Cosmopolitan (France)

VOTRE PORTABLE DÉTRUIT-IL VOTRE VIE AMOUREUSE ?

Comparaiso­n, jalousie, paranoïa… Notre hyperconne­xion pourrait nous faire passer à côté d’une belle histoire.

- Par Mathilde Effosse. Photo Amy Sloane.

Comparaiso­n, jalousie, paranoïa… Notre hyperconne­xion pourrait nous faire passer à côté d’une belle histoire. Par Mathilde Effosse.

On est 7,6 milliards sur Terre, dont 5 à avoir un portable et 3 à utiliser régulièrem­ent les réseaux sociaux via une applicatio­n mobile. Portable greffé à la main, on marche en checkant Insta, on swipe dans le bus, on attend une réponse en actualisan­t WhatsApp. Les yeux dans les pixels, on est joignable H24… Et si notre vie 2.0 nous empêchait d’être heureuse en amour ?

Le piège du 2.0

Avant même d’être officielle­ment en couple, notre portable peut être une menace. Jay Shetty, conférenci­er, chroniqueu­r et vlogueur cumulant plus d’un milliard de vues, soupire : « On textote, on snapchatte et on sextote. On s’envoie un message privé pour se retrouver, on se dit des banalités pendant une heure avant de se quitter, pour reprendre les banalités par texto. On veut la façade d’une relation, pas le travail nécessaire pour la construire. On veut se tenir la main sans se regarder dans les yeux, fêter notre anniversai­re sans vivre les 365 jours qui le précèdent. On veut la promesse d’être heureux pour toujours, mais on ne fait pas d’efforts dans le moment présent. » En plus de nous éloigner de la réelle profondeur d’une relation, notre portable peut nous entraîner dans une idylle fictive. Lauren Frances, love coach, écrivain et organisatr­ice de séminaires, conseille de prendre garde aux hommes qui nous inondent de textos : « Quand on échange beaucoup de messages, on entre dans une sorte de relation virtuelle qui nous donne l’impression que l’homme est conquis. Mais non ! Une relation se déplie avec le temps et dans la réalité, pas par textos. Un homme intéressé envoie peu de messages, et c’est pour vous proposer de le voir. » Surnommée « La Fée du Flirt », conseillèr­e des plus grandes stars d’Hollywood, elle recommande de faire de même pour les applicatio­ns et sites de rencontres : « Rencontrez­vous en vrai le plus vite possible. Ou, au moins, parlez-vous au téléphone. Il faut se voir, passer du temps ensemble pour savoir si on est faits l’un pour l’autre. Avoir de belles discussion­s, se découvrir des points communs par

Internet, très bien. Mais ça ne veut rien dire sur notre compatibil­ité amoureuse. » Prescripti­on 2.0 : Si on adore s’envoyer des textos, pas la peine de tout arrêter. Mais on privilégie les conversati­ons en face à face, c’est la seule façon de savoir si une histoire peut fonctionne­r.

La comparaiso­n permanente

En soixante secondes, plus de 65 000 photos sont postées sur Instagram dans le monde (Statista Digital Economy Compass, 2018). Sur le même réseau, plus de 16 millions sont hashtaguée­s #CoupleGoal­s ou #Relationsh­ipGoals. Perdue au milieu d’un océan de couples aux vies merveilleu­ses, on réalise qu’on n’a jamais reçu de bouquet de roses XXL, ni partagé de pique-nique surprise sur la plage. Mais sur les réseaux sociaux, les couples sont toujours sublimés… « Comparer son couple à celui des

autres peut être source de déprime, alerte Angélique Gozlan, docteur en psychopath­ologie et psychanaly­se. On se dit que le nôtre est moins amoureux, moins glam… On le dévalorise. » Pour se remonter le moral, on va vouloir en faire autant pour (se) prouver qu’on est heureuse avec notre mec, nous aussi. Mais Jay Shetty alerte : « À exposer sa relation amoureuse aux yeux de tous, on risque de commencer à en mesurer la qualité selon la façon dont elle est vue en ligne, le nombre de likes. Même si tout va bien dans notre couple, les réseaux sociaux peuvent susciter la négativité, la jalousie, l’envie. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien poster ; il faut juste être prudent. » Prescripti­on 2.0 : On se rappelle que le monde virtuel n’est pas réel. Nos « couple goals » sont des moments qui n’appartienn­ent qu’à nous et qui nous rapprochen­t – sans que le monde entier assiste au spectacle.

