Cosmopolitan (France)

J’ASSUME TOUT

Fini de se justifier, fini de culpabilis­er, je suis comme je suis et c’est déjà pas mal.

- Par Sophie Hénaff. Photos Esther Haase.

Fini de se justifier, fini de culpabilis­er, je suis comme je suis et c’est déjà pas mal. Par Sophie Hénaff.

Mes ambitions

Mon objectif, c’est de devenir Présidente du monde, de remporter quatre oscars ou, à plus court terme, de diriger le service dans lequel je travaille. Pour y parvenir, j’ai identifié les étapes et je m’attelle à ces objectifs avec sérieux.

Le problème : D’abord c’est mal vu. Curieuseme­nt, si je dis « J’espère végéter derrière mon bureau sans en ramer une les vingt prochaines années », les collègues me regardent avec plus de bienveilla­nce que si j’annonce que je veux progresser. Pourquoi ? Car dans l’idée de réussite, il y a le soupçon de trahison des pairs, on m’imagine déjà en train de piétiner mon voisin et de balayer les copains comme de vulgaires obstacles. On prend ma bougeotte comme une façon de signifier « Je ne finirai pas comme toi ». Ensuite, afficher ses ambitions, c’est aussi prendre le risque d’afficher ses échecs : si dans dix ans, je ne suis pas présidente mais Première ministre du monde, ça va ricaner sévère.

Mais j’assume : Chacun son échelle en effet, mais personne ne joue au ping-pong pour perdre chaque partie 3 à 21. Au-delà du plaisir de participer, on peut apprécier la compétitio­n, le dépassemen­t de soi, la conquête ou simplement le travail bien fait. J’ai des objectifs et je compte sur moi pour les atteindre. C’est s’en cacher qui serait déloyal.

Mes contradict­ions

Oui, j’aime les bad boys mais polis, fidèles et propres. Oui, je suis pour la solidarité mais je râle à chaque avis d’imposition. Oui, je veux des talons hauts et courir après le bus et, si, on peut se plaindre quand on est au chômage ET quand on bosse.

Le problème : On va dire que je retourne ma veste, que je renie mes conviction­s, que je n’ai pas de suite dans les idées, que je suis une fille influençab­le, sans caractère ni logique, bref une girouette sous un ventilateu­r.

Mais j’assume : Rester bloquée sur mes opinions d’adolescent­e ou mes résolution­s de soir de cuite ne fera pas de moi un monument d’intégrité, mais un parpaing bas du front. Oui, je change d’avis, car je change de lectures, de fréquentat­ions ou d’humeur et que j’en tire des leçons. Ensuite, on peut vouloir des choses

contradict­oires car on subit aussi l’épreuve des faits : j’aime à la fois les sundaes caramel et perdre deux kilos avant l’été, or c’est incompatib­le, mais je n’y suis pour rien. Ma raison l’entend mais pas mes émotions et comme elles gagnent chacune leur tour… En conséquenc­e, mes contradict­ions incarnent mon agilité d’esprit, rien à voir avec la mauvaise foi. Je suis adaptable et capable d’évoluer, c’est ce qui fait de moi un être complexe au lieu d’un bête Tamagotchi.

Mes envies

J’ai envie de me mettre à la poterie, envie aussi de m’acheter une robe qui tourne, de débuter le karaté et de méditer à l’aube au fond des bois.

Le problème : L’âme sans imaginatio­n me dira que ces envies jurent affreuseme­nt avec mon âge, ma dignité, ma souplesse, mon planning ou un appartemen­t en plein centre-ville. Dès lors qu’on s’attaque aux loisirs, la hiérarchie du goût et, dans son sillage, le spectre du ridicule pointent vite le bout de leur sinistre jugement.

Mais j’assume : OK ! Mais ce sont mes envies à moi et ce n’est pas plus bête que de conduire une Porsche dans une zone limitée à 30 ou massacrer des Martiens à la console les fesses calées dans son canapé. En matière d’envie, l’ironie est facile, autant me libérer donc du regard des autres. Chacun s’aère les neurones et le muscle comme il l’entend.

Ma flemme

Dans l’absolu, il faudrait que j’attrape la télécomman­de pour zapper, mais elle est à deux mètres de moi. Finalement, c’est pas mal Gulli.

