Adieu Benjamin de Rothschild,
Pour la plupart il était le baron Benjamin de Rothschild. Pour ses collaborateurs – en son absence – il était « BDR ». Pour d’autres, « Monsieur », « Monsieur le baron» ou tout simplement Benjamin. Mais pour ceux qui avaient la chance de le côtoyer de très près, en brousse, en savane ou en forêt équatoriale et qui faisaient réellement partie de ses proches, il était : Bamara, « le lion » en sango (langue centrafricaine). Un surnom qu’il utilisait également pour communiquer via Whatsapp ou signer ses clichés photographiques. Des clichés dont certains étaient passés d’ailleurs dans la rubrique « Photos choc » de votre revue. Mais, et c’était le côté discret de Benjamin, il ne voulait pas que son nom soit mis en avant. Car l’homme de passion qu’il était détestait se retrouver sous les feux de la rampe et aux mondanités il préférait de loin la tranquillité d’une soirée en brousse, le côté magique d’une nuit dans un mirador ou le côté festif d’une partie de pêche en mer ou aux abords d’un étang. Je me souviens à ce sujet d’un matin par un froid glacial où il fut convenu d’aller passer une journée à pêcher le brochet.
Il ne fut pas question d’emporter le moindre pique-nique ou casse-croûte… Nous mangerions ce que nous attraperions. Heureusement à cinq un honorable carnassier fut assez rapidement sorti de l’eau, vidé et mis sur les braises. Il en allait ainsi avec Bamara. L’amitié et les challenges étaient importants pour cet homme de passion qui n’avait plus rien à prouver et pour qui les moments de bonheur étaient simples.
En plus de la photographie, Benjamin était un passionné de voile (une tradition familiale), de belles mécaniques à deux et quatre roues, de beaux objets hétéroclites ou non, de bd, d’armes (il détenait la plus belle collection mondiale qu’il m’ait été donné de voir)… Mais aussi et surtout d’Afrique et de faune sauvage. Un héritage sans nul doute de son grand-père Maurice qui avait conduit entre 1902 et 1904 ce qui avait été considéré comme la plus grande expédition scientifique française de l’époque. D’où l’association du nom Rothschild à une girafe, à l’okapi, à l’hylochère et à de nombreux autres représentants du monde animal. Benjamin, qui avait une grande admiration pour son grand-père avait réédité plusieurs de ses ouvrages. Une passion de l’Afrique qui l’avait bien évidemment conduit à chasser dans bien des pays et des contrées reculées mais Bamara, même s’il amodiait depuis le début des années 2000 une zone de 400000 ha au Mozambique où il passait deux mois par an, avait une réelle passion pour l’Afrique centrale, notamment la Rca et le Cameroun où il avait fait son premier safari à l’âge de 25 ans sur l’une des deux zones qu’il amodiait également depuis 2011 en partenariat avec un guide de renom. Une zone de brousse qu’il affectionnait tout particulièrement et où il passait un mois chaque début d’année avant de repartir, dans le Sud du pays, en forêt pour quatre semaines de nouveau en juin. Suivre Benjamin en brousse, en forêt, quel que soit l’endroit de la planète était un vrai bonheur. J’ai eu la chance de faire partie de ceux qui l’ont accompagné à plusieurs reprises. Nous partagions la même passion de la nature. Loin de chercher à tout prix à poursuivre un animal, il aimait à s’arrêter pour voir de plus près une fleur, un champignon curieux, un arbre original, faire la photo d’un lieu… Paradoxalement, le jour de sa disparition brutale, le 15 janvier dernier et surtout beaucoup trop jeune – il avait 57 ans –, nous aurions dû être ensemble à courir la savane en compagnie de la rédactrice en chef d’un grand hebdomadaire français à qui il voulait démontrer que la conservation des espèces et la protection de la biodiversité étaient capitales et que cela passait aussi par les blocs de chasse, la chasse et les amodiataires.
Généreux, extrêmement brillant, Bamara qui avait en très peu de temps, fait plus que prospérer la fortune familiale dont il avait hérité, s’était investi à fond dans cela tant en temps qu’en argent. Personne ou peu le savait mais il avait financé bien des choses, de la protection des éléphants de Rca à l’accueil d’étudiants en biodiversité sur ses zones de chasse. Ce pourquoi, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire à une époque, il va sans dire que les pygmées de la région de Libongo avec lesquels il adorait plaisanter, pleurent un être cher qui avait mené avec eux entre autres un projet pilote d’apiculture !
Il en va de même en savane camerounaise ou dans le bush mozambicain pour toutes ses équipes, ses pisteurs, les guides et gardes qu’il faisait travailler et qu’il considérait comme des collaborateurs précieux et non des employés.
Je conclurai par la dernière question à laquelle il avait répondu dans ce magazine, dans une interview qu’il avait accordée en exclusivité et par amitié (n°481 p.152) : « Vous avez réalisé beaucoup de vos rêves ! Quel est le prochain ? » Benjamin avait répondu :
« Arriver à persuader les milieux opposés à la chasse qu’ils ne sont pas plus protecteurs que certains chasseurs aujourd’hui et que ni les uns, ni les autres n’ont le monopole de la défense et de la protection de la nature ! » Il n’aura malheureusement pas eu le temps de mener ce projet à son terme… Dramatique pour la faune et les espaces sauvages qui perdent avec lui l’un de leurs plus ardents défenseurs ! Adieu Bamara, bon voyage au pays des chasses éternelles. Et nous savons tous que contrairement à ce que dit la chanson : le lion n’est pas mort ce soir, ta mémoire et ton esprit perdureront à jamais au-dessus des contrées folles et sauvages. À son épouse Ariane, à ses filles Naomie, Alice, Eve et Olivia, à sa mère Nadine, nous présentons nos plus sincères condoléances. Fotographix - O. B.