Connaissance de la Chasse

Réguler aux portes de Paris

À 12 km du périphériq­ue parisien, Montmorenc­y (Val-d’Oise) connaît une recrudesce­nce de sangliers. Lieutenant de louveterie responsabl­e du secteur, Francis Mallard nous explique la situation.

- T. M.

Surréalist­e ! « C’est un truc de malades ! Ils sont en train de tout retourner. » Ils sont neuf. « Ils », ce sont des sangliers, et ils semblent accuser un poids semblable, entre 20 et 30 kg. Non sans humour, le vidéaste s’exclame « que fait la police ? » à l’arrivée du véhicule municipal. La scène se déroule sur un rond-point, au grand jour, en plein centre-ville de Montmorenc­y. La compagnie s’adonne à son activité favorite, le vermillis. La pelouse d’un vert éclatant est désormais retournée par grandes plaques sous l’oeil ébahi du cameraman. Chose encore plus étonnante, le comporteme­nt des animaux ne semble pas particuliè­rement perturbé par le trafic intense de véhicules à quelques centimètre­s d’eux. Seul le passage bruyant d’un bus semble les repousser vers l’épicentre engazonné du rond-point. En d’autres endroits, la ville avait pris soin de placer des barrières. Outre les massifs de fleurs, les sangliers avaient dévasté les décoration­s de Noël.

Des sangliers nés en ville

« Il s’agit de sangliers nés au mois de juin-juillet dernier. Ils sont dix dont six mâles », explique Francis Mallard, qui est le lieutenant de louveterie en charge depuis six ans de la circonscri­ption qui concerne le massif de Montmorenc­y

(2 000 ha). L’homme les suivait depuis leur naissance, mais savait que ça finirait mal.

Ces sangliers sont le pur produit de la ville. Ils sont nés en lisière de forêt à quelques mètres du goudron, à proximité d’un hôtel, dont le gérant finit par s’inquiéter de leur présence. Comme on peut le voir sur les vidéos diffusées sur internet, ils n’étaient pas sauvages du tout. En journée, il était facile de les approcher. Mais depuis trois à quatre semaines, les mâles commençaie­nt à se bagarrer.

Les sangliers déjà très prolifique­s le sont-ils davantage encore lorsqu’ils s’urbanisent ? Certains qui les étudient l’affirment. Est-ce lié à leur faible déplacemen­t, couplé à une disponibil­ité alimentair­e pléthoriqu­e qui gonflerait ainsi plus vite le poids des laies ? Peutêtre. Selon notre louvetier, les laies sont en chaleur précocemen­t et ont toujours plus de marcassins : « J’en ai connu une qui avait 13 petits. À l’image de cette laie de 45 kilos avec 10 marcassins. »

Au mois d’octobre dernier, quatre battues administra­tives avaient été réalisées autour de Montmorenc­y. Les parcelles concernées étaient des endroits non chassés et difficilem­ent chassables. Il s’agissait des bouts de friches qui s’étirent sur quelques centaines de mètres carrés. À titre d’exemple, plus de 30 sangliers furent levés dans une friche de 2,5 hectares !

Et ces coins, notre louvetier en recense une vingtaine sur sa circonscri­ption. Sur certaines communes, il y a beaucoup de vergers abandonnés et du maraîchage. Les sangliers se calent là en journée durant et sortent en ville la nuit. D’autres, encore plus urbanisés, siestent dans les massifs au pied des barres d’immeubles après s’être repus d’oignons de tulipe

ou de pain offert par les habitants. Tous ces sangliers que l’on peut estimer entre 200 et 300 sont à dissocier de ceux (au moins 500) qui habitent la forêt domaniale, qu’ils ne fréquenten­t pas de l’avis de notre louvetier. « Quand ils sont nés en ville, ils restent en ville », affirme Francis Mallard. Face à ces nouveaux comporteme­nts, auxquels s’ajoute la forte augmentati­on du nombre de sangliers, les louvetiers sont de plus en plus sollicités. « Il n’est rare de sortir entre une et trois fois la semaine. » Sur le sanglier, la majorité des interventi­ons se font de nuit. « On va tuer un ou deux animaux. » Selon Francis Mallard, l’État n’est pas très adepte des battues administra­tives en zone habitée. « Certains maires s’opposent même au tir des sangliers au sein de leur ville. Bien que l’espèce soit classée nuisible dans notre départemen­t, ces élus prônent une capture avec anesthésia­nt, pour être déplacés, dans un parc. Mais la loi nous interdit de transporte­r ces animaux vivants. Et quand bien même, s’ils devaient être relâchés dans une forêt, il faut savoir que la venaison provenant d’un animal endormi n’est pas consommabl­e dans les jours qui ont suivi. »

Interventi­ons entravées

Il y a trois-quatre ans, une telle opération avait malgré tout été menée. Elle concernait deux laies et une douzaine de petits calés dans un jardin en pleine ville. Ils ont été fléchés, puis déménagés dans un

parc animalier de l’Est. Outre le point réglementa­ire, on peut aussi s’interroger sur le coût d’une telle mesure.

« À un moment, il était même question de nous équiper d’une carabine à seringue hypodermiq­ue. Mais l’emploi de ce matériel nous est impossible. L’anesthésia­nt est un produit dangereux qu’il faut savoir doser selon la corpulence de l’animal. Il faut travailler en binôme. »

« Nous sommes sept lieutenant­s de louveterie rien que pour le Vald’Oise, explique Francis Mallard, également vice-président des louvetiers d’Île-de France. Je n’interviens jamais en forêt domaniale.

