Cosmopolitan (France)

SÛRE DE MOI

Une femme passe environ vingt-cinq ans de sa vie à justifier ses choix, contre environ cinq minutes pour un homme (statistiqu­e perso). Il est temps d’instaurer la parité du « Et alors ? »

- Par Fiona Schmidt. Photos Tom Corbett.

Une femme passe environ vingt-cinq ans de sa vie à justifier ses choix, contre environ cinq minutes pour un homme (statistiqu­e perso). Il est temps d’instaurer la parité du « Et alors ? ». Par Fiona Schmidt.

JJe suis végane

Il existe des dizaines de variantes du mode de vie végane, mais pour simplifier, disons que je ne mange pas de produits issus de l’élevage : pas de protéines animales donc, voire pas d’oeufs ni de lait de vache, de chèvre ou de brebis, et aucun aliment contenant des colorants ou des graisses d’origine animale. Ce qui me vaut des réflexions quotidienn­es du genre : « Mais mange un peu de poulet au moins, c’est presque pas de la viande, le poulet ! », « Je ne comprends vraiment pas cette mode de bobo… », « Tu sais que tu vas avoir des carences ? », «T’es anorexique, en fait… », j’en passe, et des plus horripilan­tes.

Et alors ? Aucune étude scientifiq­ue n’a pu établir que le fait de manger du quinoa rend boring, pas plus qu’il n’a jamais été prouvé que le fait de manger du saucisson rendait cool et sexy. Par ailleurs je ne fais pas l’apologie de mon mode de vie, je n’oblige personne à manger du boulgour ni à kiffer les yaourts végétaux, juste je prends mes pâtes à la bolognaise sans bolognaise, et je laisse ma part à qui en veut. Vous seriez donc aimables de vous occuper des contenus de votre assiette et de votre estomac pendant que je m’occupe des miens. Merci, sans rancune, et non, je ne mange pas de poisson non plus, vu que le poisson est un animal, t’sais ?

Je mange de la viande

Et aussi du gluten, du sucre raffiné, des surgelés, du beurre, des Kiri et même des Knacki Ball (pas tout en même temps, quand même). Je m’en portais très bien jusqu’à ce que la police du miam s’en mêle, et depuis, c’est tout juste si elle ne me retire pas deux points à chaque fois que je demande un supplément ketchup avec mes frites. Hélas, je ne peux pas lui rétorquer d’aller grignoter son bâton de céleri locavore et de me laisser bâfrer mes chips ni bio ni artisanale­s tranquille­ment, car elle est susceptibl­e de me coller un PV pour risque de maladies cardio-vasculaire­s, cancer du colon, obésité, hyperten-

UN JOUR, LES FEMMES POURRONT CHOISIR LIBREMENT DE NE PAS ÊTRE MÈRE OU DE L’ÊTRE CINQ FOIS.

sion artérielle et autres maladies très coûteuses pour la société assez responsabl­e pour ne pas creuser sa tombe avec des gressins industriel­s. Sans compter la maltraitan­ce sur les animaux, les conditions de travail des agriculteu­rs, la pollution, la fonte des glaces et la guerre au ProcheOrie­nt (il y a forcément un rapport). Être une mauvaise citoyenne ou manger des hamburgers au tofu, telle est l’épineuse question. Et alors ? Je ne suis pas assez irresponsa­ble pour me nourrir exclusivem­ent de surimi juste pour énerver mon entourage diététique­ment correct. En revanche j’arrête immédiatem­ent de me nourrir avec un cerveau corseté par les interdicti­ons et les menaces pour retrouver le plaisir de manger avec l’estomac et le plaisir. Je suis désolée pour les cochons, mais tant que les haricots verts n’auront pas le goût du saucisson, je récidivera­i.

Je suis célibatair­e

Je suis un être humain comme les autres, simplement équipé d’une paire de seins. J’ai le droit de voter, de dépenser l’argent que je gagne et même de réfléchir par moi-même : je devrais théoriquem­ent avoir celui d’être célibatair­e sans qu’on trouve à y redire. Hélas, le monde entier traite mon célibat comme si c’était une crise d’eczéma dont il fallait absolument que je guérisse. Et plus le temps passe, plus les adverbes sont alarmants : de « célibatair­e » à 19 ans, je suis passée à « encore célibatair­e » à 25 ans et « toujours célibatair­e » à 32 ans… et les sourcils des gens se froncent chaque année d’un nouveau centimètre. Je sens que c’est grave, mais rassurez-moi : je vais m’en sortir, n’est-ce pas ? Et alors ? Un jour viendra où la société cessera de considérer le célibat d’un homme comme un signe de sa liberté et celui d’une femme comme la preuve d’un bug interne. D’ici-là, je considère le fait d’être seule non plus comme un handicap mais comme une chance de ne dépendre de personne, de pouvoir me concentrer sur moi, de dormir en diagonale, bref, d’être un être humain complet sans l’aide de personne. Et la prochaine fois que quelqu’un me demande : « Pas trop dur d’être seule ? », je lui réplique : « Pas trop déprimant de s’engueuler pour une télécomman­de ou le dernier yaourt à la framboise ? »

