Le « frex » (friend + ex) est-il l’homme idéal ?
n a le même humour, on se comprend sans avoir besoin de parler, il me connaît par coeur…, s’enthousiasme Maryline, 30 ans. Il est vraiment cool. Et vraiment pas mal, avec sa nouvelle barbe et ses trois cheveux blancs… » Quand on attrape la conversation au vol, et que l’on se réjouit de ce qui ressemble à un Royal Flush sur Tinder, des guillemets joyeux se creusent dans les joues de la jeune femme : « Ah non, ce n’est pas d’un nouveau mec dont je parle ! C’est de Gilles, mon ex, avec lequel j’ai passé la soirée hier ! » Rien sous gravier, et surtout pas de baleine : « Pas question que l’on se remette ensemble, t’es folle ! On a rompu il y a trois ans, et de toute façon, il est avec quelqu’un depuis quelques semaines maintenant. On se voit, c’est tout. » C’est tout, mais c’est aussi toutes les semaines, ou presque. De candides points de suspension clignotent dans le regard de la petite brune : « Ben, on s’entend bien, il habite à deux rues de chez moi, il passe nourrir le chat quand je ne suis pas là… Je ne vois pas où est le mal ! » Bien que cette conversation ait l’air tombée de la bouche de Keira Knightley, la réalité a depuis longtemps dépassé la comédie romantique. S’il n’y a pas si longtemps, on parlait de ses ex avec gêne ou rancoeur, et en tout cas avec parcimonie, aujourd’hui, il n’est pas rare que l’ex en question se mêle joyeusement à nos conversations. En effet, qu’il s’incruste ou que nous l’incrustions, notre ancien fiancé fait de plus en plus partie de notre paysage quotidien… À tel point qu’aux États-Unis, il a même un nom : « frex », contraction de « friend » (ami) et « ex », avec un porte-étendard cinq étoiles : Gwyneth Paltrow et Chris Martin, qui ne se sont jamais aussi bien entendus (et vus) que depuis qu’ils se sont séparés. Ni amis ni amants, complices sans pour autant être fraternels… Si le terme n’existe pas encore en France, le statut, lui, se généralise d’autant plus rapidement que l’on a désormais plusieurs vies amoureuses, qui, parfois, se superposent. Selon la psychanalyste Isabelle Carlani, « les familles recomposées, qui sont progressivement devenues banales, puis normales, ont anticipé cette tendance. Aujourd’hui, que l’on ait des enfants ou pas, on “recompose”, on ne rompt plus aussi radicalement qu’avant. » D’autant moins que les relations amoureuses n’ont plus la même symbolique ni la même intensité que par le passé : les amours virtuelles et la facilité avec laquelle les liens se font et se défont ont créé des générations de potes, qui font l’amour un certain temps, puis plus, puis à nouveau, sans que cela les affecte profondément. En amour comme au travail, la tiédeur et le consensus tendent à remplacer la passion, chronophage et sociologiquement hors sujet. « C’est un véritable phénomène de société, comme l’observe Véronique Meutey, psychologue clinicienne. On a désormais “ses ex” comme on a “sa bande d’amis”. Aujourd’hui, l’acte sexuel n’est plus aussi impliquant qu’autrefois, il a de moins en moins valeur d’engagement, et appartient même parfois au registre de la camaraderie. Beaucoup de jeunes femmes parlent d’ailleurs de leur conjoint comme d’un bon pote, voire d’une bonne copine, il n’est donc pas étonnant que si la relation sexuelle prend fin, la relation affective, elle, continue. »
Amina approuve joyeusement : « Ça fait quinze ans que je connais Jérôme.
On n’est resté en couple que trois ans, mais il m’a connue quand j’étais toute jeune, on a grandi ensemble, il connaît mon mec, je connais sa femme, et même si l’on ne sort pas tous les quatre, il nous arrive de boire un verre, de temps en temps. C’est un repère pour moi. » Maëlys considère quant à elle son ex comme « un meilleur pote gay, mais en mieux, puisqu’on a couché ensemble. Et même si l’on a dépassé ce stade depuis des siècles, le souvenir de séduction qui reste entre nous est bizarrement… rassurant. » Pas si bizarre que cela, pour le psychologue Yves-Alexandre Thalmann, auteur de « Gérer ses ex », qui parle d’ « homéopathie émotionnelle » pour qualifier ce type de relation, entre la rupture et la vraie relation. La facilité technique avec laquelle on fait des rencontres est inversement proportionnelle à la difficulté de se lier profondément, et de manière pérenne : l’ex est donc un repère affectif sécurisant, une « relation doudou » transitionnelle, voire un conseiller précieux. « Régis a onze ans de plus que moi, confie Lou-Anne, fleuriste de 29 ans. J’étais trop jeune quand on s’est rencontrés, et de toute façon, il est trop posé, trop intello pour moi. N’empêche, j’adore le voir parce que j’apprends toujours des tas de choses avec lui, il me fait découvrir le théâtre, la musique classique… Et puis il me fait également profiter de son expérience d’homme mûr, comme il dit : grâce à ses conseils, j’arrive à trier le bon gars de l’ivraie. »