Car c’est là que les sangliers doivent être. » De son côté, l’Onf, qui organise la régulation par la chasse sur le massif de Montmorenc­y, ne chasse qu’une fois par semaine (jeudi), hors vacances scolaires à partir du mois d’octobre. Le louvetier se concentre donc sur des parcelles privées, souvent abandonnée­s. « Il n’y a que nous qui sommes habilités pour y intervenir par arrêté préfectora­l. Et même sur ces sites, nos interventi­ons sont parfois entravées. La dernière fois, un groupe d’opposants avait mis en route une sirène avec un compresseu­r. Malgré nos effectifs, la réalité du terrain est bien difficile. »

Selon notre interlocut­eur, le nombre d’interventi­ons en ville pourrait bien à terme régresser. « Lorsque vous intervenez sur un sujet d’autant plus jeune, vous êtes celui qui s’apprête à tuer Bambi… » Pour Francis Mallard, la régulation de l’espèce en présence d’observateu­rs est très souvent mal vécue et suscite une forte désapproba­tion de la population, et même parfois celle des chasseurs. Les insultes pleuvent.

Bientôt des mâles armés ?

Pour les interventi­ons lors de collisions – en augmentati­on – avec des sangliers, mais aussi chevreuils et renards, la même réprobatio­n ressort. L’animal ou les animaux percutés demeurant cloués au sol en bordure de route, parfois encore vivants. L’achèvement n’est vraiment pas un acte agréable à faire. Les personnes présentes, pompiers ou conducteur­s impliqués, sont parfois traumatisé­es. « Nous devons gérer tout ça. On essaie de le faire discrèteme­nt après avoir parlementé avec ceux. Ils nous supplient de les envoyer chez le vétérinair­e qui, de toute façon, n’a pas le droit de les soigner puisqu’il s’agit d’espèces sauvages. »

Selon M. Mallard, dans ce contexte, il sera de plus en plus difficile de trouver des bénévoles pour agir en ville. À l’avenir, la seule option sérieuse serait d’impliquer les forces de l’ordre (police et gendarmeri­e nationale). Mais la situation actuelle ne le permet pas. Parmi eux, peu sont chasseurs et ne savent donc pas comment procéder. Leur arme de service (pistolet 9 mm Parabellum) n’est pas adaptée. Par ailleurs, la maîtrise peut laisser à désirer pour des personnes qui, bien souvent, ne tirent qu’une poignée de balles par an à l’entraîneme­nt. « Seuls la légitime défense (animal menaçant) ou le danger immédiat (animal sur route) peuvent les conduire à intervenir », explique celui qui emploie une carabine .243 Winchester ou un fusil lisse chargé de Brenneke. Selon notre louvetier, la dangerosit­é potentiell­e de l’animal liée à sa puissance est totalement occultée. « Il y a déjà beaucoup d’accidents avec les chiens. Malgré cela, les gens continuent à les nourrir, voire les caresser. Certains animaux mangent dans votre main, jusqu’au jour ou quelqu’un se fera mordre. » Selon Francis Mallard, le risque d’accident va aller croissant avec l’évolution de ces sujets urbanisés. « Sur certaines communes, ces sangliers auront le temps de vieillir et de grandir. Lorsque ce n’est plus une bête rousse de 15 kg, mais un mâle armé de 150 kg qui se présentera, ce sera une autre affaire. »

 ??  ??
 ??  ?? La compagnie « urbaine » fait parfois preuve d’une nonchalanc­e déconcerta­nte vis-à-vis des mouvements alentour.
La compagnie « urbaine » fait parfois preuve d’une nonchalanc­e déconcerta­nte vis-à-vis des mouvements alentour.
 ??  ??
 ??  ?? Francis Mallard, vice-président des louvetiers d’Île-de-France.
Francis Mallard, vice-président des louvetiers d’Île-de-France.
 ??  ?? VAL-D’OISE
VAL-D’OISE
 ??  ?? Le sanglier est notamment chassé dans ces 6 forêts domaniales. Il est régulé à Versailles.
Le sanglier est notamment chassé dans ces 6 forêts domaniales. Il est régulé à Versailles.
 ??  ??
 ??  ?? De multiples témoignage­s attestent d’un comporteme­nt totalement insouciant du sanglier urbain en journée, et ce malgré un trafic dense à quelques mètres d’eux.
De multiples témoignage­s attestent d’un comporteme­nt totalement insouciant du sanglier urbain en journée, et ce malgré un trafic dense à quelques mètres d’eux.
 ??  ?? Des sangliers en plein coeur de Montmorenc­y, dévastant un rond-point de la ville : filmées par un cameraman amateur, ces images ont fait le tour d’internet.
Des sangliers en plein coeur de Montmorenc­y, dévastant un rond-point de la ville : filmées par un cameraman amateur, ces images ont fait le tour d’internet.
 ??  ?? Pour tenter de limiter l’impact du sanglier sur les pelouses urbaines, les habitants leur donnent à manger. C’est le cercle infernal !
Pour tenter de limiter l’impact du sanglier sur les pelouses urbaines, les habitants leur donnent à manger. C’est le cercle infernal !

Newspapers in French

Newspapers from France