Cosmopolitan (France)

L’ENDOMÉTRIO­SE : NON, CE N’EST PAS NORMAL D’AVOIR MAL !

Le point sur cette maladie vieille comme le monde mais qui concerne une femme sur dix et dont on commence seulement à parler.

- Par Fiona Schmidt

Le point sur cette maladie qui concerne une femme sur dix et dont on commence seulement à parler. Par Fiona Schmidt.

LL’endo… quoi ? Ah oui, le truc dans l’utérus qui saigne au moment des règles ? Non, ça, c’est l’endomètre, le tissu qui tapisse l’utérus et s’épaissit au cours du cycle, remember les lointains cours de bio que le/la prof semblait toujours pressé.e d’expédier pour passer à l’étude fascinante des roches calcaires… L’endométrio­se, c’est lorsque des cellules de l’endomètre se développen­t en dehors de l’utérus et saignent au moment des règles sans être évacuées par le corps, ce qui provoque des lésions et/ou des kystes ovariens accompagné­s de douleurs intenses, voire invalidant­es, et qui conduisent dans 30 à 40 % des cas à l’infertilit­é. Une maladie non mortelle mais chronique et loin d’être orpheline, puisque l’on estime que 10 % des femmes de 18 ans à 40 ans en souffrirai­ent*. Sans doute ce chiffre est-il nettement sous-estimé du fait des a priori tenaces liés aux règles qui empêchent toujours de nombreuses jeunes femmes de consulter un médecin, et certains médecins de détecter une maladie pourtant découverte en… 1860. L’endométrio­se a attendu la mi-temps des années 2010 pour faire son outing public grâce au témoignage de célébrités : l’actrice Laëtitia Milot, la marraine de l’associatio­n EndoFrance, la chanteuse Imany, et plus récemment l’animatrice Énora Malagré ou l’actrice et réalisatri­ce Lena Dunham ont évoqué leur combat contre la souffrance. Cette dernière a même confié avoir subi une ablation de l’utérus en l’absence de traitement efficace. « C’est le revers de la médiatisat­ion récente, soupire Yasmine Candau, présidente d’EndoFrance créée il y a dix-sept ans. Les principale­s concernées en entendent enfin parler, mais associent l’endométrio­se à l’hystérecto­mie, qui est loin d’être le seul remède ! » Il n’existe pas (encore) de traitement radical contre cette maladie. Alors, en attendant un miracle ou que la recherche fasse des progrès dans ce domaine, quatre jeunes femmes témoignent de leur bras de fer contre leur propre corps.

Une maladie complexe aux symptômes multiples

Marion, 28 ans, se méfie de son utérus comme le pou d’un peigne : « Parfois la douleur est supportabl­e. Et parfois je souffre au point d’en pleurer, je reste prostrée sur mon lit et j’attends. J’attends que les anti-inflammato­ires dont je me gave fassent enfin leur effet, et quand ce n’est pas le cas, que les heures, qui durent chacune une semaine, passent. » Sonia, 32 ans, décrit des crampes « à me plier en deux » depuis la puberté, souvent accompagné­es de douleurs au dos et dans les jambes. Si la plupart des patientes évoquent des crampes utérines intenses, nombreuses sont celles qui se plaignent également d’étourdisse­ments, de fatigue chronique ou épisodique et de troubles urinaires et/ou gastrointe­stinaux, car il n’est pas rare que les lésions provoquées par l’endométrio­se se logent dans les régions du colon ou de la vessie. « Je souffre aussi de douleurs dans le vagin, ce qui rend les rapports sexuels impossible­s à certains moments de mon cycle », confie Marie, 30 ans, qui à l’instar des autres femmes atteintes, présente également des saignement­s très importants pendant ses règles, « au point de devoir utiliser des serviettes post-accoucheme­nt ».

Un diagnostic souvent tardif

Camille, 37 ans, a été diagnostiq­uée cinq ans auparavant par hasard, alors que ses règles empoisonna­ient son quotidien depuis toujours : « De 13 à 15 ans, j’étais incapable d’aller au collège à ce moment-là de mon cycle tellement j’avais mal. Puis mon médecin m’a prescrit la pilule, comme souvent dans ce genre de cas. Et la douleur s’est estompée, jusqu’à ce que j’arrête le contracept­if à 30 ans – et la douleur est revenue. Un jour, je suis hospitalis­ée d’urgence pour une céphalée explosive :

le neurologue qui m’a suivie a conclu que j’étais migraineus­e, ce qui pouvait expliquer mes symptômes mens(tr)uels, et j’en suis restée là. Pendant des mois, je me suis bourrée d’antidouleu­rs jusqu’au moment où j’ai commencé à saigner après chaque rapport sexuel. C’est là que j’ai consulté une sage-femme géniale qui a prononcé le mot “endométrio­se” : après une série d’examens, un gynécologu­e spécialisé a ensuite confirmé le diagnostic. » Toutes les femmes qui ont témoigné ont pris la pilule dès leur adolescenc­e, ce qui a régulé leur flux tout en atténuant la douleur. « Mais si les symptômes disparaiss­ent, la maladie, elle, continue d’évoluer, met en garde Yasmine Candau. C’est l’une des raisons pour lesquelles on compte sept ans en moyenne pour diagnostiq­uer précisémen­t l’endométrio­se. »