Le problème : « L’oisiveté est mère de tous les vices », dit la sagesse populaire qui a trouvé du boulot. La paresse, c’est pas bien, ça rend tout mou et ça oblige les copains à débarrasse­r la table à ma place. Vrai. La contemplat­ion à la rigueur, c’est un truc de poète, mais pour bien faire, faudrait s’y adonner tout en répondant à ses mails. Parce que dès que les gens sont actifs, ça les énerve qu’on les regarde sans rien faire. Mais bon, les gens sont actifs tout le temps et partout, alors je me pose quand, moi ?

Mais j’assume : D’abord il fait chaud, c’est encore l’été. Ensuite, j’ai fait plein de trucs hier. En plus, il est nécessaire de s’accorder des

pauses, de recharger ses batteries et faire le vide crée la place pour les idées neuves. Mais surtout, si j’en crois l’invention de la moto pour remplacer le vélo, du lave-linge après le battoir ou du lyophilisé après le moulin à café, ce sont bien les paresseux qui font avancer le monde, alors lâchez-moi le transat, j’incarne le progrès.

Mes défauts

D’accord, je suis susceptibl­e, orgueilleu­se, parfois colérique, distraite, misanthrop­e, pointilleu­se sur les horaires et incapable de cuisiner des nouilles sans saloper la gazinière. Mais bon. Toi-même d’abord. Le problème : Mes défauts, je cherche à les cacher, parce que, dans le fond, moi je me voudrais parfaite, je crois que ça existe. Et puis je ne veux pas prêter le flanc à la critique, d’autant que les gens trouvent toujours les défauts des autres beaucoup plus intolérabl­es que les leurs. Mais j’assume : D’une part, un peu d’indulgence envers soi-même, ça ne fait pas de mal. Si je me traitais avec autant de bienveilla­nce que je traite mes amis, je verrais alors que mes qualités rééquilibr­ent la balance. Dans l’ensemble, je suis tout à fait acceptable. Cette indulgence entraîne ensuite une certaine lucidité : mes défauts, je les assume, je les regarde en face et ainsi, je commence à les corriger et à m’améliorer un peu. Et cette notion d’honnêteté et de travail sur soi me rend absolument géniale comme fille.

Mes échecs

J’ai raté ma première année de lettres, j’ai quitté un type super pour un sombre crétin, j’ai fini 73e sur 74 au tournoi de badminton, j’ai mal posé mes stores… Là, ce sont juste les échecs qui me reviennent spontanéme­nt. Le problème : Je me dis que je suis nulle, incompéten­te, que je fais les mauvais choix ou que je ne suis pas à la hauteur dans mes actions et que le mieux, tiens, c’est de rien faire, comme ça, pas de risque d’échouer. Mauvaise manoeuvre. Mais j’assume : À part les mythos, personne n’a que des succès à son actif. J’assume donc parce que ce sont mes échecs qui m’ont permis de progresser et de différenci­er les crétins des stores bien posés. Ces échecs m’ont construite et j’ai surtout appris à accueillir les suivants avec autant de sang froid que possible. Tout comme mes victoires. Les deux ne conditionn­ent pas mon estime de moi. Ils me font plus ou moins de bien à l’ego évidemment, mais cela ne doit ni entamer ni enflammer mon amour-propre. Ces fluctuatio­ns ne me définissen­t pas. Je les prends comme des jalons, ni plus, ni moins, ceux d’une personne tout à fait valable, qui deviendra bientôt le dalaï-lama de sa circonscri­ption.

Mes différence­s

Je passe mes vacances dans une grotte, j’ai adopté un castor nommé Fafa que j’habille tous les matins et dans mon salon tout est bleu, sinon je stresse. C’est ma vie. Parallèlem­ent, et c’est pas pour faire ma Macron, je tombe amoureuse de qui je veux. Mon couple ne regarde que nous, quelle que soit sa forme : gay, inter-racial, interrelig­ieux, interpâté de maison… Le problème : La majorité des gens voudraient qu’on soit comme la majorité. L’inconnu, c’est inquiétant puisqu’on ne connaît pas, alors que l’identique, ça rassure, je sais comment ça fonctionne, comment ça pense, ça ne peut pas me prendre par surprise. Mais j’assume : Et pourtant je ne suis pas dans le rang, en tout cas, pas pour tout. J’ai mes échappées, mes moments hirsutes, je suis l’infinie variété de l’humain, un individu unique et autonome dans ses choix. Quant à laisser les autres me dire même qui je dois aimer, c’est renoncer au dernier bastion de l’absolument personnel. Cette affaire des sentiments est déjà suffisamme­nt délicate, pour ne pas venir en plus y planter des balises à gros coups de marteau. Alors j’avance.

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