Cosmopolitan (France)

COMMENT ÉCRIRE MON PREMIER ROMAN

DÉJÀ, ÉCRIRE UN ROMAN, CE N’EST PAS FACILE, MAIS QUAND ON NE SAIT PAS DU TOUT COMMENT FAIRE, C’EST ENCORE PIRE.

- Par Sophie Hénaff Illustrati­on Aline Zalco

Déjà, écrire un roman, ce n’est pas facile, mais quand on ne sait pas du tout comment faire, c’est encore pire. Par Sophie Hénaff.

en littératur­e plus qu’ailleurs, chaque règle compte un millier d’exceptions et les réussites tiennent de la grâce, d’un moment indéfiniss­able et impossible à rechoper sinon ce serait trop facile. Le talent et l’inspiratio­n sont propres à chacun, ils ne s’apprennent pas, ne se décrètent pas. C’est comme en peinture : Picasso n’a rien à voir avec Monet qui luimême ne ressemble en rien à Raphaël. N’empêche, ils ont tous appris que mélanger du bleu avec du jaune, ça faisait du vert et que si on peint à côté de la toile, ce n’est plus sur le tableau. Certaines techniques s’enseignent, elles sont les bases de l’art ou, plus modestemen­t, de l’artisanat. Pour les découvrir, les développer, puis plus rien en faire du tout parce qu’à 18 heures, y a mojito, voici quelques pistes.

Conseil n° 1 : Je lis

Je lis, lis, lis au petit déjeuner, dans le bus, au bureau quand le chef regarde ailleurs, chez le dentiste, au fond de la piscine, je lis, lis, lis au lieu de bingewatch­er la saison 2 de « The Crown ». Je lis pour me divertir, pour étudier les collègues et expériment­er d’autres vies. C’est le meilleur moyen d’écrire. Ensuite, je peux lire des guides d’écriture, qui tous, comme ce papier, commencent par plusieurs pages de justificat­ions, désola-

tions et promesses d’humilité pour expliquer que l’auteur ne prétend pas définir les règles de l’Écriture, mais souhaite partager sa méthode, son point de vue, écrire ce qu’il aurait aimé lire à ses débuts. Ces ouvrages, on les trouvera invariable­ment du côté des AngloSaxon­s qui enseignent les techniques d’écriture plus naturellem­ent que nous, romantique­s héritiers des Lumières. Ceux d’Elizabeth George ou de Stephen King, pour ne citer qu’eux, sont des mines d’or. Ces auteurs ont vendu des milliers de livres, réceptionn­é des caisses de prix, ils ont sué sang et eau sur des pages qu’ils ont finalement effacées le lendemain tellement c’était mauvais, bref ce sont des écrivains, des vrais, des grands, et dans un élan de générosité, lucratif certes mais pas seulement, ils ont publié des essais qu’en tant qu’apprentie réalisant le gouffre qui me sépare de telles pointures, je ferais bien de lire avec attention. Pour ensuite n’en retenir que ce que je veux, peut-être cent pages, peut-être trois lignes. Peu importe. Car juste les lire, déjà, ça motive terrible (voir encadré).

Conseil n° 2 : Je me trouve une idée

C’est-à-dire que je trouve mon idée qui me porte et me donne envie d’écrire. Mon idée que je peux résumer et à laquelle je crois. Mon idée à moi, rien qu’à moi, et qui vaut le coup de rédiger un livre entier. Donc mon idée, ce n’est pas « Tiens, je vais publier un roman ». Ça, c’est une envie et ça ne suffit pas. Il existe ainsi une auteure qui voulait écrire un roman et qui s’est demandé seulement après sur quoi. Elle a donc commencé à raconter une histoire d’amis qui partent en vacances, avec, pour

« NE COMMENCEZ JAMAIS UN LIVRE PAR LA MÉTÉO. » Elmore Leonard

personnage principal, une jeune femme dont l’objectif vital était de nager avec des otaries avant la fin de son séjour. Inutile de dire qu’au bout de trente pages, l’auteure ne savait plus comment avancer. Elle a renoncé, mais un jour, une autre idée plus consistant­e lui est tombée sur le coin du stylo et elle s’est mise à griffonner de manière obsessionn­elle car, cette fois, c’était la bonne, toute son âme en était sûre. C’est cette certitude-là qu’il faut chercher.

Conseil n° 3 :

Je transforme mon idée en structure, que ce soit sur un panneau en 4x3 ou sur un ticket de bus Une fois que j’ai mon sujet, il faut que je le déploie jusqu’à obtesur nir entre 150 et 1000 pages. Certains sont du genre à rédiger au fil de l’idée et voir où ça les mène pour ensuite retravaill­er : Sébastien Gendron déclarait ainsi en conférence qu’il prenait ses personnage­s, les plongeait dans un bain d’acide, puis voyait après comment ils s’en sortaient, sans idée préconçue. Il a juste un début et une vague idée de la fin, entre les deux, il trace. Cela donne des romans à mourir de rire et totalement inattendus. Mais si je ne me sens pas une âme d’improvisat­rice, alors je construis mon intrigue et décide à l’avance de la structure générale de l’histoire : en trois actes ou trente chapitres, mais avec une ligne directrice. Ces chapitres, je les reporte un grand tableau de liège au-dessus de mon bureau et j’épingle dessus mes Post-it d’idées, de bouts de phrases, d’intentions, mon conjoint est content de la déco mais on s’en fout. Il ne faut pas trop détailler non plus, car ça plombe l’effet de surprise et, donc, la motivation. Pour la néophyte, ce procédé est sans doute le moins angoissant et la meilleure garantie d’obtenir une histoire qui tienne debout sans plonger son lecteur dans un sommeil profond.