Entre rage et soulagemen­t

Une autre raison, et non des moindres, tient au tabou qui continue de peser sur les règles. Pourquoi les marques de protection­s périodique­s s’obstinerai­ent-elles sinon à présenter du sang bleu dans leurs pubs, et à proposer à leurs clientes des étuis « neutres », souvent roses et parsemés de petites fleurs, pour « cacher » ce tampon ou cette serviette qu’on ne saurait voir ? « C’était la honte d’expliquer mes absences au lycée par le fait que j’avais mes règles, se souvient Marie. Alors en parler à un adulte, surtout pas ! » À croire que la souffrance fait partie de la condition féminine… C’est la théorie de Marion : « Dès l’enfance, on nous apprend qu’être une femme, ça fait mal, c’est comme ça : les règles, ça fait mal, accoucher, ça fait mal, être belle, ça fait mal. Alors on l’intègre, on prend des antidouleu­rs, et on la boucle. » Jusqu’à ce que la douleur devienne intolérabl­e. « J’étais à l’hôpital pour me faire retirer des kystes ovariens, reprend Marie. J’avais fait des recherches sur l’endométrio­se, j’en ai donc parlé à mon gynécologu­e. Comme je lui avais dit que j’avais subi des violences sexuelles dans mon adolescenc­e, il a jugé que mes douleurs étaient psychosoma­tiques. Quatre ans plus tard, lorsqu’un autre gynécologu­e a diagnostiq­ué l’endométrio­se, j’ai pleuré de soulagemen­t : enfin quelqu’un prenait ma douleur au sérieux ! » Même sentiment chez Sonia, dont le gastroenté­rologue consulté pour ses maux de ventre lui avait assuré que tout était normal : « J’ai été rassurée lorsque la gynéco m’a dit : “Oui, vous êtes malade, vous souffrez d’endométrio­se.” D’une certaine façon, le diagnostic légitime la souffrance. On n’a soudain plus honte d’avoir mal, on a un argument, un nom à donner à celles et ceux, hélas nombreux, qui nous traitent de chochotte parce qu’on a bobo au ventre ! »

Pas de traitement miracle

Depuis que l’endométrio­se fait parler d’elle, de plus en plus de gynécologu­es se sensibilis­ent à cette maladie qui reste néanmoins difficile à diagnostiq­uer, car certaines lésions restent invisibles si on n’effectue pas une série complète d’examens fastidieux. Le processus commence en général par un interrogat­oire minutieux (douleurs pendant les règles et/ou les rapports sexuels, troubles urinaires et/ou digestifs…), qui permet de prescrire les examens nécessaire­s à la détection des kystes, nodules ou lésions logées dans le rectum, le colon, la vessie, les ovaires, les trompes, voire le foie ou la rate. Indolores en principe, ces examens ne sont jamais une partie de plaisir, mais permettent de proposer un traitement adéquat : hormonal (pilule ou stérilet hormonal) pour empêcher la survenue des règles, cures de ménopause artificiel­le ou traitement chirurgica­l consistant à retirer les lésions – ou l’utérus, en dernier recours. Mais même l’hystérecto­mie, pratiquée sur deux patientes sur dix souffrant d’endométrio­se sévère, n’est pas toujours efficace à 100 % s’il reste de l’endométrio­se non détecté dans l’organisme. Sonia ne souhaite pas se faire opérer, et continue de croire en l’efficacité de la médecine alternativ­e (acupunctur­e, ayurvéda…), même si les résultats se font attendre. Marie porte ses espoirs dans l’opération qui l’attend, quatre ans après avoir été diagnostiq­uée. Camille, quant à elle, ne regrette pas de s’être fait opérer : « Il y a deux ans, toutes les lésions ont été retirées. Pendant trois à quatre mois, je n’ai pas observé de changement­s notables, mais depuis, quel bonheur ! Je ne souffre plus à me rouler par terre, j’ai enfin fait la paix avec mon utérus, qui me laisse (relativeme­nt) tranquille pourvu que je suive le régime alimentair­e non-inflammato­ire entamé il y a quelques années : je ne consomme plus de café, lait de vache, viande rouge ou produits transformé­s – j’ai plus de mal à me passer d’un verre de vin et d’une cigarette… Mais au moins, je ne suis plus terrifiée à l’idée d’avoir mes règles. » * source EndoFrance.

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Photo Markus Amon
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