MOI ET… LES APPLIS
Je scrolle, je like, je face-swape et parfois même je crushe, grâce aux merveilleuses icônes rangées dans mon portable.
Jadis, quand on posait une assiette devant mon nez, je dégainais la fourchette plus vite que mon ombre. Aujourd’hui ? Fini. La technologie a transformé ma vie. Avant, je mangeais. Maintenant, je photographie et je partage ma quiche avec le monde entier sous le #Foodporn. L’amour ? Je le dégotte dans mon salon. En direct du canapé, le pyjama remonté jusqu’aux cernes, je me connecte à Tinder et les hommes défilent sous mon index. Je repère les nouveaux modèles, vérifie s’ils sont à ma taille et hop, swipe à gauche si c’est le coup de coeur. Grâce aux applis, ma vie est plus simple, plus rapide, plus belle, plus saine. Si j’ai du mal à fermer l’oeil, Noisli diffuse dans mes oreilles
le son apaisant des vagues. Pour passer le temps dans le bus, j’aligne des bonbons multicolores sur Candy Crush. En cas de rhube, je prends rendez-vous via Doctolib. Et Yuka scanne la composition de mes courses avant de les mettre dans mon caddie, histoire de ne pas polluer ma santé. Je barbote joyeusement dans cet océan numérique. Je me suis mise à jour, et cette nouvelle version de moi, je l’adore. J’ai accès à tous les bons plans, toutes les opportunités pro et je twitte ma star préférée si je veux. Mon smartphone, c’est ma baguette magique et les applis, mon grimoire. Alors pourquoi je me sens nauséeuse ce matin ? À peine debout, il a déjà vibré vingt fois. Devant
mes yeux, un café fumant et la newsletter du « Monde ». Elle m’alerte des horreurs aux quatre coins du globe. Pour calmer le mal, je décide de le tenir hors de portée. Pas suffisant. Il se rappelle à moi, il me géolocalise, il sait tout parce que je lui ai tout donné : du numéro de CB jusqu’à mes mensurations. Si l’appli Pacer, qui calcule mon nombre de pas quotidien, juge que je suis feignasse, je rôde dans mon quartier jusqu’à atteindre les 10 000 pas. Mes applis veulent que je sois parfaite. Elles m’encouragent à économiser mon énergie et en contrepartie, je dépense mon argent. Manger, je sais faire, mais peler, laver, couper, et cuire, bof. Alors je clique et je me fais livrer. Et s’il est trop tôt ou trop tard, que je suis trop fatiguée ou trop en retard, je commande un Uber pour me livrer moi-même. Souvent, le trajet ne coûte pas plus de 7 euros. Alors je clique, clique et reclique…
Un matin, dans la rue, en train de scroller sur Instagram, je percute un monsieur qui like sur Facebook. Le choc fait voler mon portable et j’assiste, impuissante, à l’accident mortel. Le temps de gratter le fond de mon compte en banque et trouver un portable qui ne coûte pas un Smic, je pleure. Je me perds dans une ville où j’habite depuis cinq ans, et mes trajets deviennent interminables sans musique. Je me sens abandonnée. Et puis, par la force des choses, je m’adapte. Je lève la tête et je me souviens du nom des rues. Avant de claquer la porte, je pense à mon livre. Je suis plus attentive quand on me parle et je pose des questions auxquelles aucun profil Facebook ne peut répondre. L’épisode « Chute libre » de la troisième saison de « Black Mirror », celui où chacun est noté de 0 à 5 sur son comportement en société, achève de me convaincre : je ne dois pas retourner en arrière. Sur mon nouveau smartphone, je ne conserve que les applis simples… basiques.
Révolution Saturation Émancipation