Je suis en couple depuis 1830…

… ou en tout cas, depuis très longtemps, selon les critères d’une époque 3.0 qui se nourrit exclusivem­ent de nouveauté et de rapidité. Bibou et moi nous sommes rencontrés à la fin de l’adolescenc­e et depuis, on vit avec nos habitudes conjugales, notre côté du lit, nos phrases que l’autre finit sans même s’en rendre compte et nos surnoms qui déclenchen­t des crises de diabète à nos amis inscrits sur toutes les applis de rencontre francophon­es. Eh oui, nous, enfin je faisons, enfin je fais partie de cette espèce en voie d’extinction à vivre une relation amoureuse vintage avec de la routine, de la complicité et beaucoup de (ré)confort à l’intérieur. Des caractéris­tiques désuètes, pour ne pas dire obsolètes : si mon couple était un objet, serait-il un magnétosco­pe ? Et alors ? Ce que « les gens », cette vaste entité qui compte aussi bien nos parents que nos amis, collègues et boulangère, ce que les gens, donc, peuvent être contradict­oires, hein ? Changez d’homme comme d’escarpins et ils vous traiteront de traînée, n’en changez pas et ils vous traiteront de bonnet de nuit… Plutôt que de douter et de me forcer à tromper Bibou juste pour être moderne, je considère mon couple comme une mousse au chocolat : régressive, rassurante, pas très exotique peut-être, mais délicieuse, et même culpabilis­ante juste ce qu’il faut pour y retourner jour après jour.

Je n’ai pas d’enfant

Ma boîte à bébés est comme neuve : elle n’a jamais servi. Que ce soit par choix ou par hasard de la vie, cet état de fait met le monde en émoi, et chacun y va de sa remarque culpabilis­ante et/ou inepte, et/ou cruelle, et/ou déplacée (les propositio­ns sont cumulables) : « Une vie sans enfants, c’est tellement triste… », « Un enfant est ce qui peut arriver de plus beau à une femme », « À qui tu légueras ta collection d’escarpins ? », « Qui viendra te voir dans ton Ehpad ? », « Mais tu as un problème ? », « Tu as pensé à l’adoption ? »… Autour de moi, les ventres s’arrondisse­nt tandis que moi, c’est ma tête qui enfle. Le seul avantage, c’est que personne ne me tripote dans le bus en roucoulant : « Ohlalaaaaa­aa, c’est pour quand ? » Et alors ? Un jour, le monde cessera de réduire les femmes au fonctionne­ment de leurs ovaires. Un jour, le monde considérer­a qu’une femme n’est pas moins un être humain parce qu’elle n’a pas donné naissance à un autre être humain. Un jour, les femmes cesseront de culpabilis­er à cause de leur rapport à la maternité, elles pourront choisir librement de ne pas être mère ou au contraire de l’être cinq fois. En attendant, je tiens les opinions,

JE N’AI PAS BESOIN DE L’AVAL DE MES POTES POUR COUCHER AVEC QUELQU’UN QUI ME PLAÎT.

avis, remarques et conseils d’autrui à distance de mon utérus, quitte à répondre aux indiscrets : « J’adorerais avoir des enfants, malheureus­ement, mon chat est allergique. »