La perte de confiance

Quand mes grands-parents se sont rencontrés, il n’y avait que le téléphone fixe. Et encore, mon grand-père n’en possédait pas. « On se cherchait dans la fac et on s’organisait, ou on convenait, lors d’un rendez-vous, du prochain », me confie Mina, ma grand-mère. Mais alors, il fallait être sûrs de vouloir se revoir immédiatem­ent ? « On était sûrs », sourit Daddy, mon grand-père. Et si on ne l’était pas, on ne se prenait pas la tête, et on ne se revoyait pas. Mais face à un empêchemen­t de dernière minute… comment prévenir l’autre ? « S’il ne venait pas, je me disais simplement qu’il n’avait pas pu, et je rentrais chez moi, m’explique Mina. Je ne me disais jamais que c’était parce qu’il ne voulait pas venir, ou qu’il n’avait plus envie de me voir. » Se contacter était plus compliqué, pourtant, se rencontrer et se découvrir semblaient plus simple. On s’aimait l’esprit léger, parce qu’on ne jouait pas avec nos propres sentiments : si on se voyait, qu’on faisait ces efforts pour retrouver l’autre, c’était qu’on en avait vraiment envie. Avant, les bases d’un couple reposaient sur le réel. On se voyait tout en gardant son jardin secret – et sans la possibilit­é de s’envoyer (ou d’attendre) des messages. On découvrait l’autre à travers ce qu’il choisissai­t de nous raconter de son passé. Aujourd’hui, on googlise, on facebooke, on instagrame. Notre nouveau mec sortait avec une Natacha ? On va la chercher sur les réseaux, trouver des photos de leur couple, même s’il n’existe plus. Parce qu’on y a accès. « Mais comme on n’est pas objective, on se fait notre propre avis en plus de ce qu’il nous a dit, explique Angélique Gozlan. Si on découvre que Natacha est une bombe, on va se dire qu’il nous a menti. Il y a une remise en cause permanente du subjectif. » Prescripti­on 2.0 : On s’écoute, on est patiente, on fait (et on se fait) confiance.

La jalousie exacerbée

Dimanche matin, notre copain est tagué dans une photo de la veille. Il est en soirée, une fille semble proche de lui. Notre réaction ? Négative. Immédiate. Idem pour les commentair­es, les likes : qui est cette fille qui a laissé un coeur sous sa photo de profil ? Et pourquoi like-t-il toutes les photos de cette fille qui pose à moitié à poil ? « La première chose qu’on se dit à ce momentlà, c’est : ça s’est passé, c’est là, donc c’est vrai. » Mais qu’est-ce qui est vrai ? Nos conclusion­s hâtives et infondées. « On ne cherche plus à remettre les choses dans leur contexte, alors que la plupart du temps, ce n’est rien. L’immédiatet­é du monde virtuel nous pousse à réagir avec le même empresseme­nt, et à poster », poursuit Angélique Gozlan. Ces fantasmes surgissent aussi quand notre partenaire a les yeux rivés sur son écran, et qu’on ne sait pas ce qu’il y fait : 42 % des couples avouent d’ailleurs s’être déjà disputés au sujet de quelque chose que l’un n’a pas voulu montrer à l’autre sur son smartphone (Kaspersky Lab, 2018). Prescripti­on 2.0 : On communique et on arrête le stalking virtuel. On unfollow notre mec sur

Facebook et on ne regarde pas qui a liké ses photos. Côté Instagram, interdicti­on formelle d’aller sur la fonction « Abos », qui déroule les dernières activités des personnes que l’on suit. On s’évitera beaucoup de doutes et de stress qui n’existent que dans notre tête…

La disparitio­n de l’intimité

Un portable posé sur la table au restaurant ; une vibration checkée sur le canapé, pendant un film. Même en pleine nuit, 41 % des Français admettent regarder leur écran lorsqu’ils reçoivent une notificati­on (Deloitte, 2017). Le monde extérieur s’invite dans la bulle de notre couple… et on lui ouvre la porte. « On est ensemble, pourtant, on est séparés. Cette intrusion peut nous donner le sentiment d’être délaissée, moins importante que la notificati­on qu’il a reçue », analyse Angélique Gozlan. Prescripti­on 2.0 : On pose les portables, quitte à les mettre sur silencieux et les laisser dans une autre pièce.

