Cosmopolitan (France)

... LE DÉCOLLAGE

Si c’est pour rejoindre le sable fin, l’eau turquoise et le bar à mojitos, je veux bien faire un (gros) effort. Aujourd’hui, je vole.

- Par Manon Pibouleau

Je n'ai pas eu le choix : rejoindre Bali en bus, c’est long. Et l’avion, c’est sûr. Les compagnies aériennes se donnent beaucoup de mal pour mettre le passager en confiance. Malgré tout, je doute. Particuliè­rement quand l’hôtesse de l’air m’indique le chemin à emprunter pour gagner mon siège. Évidemment, je la remercie comme si elle m’avait rendu un fier service, mais intérieure­ment, je suis perplexe : dans un avion, il n’y a qu’une seule direction, le couloir. Voilà qu’avant même d’angoisser aux premiers vrombissem­ents des moteurs, je me questionne sur la fiabilité de l’équipage. Est-ce qu’en cas de dépressuri­sation, le personnel va annoncer avec la même logique implacable : « C’est mal barré » ?

Je stresse avant

Installée côté sortie de secours, j’ausculte minutieuse­ment l’appareil. D’abord les ailes : je vérifie qu’il y en a deux. Ensuite, les taches sur la moquette. Preuve que l’avion est bichonné ou pas, dans la fleur de l’âge ou non. Là, tout est OK. Une fois le bagage du dernier passager casé au bout du couloir, à dix mètres de son propriétai­re, on peut mettre plein gaz. L’hôtesse de l’air nous prie de replier les tablettes et d’attacher nos ceintures. Personnell­ement, je m’occuperais aussi de contrôler les rétros du pilote et de le faire souffler vite fait dans le ballon, mais mes deux ans d’ancienneté chez Quick ne pèseraient pas beaucoup dans la balance.

Je flippe pendant

Les réacteurs s’enclenchen­t et pendant qu’on se balade sur le tarmac, j’écoute les consignes de sécurité. C’est important les consignes, quand on vole à des centaines de mètres d’altitude et que l’on pèse une tonne. Mon voisin de droite, en revanche, s’en cogne royalement. Il envoie un SMS plutôt que suivre les directives de l’hôtesse de l’air : « Mettez vos portables en mode avion afin d’éviter toute interféren­ce. » Au lieu de lui aboyer dessus « Range ça illico, espèce de malade », je pense déjà à l’alerte info sur BFM : « Nous avons retrouvé la boîte noire du vol à destinatio­n de Bali, l’origine du crash proviendra­it d’un texto envoyé par un passager au moment du décollage. » Ça y est, on s’envole. Propulsée hors de mes pensées et scotchée sur mon siège, j’observe les autres pour me rassurer. Grave erreur. J’accroche le regard tétanisé de quelques voyageurs. Ils ne disent rien pour ne pas affoler la troupe, mais dans leurs yeux, ils font le signe de la croix : « God bless l’A320. »

Je souffre aussi un peu après

En plus d’être stressant, le décollage est douloureux. L’altitude me donne l’impression qu’on s’exerce au djembé sur mes tympans. Mon voisin, qui avait entamé la conversati­on cinq minutes avant, mais a renoncé à la poursuivre quand j’ai fermé les yeux, me demande si ça va. Je lui réponds que bof, trop de pression pour seulement deux oreilles. Il se gratte la tête, étonné, et clôture l’assistance secours : « Bizarre, je ne sens rien moi ». Durant notre bref entretien, il m’a dit travailler dans la comptabili­té. Je suis soulagée que ses parents ne l’aient pas encouragé à faire médecine, sinon il y aurait plus de victimes que de miraculés : « Vous avez mal au ventre monsieur ? Bizarre, je ne sens rien moi. » En revanche, ma panique, il la trouve attendriss­ante : « Si vous avez peur, vous pouvez me tenir la main. » J’entends plutôt : « Si t’as les chocottes, mauviette, prends exemple sur moi. » Surtout que ma phobie, ça va bien cinq minutes. À l’extérieur, il y a un spectacle bien plus divertissa­nt qu’il m’invite à admirer : le vol au-dessus des nuages. Donc le vide. Et il me reste dix heures pour penser à l’atterrissa­ge.

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