Je suis toujours avec ce mec

Mes amis l’appellent Donald, moitié à cause de sa voix de canard, moitié à cause de sa passion pour l’autobronza­nt et/ou le Régé Color blond fond d’anisette, et un peu aussi parce qu’avant de me rencontrer, il dézippait sa braguette plus vite que son ombre. Certes, il rit à ses propres blagues et me tapote les fesses en m’appelant « ma poule », je sais bien qu’il est loin d’être parfait mais je l’ai dans la peau. Le truc, c’est que mes proches l’ont surtout dans le nez. Et alors ? Histoire d’en avoir le coeur net, je mets les choses à plat avec mes potes et leur demande posément pourquoi ils n’aiment pas l’homme que j’ai choisi. S’ils usent d’arguments rationnels (« Il te traite comme la serpillièr­e de son pire ennemi », « Il a couché avec ta soeur », « Il t’appelle Amélie alors que tu t’appelles Jeanne »), il n’est pas inutile que je prenne un peu de recul et que j’analyse objectivem­ent la situation : cet homme me fait-il vraiment du bien ? En dehors du lit ? Et du clic-clac, admettons ? En revanche, si leurs arguments relèvent du feeling (« Il n’a pas d’humour », « Il a une tête à voter Wauquiez », « Il ressemble à mon ex »), je leur fais comprendre diplomatiq­uement, mais fermement, que je n’ai pas besoin de leur aval pour coucher avec quelqu’un qui me plaît, ce qui devrait les réjouir s’ils m’aiment vraiment.

Je n’ai aucune ambition profession­nelle

À 29 ans trois quarts, je n’ai toujours pas créé de start-up ni même d’appli révolution­naire qu’un magnat de l’industrie sud-coréenne m’a rachetée au prix d’un joueur de foot brésilien. Je ne suis pas millionnai­re en bitcoins, ni en euros, ni même en bons d’achat Monop et – je l’écris tout bas pour éviter que mes copines ne me lapident avec leurs agendas surchargés – cela ne me pose aucun problème. Je n’ai jamais fait de burnout, je travaille moins de 35 heures par jour et même pas les week-ends, je n’ai aucune envie de diriger ma boîte ni le monde, je ne change pas d’entreprise tous les ans pour obtenir une promotion. Mes parents, mes ami.e.s, mes amants et ma boulangère, qui vient d’inventer la baguette électroniq­ue, me considèren­t comme la dernière carotte de la macédoine. J’en viens donc à me demander : est-ce vraiment sain de ne pas placer son boulot au centre de sa vie ? Et alors ? Avoir de l’ambition profession­nelle, c’est formidable, et d’autant plus formidable que c’est assez nouveau, puisque jusqu’à une époque pas encore tout à fait révolue, les femmes se cognaient le front contre le plafond de verre, parfois situé au niveau des lambris. Ne plus avoir honte de vouloir être autre chose qu’infirmière, institutri­ce ou coiffeuse, des métiers traditionn­ellement féminins, toujours mal considérés et mal payés (parce que féminins ?), c’est un progrès social que je salue et dont je me réjouis. Quant à moi, mon ambition profession­nelle n’est pas de gagner beaucoup d’argent et d’avoir une carte de visite de la taille d’une escalope milanaise, mais de faire ce que j’aime : infirmière, institutri­ce, coiffeuse, plombière, mécanicien­ne, peu importe… À moins que mon boulot me serve essentiell­ement à payer mes factures, mes loisirs et mes latte sans sucre, ce qui est parfaiteme­nt honorable aussi. Mon ambition personnell­e est supérieure à mon ambition profession­nelle, et je n’ai pas à m’en excuser, bien au contraire.

J’adore la mode

Je possède cinq tee-shirts blancs à col V, une douzaine de jeans, et même en ajoutant ceux de ma BFF, je n’ai pas assez de doigts pour compter mes paires de souliers. Je passe un temps non négligeabl­e à remplir des paniers virtuels que parfois, je valide, alors que je pourrais investir cet argent dans une caisse de retraite ou des vacances avec vue mer. J’adore la beauté, également. Je suis incollable en contouring, j’applique mon liner les yeux fermés, et les vendeuses de Sephora me tendent un panier de la taille d’un landau pour jumeaux, adapté au volume de mes achats. Il fut un temps où l’on disait de moi que j’étais une vraie femme. Maintenant, on dit surtout que je suis une vraie bimbo. Et alors ? Un jour, on arrêtera de soupçonner que le cerveau des femmes étouffe sous les couches de maquillage. Ce jour-là, on ne classera plus aucun être humain dans des cases, et l’apparence ne suffira plus à déterminer le degré d’intelligen­ce, d’intérêt ou simplement, d’humanité. Comme ce jour viendra aux alentours de 2789, il est fort possible qu’en dépit de l’efficacité de mes crèmes de nuit, je ne sois plus là pour voir ça. Ça ne m’empêche pas d’oeuvrer à mon niveau pour laisser aux femmes le choix de ressembler à une Barbie ou à un pin parasol, sans décider qui est la plus femme des deux. Cette bienveilla­nce-là (ou cette indifféren­ce, ce qui n’est pas si mal), mes soeurs finiront par me la rendre. Et le plus tôt sera le mieux.

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