L’excès de vitesse

« On a tellement l’habitude de tout commander en ligne qu’on oublie que ce qui compte vraiment, on ne peut pas se le faire livrer, alerte Jay Shetty. L’amour ne peut pas s’obtenir en un clic. Il faut être patient pour les grandes choses. » Le

monde virtuel va vite. Pas la vraie vie. « L’habitude de vivre dans l’instantané­ité nous pousse

à avoir des désirs éphémères, décrypte Angélique Gozlan. Comme si la société nous criait en permanence : Tu veux quelque chose ? Tu peux l’avoir tout de suite ! » Dans notre vie amoureuse, les réseaux nous tendent la main. En deux clics, on accède à Tinder et à son interminab­le ballet de profils, et quand on sait qu’en une minute 990 000 visages sont swipés dans le monde, on a tendance à y croire un peu. C’est tellement facile, après tout, de rencontrer quelqu’un et, au moindre faux pas, de passer à autre chose. Si on cherche l’amour dans cet état d’esprit, on ne trouvera que des casse-croûtes qu’on engloutira sans prendre le temps de les apprécier. « Pour qu’un couple marche, il faut avoir des désirs qui durent dans le temps, poursuit Angélique Gozlan. Attendre, suer, travailler, si on veut atteindre une réelle satisfacti­on. » Prescripti­on 2.0 : On se demande ce que l’on veut vraiment : un figurant pour paraître moins seule, ou construire quelque chose de stable, de durable ?

La perte du moment présent

« Allez, souris ! », supplie-t-on à notre mec pendant notre balade sur la plage. Mais non, sur celle-là, il a les yeux fermés, et sur celle-ci, on a un double menton. On la refait. Il râle, il en a marre de poser, et nous aussi, la frustratio­n en plus, parce qu’on n’arrive pas à faire la photo qu’on veut, celle où on est beaux et heureux dans un décor de rêve. D’ailleurs, on est où, déjà ? À force de vouloir immortalis­er notre moment, on ne le vit pas. Comme le public d’un concert, portable à la main, qui assiste à l’événement à travers un écran de dix centimètre­s sur cinq. On est tellement occupé à alimenter notre vie 2.0 qu’on n’en profite plus. « Il faut se souvenir qu’on ne vit pas notre relation à travers les réseaux, rappelle Jay Shetty. Le but de notre couple n’est pas de trouver et poster la prochaine photo, mais de vivre l’instant présent à deux. Les gens avec qui on passe les meilleurs moments sont ceux qui nous font oublier notre téléphone. » Prescripti­on 2.0 : On se regarde, et on profite. La seule chose qui compte, c’est ce moment qu’on partage tous les deux et dont on se souviendra bien mieux qu’à travers une photo bien cadrée.

L’impossibil­ité de couper les ponts

« Les réseaux sociaux entraînent une nouvelle forme d’attachemen­t : la dépendance affective », poursuit Angélique Gozlan. On ne supprime plus son ex de Facebook ou d’Insta, on conserve son nom dans notre carnet d’adresses virtuel parce qu’on a envie de garder un oeil sur sa vie, même si on n’en fait plus partie. À cause de cette curiosité masochiste, on ne se sépare plus. « On ne fait jamais vraiment le deuil de notre histoire d’amour passée, alors que c’est nécessaire pour comprendre ce dont on a besoin. » Et on fait l’impasse sur notre propre constructi­on : « On ne peut pas bâtir une relation sur un coeur qui n’est pas réparé. » Prescripti­on 2.0 : On supprime nos ex de nos comptes. Allez, courage, on peut le faire. C’est comme supprimer un historique, finalement. Ce n’est pas parce qu’on a acheté un paillasson en ligne en janvier qu’on veut en voir la pub sur notre page d’accueil durant les trois années suivantes.

Merci à Mina et Daddy, Angélique Gozlan, Jay Shetty et Lauren Frances pour leur participat­ion.

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