Cosmopolitan (France)

MARRE D’AVALER LA PILULE !

Ces dernières années en France, le recours à la pilule a chuté, passant de 50 % à 41 %. Plus qu’un ras-le-bol, un acte féministe, et une volonté de se réappropri­er son corps. Enquête.

- Par Sophie Billaud

Ces dernières années en France, le recours à la pilule a chuté, passant de 50 % à 41 %. Plus qu’un ras-lebol, un acte féministe, et une volonté de se réappropri­er son corps. Enquête. Par Sophie Billaud.

L« La première fois qu’on me prescrit la pilule, j’ai 16 ans. Pas d’autres choix, la gynéco ne me parle pas d’autres moyens de contracept­ion. Et pendant plus de quinze ans, quotidienn­ement, je pense à la prendre, à surtout ne pas oublier. » Sauf qu’aujourd’hui, Alexandra, 31 ans, est célibatair­e et ne voit plus l’intérêt d’avaler une dose quotidienn­e d’hormones : « Pas seulement parce que je n’ai plus de rapports réguliers, mais je m’interroge. Ma gynéco me conseille alors de passer au préservati­f, ce que je fais, et depuis l’arrêt de la pilule, je me sens mieux, plus légère, j’ai moins de sautes d’humeur. Pour la suite, je suis en train de faire mes propres recherches sur un remplaceme­nt de la pilule quand je serai à nouveau en couple. Car je sens que mon corps me dit merci d’avoir arrêté et il est hors de question que je reprenne la pilule. » Comme Alexandra, nombreuses sont celles qui attestent que la pilule est la seule option qu’on leur ait proposée. Comme Alexandra, elles sont nombreuses à s’interroger sur ce qu’on leur a toujours présenté comme une « évidence ». La journalist­e

Sabrina Debusquat affirme dans « J’arrête la pilule » aux éditions LLL Les Liens qui Libèrent : « Le malaise est si profond qu’on préfère s’informer sur Internet qu’auprès de son médecin. » Et elle ajoute : « Les femmes doivent pouvoir choisir leur contracept­if en toute conscience. Sans zones d’ombre. »

La parole aux femmes

Incontesta­blement, la pilule est un acquis, on ne reviendra jamais sur ça. Il ne s’agit pas de retourner en arrière ou d’ignorer ce pourquoi les femmes se sont battues des décennies auparavant. Afin d’éviter tout malentendu, Sabrina Debusquat indique à juste titre : « C’est au contraire pour balayer les peurs du passé et avancer avec les exigences féministes actuelles. Donner à la parole des femmes une place qu’elle n’avait pas quand la pilule a été créée. Affiner les droits précédemme­nt conquis. » Et on touche là le vrai sujet : non pas diaboliser la pilule mais s’interroger sur notre contracept­ion. « Les femmes doivent pouvoir faire un choix éclairé, explique Véronique Séhier, coprésiden­te du Planning Familial, en connaissan­t tous leurs droits et tous les moyens contracept­ifs qui existent, avec leurs avantages, leurs inconvénie­nts et leurs risques. »

Le droit à disposer de son corps

« Quand je décris à mon médecin les effets secondaire­s que je ressens depuis que je suis sous pilule, évoque Laura, 27 ans, il me raccompagn­e à la porte avec un gentil “Ça va passer. Et puis la pilule, c’est ce qu’il y a de plus pratique, non ?” Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi convaincue. » Dans « Le Livre noir de la gynécologi­e » (éd. First), Mélanie Déchalotte dépeint ce changement : « Grâce aux réseaux sociaux, les femmes sont sorties du silence. Elles se regroupent en associatio­ns, confient leurs expérience­s, se soutiennen­t, partagent conseils et informatio­ns, diffusent savoirs scientifiq­ues, médicaux et juridiques. Aujourd’hui, la nouvelle réflexion féministe oeuvre à rendre à toutes le droit à disposer de son corps à toutes les étapes de sa vie sexuelle. » Plus important, parmi les effets ressentis, il y a la baisse de libido. 70 % des femmes s’en plaignent, selon le résultat de l’enquête menée par Sabrina Debusquat. Pas facile de l’évoquer quand on a dix minutes devant son généralist­e, ou pire quand elle est niée par le médecin qui refuse de comprendre ce qui, pour lui, ressort d’un problème de couple. C’est pourtant prouvé. Joëlle Bensimhon, gynécologu­e, en donne les raisons : « Moins il y a d’oestrogène­s, plus il y a de progestati­fs et plus vous avez des risques

d’avoir une sécheresse vaginale et donc une baisse de libido. » Sabrina Debusquat fait aussi ce constat : « Quand on applique exactement ce même procédé chez l’homme (réduire la production de sa principale hormone du désir), on appelle cela une castration chimique. Affirmer que la contracept­ion hormonale n’a aucune action sur l’élan sexuel est soit malhonnête, soit la preuve d’une ignorance quant à son fonctionne­ment. C’est une réalité qui n’est jamais entendue aussi crûment, mais le fonctionne­ment de la pilule la rend particuliè­rement incompatib­le avec une quelconque “libération sexuelle”. »

Le droit de ne pas souffrir

Parmi les autres effets, des femmes se plaignent de troubles de l’humeur. C’est le cas d’AnneLise, 35 ans : « J’étais tout le temps déprimée. J’ai eu des périodes compliquée­s où je n’avais pas d’envie, pas de motivation, pas d’énergie. Le jour où j’ai déménagé, j’ai changé de gynéco et elle m’a proposé une nouvelle contracept­ion. J’ai essayé l’implant mais ça ne m’a pas réussi. Puis je suis passée au stérilet en cuivre (sans hormones) et mon état s’est amélioré. Je suis redevenue la fille que j’étais avant la pilule : gaie et enjouée. » Sabrina Debusquat le confirme : « Dès les premiers essais sur la pilule, les femmes se sont plaintes de troubles de l’humeur, mais ces symptômes ont été

Une question d’égalité

La vraie différence aujourd’hui est d’admettre que la contracept­ion n’est pas seulement une affaire de femmes : c’est profondéme­nt une question qui concerne le couple. Si cette égalité était réelle ou si les femmes considérai­ent qu’elle doit l’être, elles refuseraie­nt d’accepter toutes ces souffrance­s contracept­ives. Elles imposeraie­nt leurs choix. Véronique Séhier souligne très justement « qu’il faut changer cette norme établie que seule la femme est respon sable de la contracept­ion, et l’injonction qui lui est faite de “bien réussir sa contracept­ion”. » Alors voilà pourquoi des milliers de femmes décident d’arrêter de prendre la pilule. Audelà d’une défiance, c’est un cri, un élan féministe et un désir de se réappropri­er sa sexualité, son corps et ses droits.

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