lui, s’adapte et se développe. L’espèce, probablement favorisée pour des raisons culturelles et symboliques, traversera également avec succès la révolution néolithique (début de la civilisation agro-pastorale, premiers défrichements). Cette adaptation climatique et écosystémique constitue une belle leçon de darwinisme qui devrait inspirer le respect plutôt que le rejet ! Aucune espèce ne survit quand elle n’est plus en symbiose avec son habitat. Pour résumer, disons que le cerf a co-évolué avec la forêt… tout en conservant une aptitude à vivre sans elle. Il prospère encore dans les landes écossaises ou les pampas argentines, et a gardé de ses origines (après tout, sa vie en milieu fermé est récente dans son histoire évolutive) quelques fondamentaux biologiques et éthologiques.
Entre autres :
- c’est un paisseur. Les plantes herbacées – surtout les graminées – constituent la majorité de son régime alimentaire ;
- c’est une espèce très sociable, localement grégaire. Les regroupements en hardes (toujours plus importants en milieu ouvert) réduisent les risques de prédation et renforcent la vigilance.
La forêt menacée
Mais la forêt, qui conditionne désormais largement la distribution de l’espèce, vit un tournant de son histoire. Beaucoup de massifs de l’Hexagone subissent les effets de la hausse constante des températures et de la répétition des sécheresses. Des peuplements dépérissent, certaines essences ne sont plus vraiment en station, les agents pathogènes (insectes, champignons) font des ravages. Après les ormes, il y a quelques années, les chênes pédonculés, les hêtres, frênes, châtaigniers, sapins sont confrontés à de graves crises sanitaires. Les épicéas connaissent une épidémie de scolytes sans précédent. Situation d’autant plus inquiétante que la forêt joue un rôle majeur pour atténuer les conséquences du réchauffement climatique en cours, notamment par la séquestration du CO2. L’écosystème va devoir s’adapter. Ce qu’il serait capable de faire naturellement, mais à une échelle spatio-temporelle incompatible avec les besoins de l’économie. Le défi incombe donc aux forestiers de revoir rapidement la composition et la structure des massifs en fonction des nouvelles conditions environnementales. Il va falloir procéder à des changements d’essences, favoriser les peuplements mélangés et d’âges hétérogènes, plus résilients aux aléas climatiques et sanitaires, employer