Cosmopolitan (France)

JE SORS AVEC UN HOMME MARIÉ

Jouer les femmes de l’ombre, une tannée ou la liberté ?

- Par Elsa Margot

Jouer les femmes de l’ombre, une tannée ou la liberté ? Par Elsa Margot.

J’ASSUME À 100 %

« Cette position de maîtresse, je l’ai choisie. Et ça me convient. » Élise, 31 ans, sort depuis huit mois avec un homme en couple, père de deux enfants. « Je travaille dans la com et j’avais organisé un séminaire pour la société pharmaceut­ique dans laquelle il bosse. Deux jours de meeting dans un hôtel sur la Côte d’Azur. Le premier soir, au cocktail de bienvenue, je l’ai remarqué tout de suite. Des yeux verts pétillants, un grand sourire, à l’aise avec tout le monde… On a bu, discuté jusqu’à 2 heures du mat dans les canapés du lobby, mais ça n’est pas allé plus loin. De mon côté, je sortais d’une relation tumultueus­e de quatre ans et je savourais ma liberté. » Élise et Antoine s’échangent leurs numéros de portable. « Très clairement, on avait flashé l’un sur l’autre. De retour à Marseille, où nous habitons tous les deux, on a commencé à s’envoyer des textos pendant la journée. On se dévoilait beaucoup, il me faisait rire. Au début, c’était comme un jeu, et puis la températur­e est montée… » Un mois et demi plus tard, ils se donnent rendez-vous dans un resto pour déjeuner. L’attirance est irrésistib­le, à la place du dessert, ils prennent une chambre dans l’hôtel juste au-dessus. Élise savait qu’il était marié : « J’ai vu son alliance dès le début. » Mais elle ne culpabilis­e pas : « C’est lui qui trompe sa femme, pas moi. Et tant qu’elle ne sait rien, personne ne souffre. » Cynique ? Plutôt viscéralem­ent attachée à son indépendan­ce : « Je l’aime, mais je n’ai aucune envie de partager le quotidien avec lui. Les corvées, les engueulade­s, la routine… non merci. » Les moments ensemble sont

rares – une fois par semaine à l’heure du déjeuner – mais ils sont magnifique­s. Ça lui suffit. A-t-elle l’impression de subir la situation ? « Pas du tout ! Antoine n’a jamais annulé un seul de nos rendez-vous. J’ai plutôt une sensation de pouvoir : il me fait des compliment­s, il est hyper prévenant, il me conseille sur ma carrière. Avec lui, je me sens forte, belle, désirable… sans être envahie. Finalement, c’est moi qui maîtrise. » Et pour rien au monde elle ne voudrait qu’il débarque avec ses valises. « Ce serait la fin de notre histoire. Si ça devient trop compliqué, j’arrête. » Le décryptage de la pro* : « Terminé, le cliché de la maîtresse entretenue, prisonnièr­e de la situation ! Certaines femmes assument et revendique­nt même ce statut, qui leur permet d’échapper au modèle classique, ne pas se risquer dans l’aventure du couple, et rester dans la position de la femme sensuelle, sans attache, puissante. Elles enchaînent d’ailleurs souvent les amours clandestin­es… Mais si elles s’enferment dans un schéma répétitif (ne vouloir vivre que les bons côtés), elles risquent de passer à côté de la vie, avec ses hauts et ses bas. » Et alors ? Qu’on le veuille ou non, on s’est mis dans une situation délicate qui implique d’autres personnes – notamment une femme. Si elle découvre le pot aux roses, le retour de bâton peut être douloureux. Au mieux, une baffe dans la gueule. Au pire, l’éclatement d’un couple. Pour l’instant, on flotte sur notre petit nuage, mais il y a des risques – même si on estime que c’est monsieur qui en porte la responsabi­lité.

