Cosmopolitan (France)

- Par Fiona Schmidt

ai voté pour la première fois en 2002. J’avais alors 20 ans, des pantalons taille très basse, de grands idéaux candides, et j’affichais les uns et les autres avec la même fierté : j’étais pour la paix, le partage et la tolérance, j’étais contre la guerre et la faim dans le monde, bref, j’avais les opinions politiques de Miss France. Dimanche 21 avril 2002, comme à son habitude, le monde tournait autour de mon nombril, et je ne suis pas allée voter parce que j’avais piscine ou plus vraisembla­blement, une gueule de bois amazonienn­e et l’impression qu’un avion atterrissa­it à l’intérieur de ma tête. Que les adultes élisent un chouette nouveau président et me laissent dormir, merci. Aux alentours de 19 heures, j’ai ouvert péniblemen­t les yeux, j’ai allumé la télé, et suis tombée du cinquième étage, métaphoriq­uement, mais quand même, la chute a été rude. Lionel Jospin, le candidat de la gauche, éliminé au premier tour. Les adultes avaient fait n’importe quoi et le pire, c’est que j’en étais une, d’adulte. Je me suis sentie vaguement coupable et lâche, un peu comme si j’avais piqué son argent de poche à un enfant pour acheter des cigarettes. Je suis allée voter au deuxième tour et depuis, je n’ai plus arrêté : mon épiphanie citoyenne tient à une double gueule de bois. J’assume. Le fait est que j’ai toujours adoré donner mon avis, même gratuiteme­nt, même quand on ne me le demande pas. Or depuis quelque temps, on me le demande sans arrêt, que ce soit pour noter l’amabilité de mon chauffeur Uber, estimer le temps de réponse du service clients de mon opérateur, évaluer la rapidité de livraison de ma pizza quatre-fromages, ou élire les candidats de la droite puis de la gauche à l’élection présidenti­elle. Depuis que le monde entier se préoccupe de mon taux de satisfacti­on, ma vie est devenue un référendum permanent, un marathon intellectu­el épuisant. Parfois je rêve de garder jalousemen­t mon avis pour moi, ou de n’avoir aucune opinion ni sur le choix de la musique de l’ascenseur de mon dentiste, ni sur la défiscalis­ation des heures supplément­aires. Et puis mon naturel revient au galop : donner mon avis au nom de la démocratie et des combats qu’ont menés mes aïeules pour obtenir les mêmes droits que les hommes, pensez, ça ne se refuse pas ! Élections présidenti­elles, européenne­s, législativ­es, municipale­s, régionales… OK, celles-ci, il m’arrive de les sécher… Mais en général dès que j’en ai l’occasion, je me rends aux urnes avec la gravité solennelle d’Antoine Griezmann devant un but portugais. Le cérémonial de l’élection m’a toujours impression­née : d’abord, les bureaux de vote sont souvent des écoles, ce qui me donne l’impression de repasser le bac, d’autant que le programme de certains candidats est parfois plus obscur qu’une équation différenti­elle linéaire. Je tente alors de trouver des soutiens parmi les électeurs qui ont une tête, des chaussures ou un sac à main à voter comme moi, je tire nerveuseme­nt sur ma jupe (reflète-t-elle bien mes opinions politiques ? N’est-elle pas trop libérale, ni trop anticapita­liste ?), je prends un à un tous les bulletins étalés sur la longue table en formica puis je m’éclipse dans l’isoloir dont je ressors quelques secondes plus tard, l’air aussi impénétrab­le que des soldes privés Chanel, pour glisser mon bulletin dans l’urne, avec, parfois, la crainte de n’avoir rien compris à l’exercice et de répondre n’importe quoi. Sauf que la sanction tombe, immédiate et sans appel : « A voté. » Trop tard pour le rattrapage, faudra attendre cinq ans. Au moins j’aurai participé : c’est le principal, comme aux Jeux olympiques. L’essentiel, sur ce coup-là, est de refuser d’accepter les choses que l’on ne peut pas changer, et donner de la voix pour faire changer les choses que l’on n’accepte pas. Ce n’est pas de moi, c’est d’Angela Davis, qui s’y connaît en matière de révolution­s pacifiques et de progrès sociétaux.

Un avis sur tout A voté !

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