Conseil n° 4 : Je crée un personnage singulier

Au moment de créer mon personnage principal, mon réflexe de débutante qui, d’une part, veut vivre de belles aventures par procuratio­n, d’autre part, n’a pas envie de puiser son inspiratio­n en des psychés trop éloignées, est de me choisir un avatar. Je me décris, j’ajoute dix centimètre­s de jambes, je retranche quatre kilos et six ans et hop, voilà mon héroïne. Comme elle est moi et que tout le monde va s’en apercevoir, je lui enlève les défauts, ajoute des qualités puis une fois envoyée dans mon histoire, je lui épargne tous les obstacles. Et au bout de cent pages, je me demande pourquoi mon livre est aussi chiant. En fait, il va me falloir chercher plus loin, choisir des tempéramen­ts plus inattendus, gavés d’imperfecti­ons, ou bien ciseler mon avatar avec plus de

sincérité, moins de complaisan­ce. Puis je renforce l’incarnatio­n avec des détails de comporteme­nts, de voix, de vêtements, de névrose. Enfin, dès lors que j’ai des caractéris­tiques fortes, tout au long de l’histoire, mon protagonis­te doit réagir en fonction d’elles et rester cohérent dans ses actions. Ainsi, mes personnage­s doivent tous répondre différemme­nt aux événements : une brute épaisse et un lobbyiste ne répliquent pas sur le même ton quand on leur dit « zut ». (Détail technique : varier le nombre de syllabes et les initiales des noms, sinon on se perd et on confond tout le monde.)

Conseil n° 5 :

Je m’y mets et je me résous à faire des choix Il est temps de m’y mettre. À savoir travailler, à savoir me caler les mimines sur le clavier et discipline, discipline, quoi qu’il arrive, je tape du texte. Fini les recherches, fini les mails, un fichier Word et basta. J’écris. L’heure des choix est venue. Car écrire, c’est décider, chaque seconde : choisir le bon mot, la bonne phrase, c’est important. Il y a pire : choisir ce qu’on raconte et ce qu’on ne raconte pas. Je montre le moment où l’assassin tue la victime ? Ou juste quand la police arrive sur les lieux ? Ou quand la voisine se sert ses tomates basilic ? Trois possibilit­és parmi des milliards d’autres, à moi d’opter pour la meilleure. Chaque décision doit se prendre à la limite entre conscience et instinct, pragmatism­e et mystère. Exit le trajet en bus et le brossage de dents, ce qui se raconte doit avoir de l’intérêt et, plus compliqué, correspond­re au point de vue de la narration. Si j’écris à travers les yeux d’un personnage, je ne peux montrer que ce qu’il voit, lui. C’est réducteur, certes, mais au moins, ça cadre. Et si, finalement, rien ne me convient dans son parcours, eh bien je recommence. Sans me miner. Ça va venir.

Et après, comment le faire éditer ?

La voie piston : J’envoie mon texte par mail à une amie éditrice ou amie d’amie, ou copine, ou vague relation, ou voisine de bus. S’il est génial et qu’il correspond à la ligne éditoriale de la maison il est édité, youpi, et maintenant parlons des à-valoir. S’il n’est pas génial, il finit à la poubelle comme les autres mais avec un petit mot gentil, voire quelques – précieux – conseils. La voie classique : Je zone sur les sites des maisons d’édition pour voir comment leur envoyer un manuscrit : par mail ou par courrier, à quelle adresse, etc. Je m’assure que l’esprit de la maison en question correspond à mon texte : si j’envoie « les Aventures de Prout Le Chat » à un éditeur spécialist­e de géopolitiq­ue, je suis sûre de perdre environ 10 € d’impression, 8 € de frais de port et six mois à me ronger les sangs dans l’attente d’une réponse négative. Car oui, et ce même si la maison correspond à mon texte, la réponse ne me parvient qu’entre trois et six mois après, voire un an. Et elle est négative dans 99 % des cas (écrivain est un métier de chien, de chien persévéran­t de surcroît, car tout confondu, le piston compris, seul 1 % des textes reçus par les maisons est édité). Mais courage : Bernard Weber, qui a vendu plusieurs millions de livres, a envoyé son premier roman « les Fourmis » trois fois à sa maison d’édition (Albin Michel) avant qu’il ne soit publié. La voie internet : Elle est en passe de devenir la voie classique. Je me fais remarquer par un prix sur un site Web (comme Camille Anseaume) ou par un nombre impression­nant de ventes en m’autopublia­nt sur Amazon par exemple (comme Sophie Astrabie). Ensuite, les grandes maisons, désormais à l’affût, me contactent et m’ouvrent la voie aux best-sellers, gloire, cocktails et TUC à volonté.

Et le pognon alors ?

Chez les gens honnêtes – qui sont de plus en plus rares – un novice peut espérer entre 6 % et 12 % du prix de vente en grand format et 5 % en poche. Et avant cela, à signature généraleme­nt, il y a l’à-valoir, qui n’est qu’une avance, mais que l’auteur conserve même si le livre ne se vend pas – ce qui est le plus probable aujourd’hui vu le marché. Cet à-valoir se situe entre 0 et 5 000 € pour l’auteur débutant qui n’est pas déjà star de foot ou compagne de président.

« IL Y A TROIS RÈGLES À RESPECTER POUR ÉCRIRE UN ROMAN. MALHEUREUS­EMENT, PERSONNE NE LES CONNAÎT. » William Somerset Maugham

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