49 % DES HOMMES ADMETTENT AVOIR DÉJÀ ÉTÉ INFIDÈLES (CONTRE 33 % DE FEMMES). (IFOP, 2016)

L’infidélité EST LA PREMIÈRE CAUSE DE DIVORCE EN FRANCE. (INSEE, 2017)

J’AIMERAIS LE QUITTER MAIS JE SUIS ACCRO

C’est bien connu : quand c’est interdit, c’est meilleur. On s’appelle en cachette, on se voit entre frissons et excitation. Au lit, c’est le nirvana. On est hors cadre, limite hors la loi. « Je n’ai jamais connu de sexe aussi intense, témoigne Marianne, 27 ans, la maîtresse d’Alex. La dernière fois, il s’est inventé un week-end de taf et on s’est terré chez moi pendant deux jours. On a fait l’amour non-stop, c’était fou. Sa peau m’avait tellement manqué… Comme si je n’étais jamais rassasiée. » Deux ans que cette histoire dure. « Alex est un ami de mon grand frère, on a huit ans d’écart, pour lui j’ai toujours été “la petite”. On s’est perdu de vue pendant des années, et on s’est retrouvé nez à nez à l’anniversai­re de mon frère. D’un coup, Alex m’a vue comme une femme. » Bémol : entre-temps Alex s’était marié. « Mes parents sont divorcés (mon père trompait ma mère), donc je sais à quel point ce que nous faisons est nul. On a essayé plusieurs fois de se séparer, mais on n’y arrive pas. C’est trop bon, presque animal, on ne peut pas s’empêcher de se sauter dessus. » Ne plus se voir du tout ? « Impossible, répond Marianne. C’est mon soleil, je suis accro, c’est comme s’il m’avait ouvert les portes de ma féminité, du plaisir. On a fait l’amour sous une porte cochère, dans une voiture, dans un jardin public pendant la nuit… C’est comme un défi, un truc rien qu’à nous. Je ne vois pas ce qui pourrait remplacer cette sensation. » Et l’avenir ? « Il m’a prévenue qu’il ne quitterait jamais sa femme car “elle risquait de faire une connerie”. Mais il me dit qu’il s’ennuie avec elle, que leur vie sexuelle est réduite à néant, qu’avec moi il revit… J’ai envie de le rendre heureux. » Le décryptage de la pro : « La clandestin­ité apporte le plaisir immédiat, comme un shoot. Une fois qu’on y a goûté, difficile de résister… Marianne doit se demander ce qui l’attire en réalité : cet homme, ou le plaisir de l’interdit ? Si elle est vraiment amoureuse, il faut mettre fin à cette histoire car elle ne pourra jamais construire avec lui. Si c’est la transgress­ion qu’elle recherche, elle doit se poser la question : pourquoi est-ce que je me mets en danger ? Pourquoi ce sacrifice ? Attention au “fantasme du sauvetage”, être toujours disponible lorsque l’autre va mal, toujours ouvert à ses désirs. À terme, on joue un rôle et on s’oublie soi-même. » Et alors ? OK, il est beau, il sent bon le sable chaud. Mais des hommes qui peuvent nous donner du plaisir, être un peu foufous ET avoir envie d’une histoire assumée, il y en a plein ! Chouchouto­ns notre self-estime, il y a d’autres moyens de se sentir valorisée. Cet homme est peut-être paumé, c’est triste mais on n’y peut rien. Et franchemen­t, on vaut mieux que ça.

