Cosmopolitan (France)

... LES EMBOUTEILL­AGES

Sur la route, plus on est de fous, plus on fait la gueule.

- Par Manon Pibouleau

Comme j’habite une ville desservie par 14 lignes de métro et 5 RER, j’estime qu’être propriétai­re d’une voiture, c’est utile comme une doudoune sans manche. Du coup, je me déplace comme la nature m’a faite : à pied. Je ne fais pas partie de ces gens pour qui la voiture est indispensa­ble. Ceux dont le réveil est réglé en fonction des heures de pointe sur le périph. Eux, ils sont rodés, ils ont les nerfs musclés, le clignotant réactif et ils savent comment occuper leur attente, enfermés dans 4 m2. Moi, la seule période de l’année durant laquelle je sue à grosses gouttes en enfonçant ma main sur le klaxon, ce sont les vacances.

Premières frictions

Direction le sud ! Je prends le volant de la voiture de loc, Bichon regardera le paysage. On se met en route le coeur léger et le coffre blindé. Rien ne nous arrêtera. C’est ce que l’on croit… Après trente bornes, notre élan est interrompu par une vague de warnings. On se mord les lèvres, on prie très fort Bison Futé, mais rien à faire. Notre vitesse chute à 15 km/h et comme une tuile n’arrive jamais seule, j’ai très envie d’aller aux WC. Pendant qu’il rafraîchit le GPS, mon copilote me fait une remarque constructi­ve «T’avais qu’à y aller avant de partir ». Comme toute menace de « je t’abandonne ici si tu continues à me taper sur les nerfs » est inutile (en marchant, il serait foutu d’arriver avant moi), je ronge mon frein. Déjà 30 minutes d’attente sous 30 degrés et physiqueme­nt, on se rapproche plus de la chipolata que de l’être humain. Heureuseme­nt, à force de triturer tous les boutons, la clim fonctionne, je sens l’air frais. Joie de courte durée parce que Bichon rouspète, « On va tomber malade, en plus ça flingue la planète ». Message reçu : coupure de l’air conditionn­é. À la place, j’allume la radio. On a le choix entre Nostalgie qui grésille ou Vinci Autoroute pour « un point trafic ». A priori, je suis déjà au courant que c’est rouge dans le sens des départs, je préfère donc France Gall. Ça permet de jouer à « devine les paroles » quand la chanson se coupe juste au milieu. Je suis en plein refrain d’« Ella Elle l’aaa… » quand j’entends notre voisin de voiture rigoler, en pointant l’iPhone dans ma direction. Lui aussi il s’occupe, mais version 2.0 et ramasse des likes à mon détriment, #Yaplusdere­spect.

Premier roupillon

Si j’ai réussi à contrôler mes nerfs en début de trajet, là, je craque. Les embouteill­ages me rendent bête et méchante. J’essaie d’être plus maligne que tout le monde en braquant d’un coup sec sur la file de gauche et toi, la Toyota qui fait semblant de ne pas me voir, je te garantis que tu vas me laisser passer. Évidemment, pile quand je m’insère, la file de gauche s’arrête net et celle que je viens de quitter accélère. Ah non, c’est bon ! La mienne redémarre mais le monsieur juste devant prend tout son temps pour avancer. Perso, la provoc gratuite, je déteste ça. Du coup, je fais des grands moulinets énervés pour qu’il interprète mon message depuis son rétro : « Tu vas la bouger ta caisse ? ! ». Parce que rouler, même un chouïa, c’est bon pour le moral. Il y en a d’autres à qui les bouchons donnent des ailes : les motards. Certes, ils ne peuvent pas embarquer plus de deux slips dans leur topcase, mais ils slaloment entre les voitures avec une agilité rageante. Pendant que mon niveau d’énervement atteint un stade critique, mon copilote, lui, pionce sans vergogne. Ça me gonfle – mais ça repose aussi.

Premier kif

En tout, il y aura eu : deux arrêts pipis, trois engueulade­s et dix heures de route, mais là, on y est. On gare la voiture comme on balance les chaussures, après une rude journée de boulot. Le soleil est encore là et on descend sur la plage. Les yeux dans les vagues, je me dis que c’est fou l’esprit humain : à la première minute de plaisir, on oublie instantané­ment la douleur. Ça y est, les vacances ont commencé !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France