JE VIS DANS L’ATTENTE

Il ne faut pas se leurrer : quand on est cachée, on souffre à un moment ou à un autre. Éternelle « seconde », on ne partage que des moments « volés » (le terme veut tout dire), on a le rôle de la méchante. L’histoire a beau être passionnel­le, quand l’amant part rejoindre son autre vie et qu’on se retrouve seule dans le lit, ça fait mal à l’ego. Joséphine, 34 ans, en a fait les frais. « Julien m’avait invitée deux jours à Bruxelles, où il avait des rendez-vous de boulot. Dans le train, il avait réservé des sièges séparés “au cas où”, mais une fois sur place, on a enfin pu vivre au grand jour. Le plaisir de se balader main dans la main, de s’embrasser dans la rue… C’était magique, je planais. Quand il bossait, je découvrais la ville, et on se retrouvait en fin de journée. Le bonheur d’un petit déj avec lui, en trois ans de relation cachée, je n’avais jamais connu ça ! » Au retour, c’est la douche froide. « À la gare, il m’a fait un baiser du bout des lèvres, comme s’il n’était déjà plus là. » Dans le bus pour rentrer chez elle, elle fond en larmes et lui envoie un texto : « On se voit vite ? » Il lui répond sèchement : « Pas avant quelque temps. Je pars en vacances en Italie avec ma femme et mon fils. » Dans la tête de Joséphine, tout s’écroule. « Ce n’était pas la première fois bien sûr. Mais d’un coup, j’ai compris que notre histoire, c’était une bulle, une parenthèse. Rien de réel. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Et conne. » L’électrocho­c lui permet de stopper cette histoire sans issue. « Un mois plus tard, il m’a rappelée, tout feu tout flamme. Je lui ai dit que c’était fini, il m’a suppliée, il m’a répété qu’il m’aimait, qu’il ne restait avec sa femme que le temps que le petit grandisse. » Pas la première promesse de ce genre, mais là, elle n’y croit plus. « Cette

histoire faisait du surplace. Et moi aussi, j’avais envie de fonder une famille. » Ce ne sera pas avec Julien, qui l’inonde de textos et de bouquets de roses livrés à son domicile pendant trois mois. Joséphine résiste et se repasse en boucle les moments douloureux. Dans le désordre : jamais de présentati­on aux amis, aux parents. L’attente, la déception, la jalousie : « Une fois, sa femme l’a appelé alors qu’il était chez moi, il a paniqué comme un enfant, il a raccroché en lui disant “je t’aime”. Ça m’a crevé le coeur. » Les copines qui se marient, tombent enceintes. Celles qui tournent le dos en lâchant : « C’est vraiment dégueulass­e ce que tu fais. » Pourquoi Joséphine a-t-elle tenu trois ans ? « J’étais certaine que c’était l’homme de ma vie. » Elle n’a pas tout de suite su qu’il était marié. « On s’est rencontré sur Tinder, on s’est écrit des dizaines de mails avant de se voir. Au bout de trois rendez-vous, il m’a dit qu’il était en couple. Je suis tombée des nues… mais il m’a aussitôt certifié qu’il était en pleine séparation… » Aujourd’hui, elle se donne du temps. « Six mois plus tard, je ne suis pas encore prête à vivre une autre histoire. J’ai beaucoup de mal à faire confiance. »

Le décryptage de la pro : « Quand on a une relation avec un homme marié, on vit dans l’espoir : “Il va m’appeler, il va quitter sa femme, un jour on habitera ensemble”… Cela arrive parfois, mais c’est très rare. Mieux vaut se protéger et ne pas croire à des promesses potentiell­ement décevantes, voire humiliante­s. Soit on profite du moment présent et on n’attend rien. Soit on est dans l’espérance, et là c’est l’impasse. Dans ce cas, il faut s’interroger : Qu’est-ce que je veux ? Vivre dans l’ombre, est-ce que cela me convient ? Si la réponse est non, prendre ses jambes à son coup. »

Et alors ? L’espoir fait vivre, mais pas trop longtemps. La sociologue Marie-Carmen Garcia, auteure de l’ouvrage « Amours clandestin­es », explique que plus la relation s’installe, moins il y a de chances que l’homme quitte sa femme. Le temps passe, il se stabilise dans sa double vie, la raison grignote la passion. « Le constat de son incapacité à se séparer de son épouse installe progressiv­ement cette idée dans la catégorie des rêves déraisonna­bles. Il perçoit alors la maîtresse comme la femme secondaire avec laquelle s’instaurent un simili de conjugalit­é, des rites, des souvenirs communs, des discordes et parfois une absence de désir. » Amère aventure… Alors on reste clairvoyan­te, et on ne fait aucun plan sur la comète. Ou bien on le trompe. * Marie-Françoise Soubeaux, psychothér­apeute de couple et sexologue.

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