AU FAIT…
T’es là, bloquée depuis dix minutes entre la poissonnerie et le rayon fromage du supermarché. La faute à Roméo, qui t’a dit « Attends-moi ici, j’ai oublié le jambon » et qui n’est jamais revenu. Ta patience a des limites, et l’odeur des crevettes teintée de camembert n’aide pas. La raison de son absence, tu la connais : elle tient à un petit carré sur son téléphone. Depuis que Roméo a téléchargé Yuka, l’appli qui te dit ce qu’il y a vraiment dans tes produits alimentaires préférés, votre temps de courses a été multiplié par mille. « T’es parti le chasser, ce gibier ? », tu railles ton homme qui revient enfin de son excursion au rayon charcuterie. « Dix minutes pour t’éviter cinq cancers, appelle-moi Superman ! » C’est effectivement comme ça qu’il se considère depuis une semaine : un super-héros contemporain, avec son téléphone en guise de sabre laser, terrassant le mal tapi dans vos placards d’un coup de scan. Au début, tu trouvais l’idée géniale. Mais c’était avant que ton chocolat du petit déj ne disparaisse, brutalement remplacé par une poudre de cacao sans sucre ajouté. « Mais c’est la même chose, chérie ! » Quand tu lui rétorques que c’est comme remplacer un concert de Céline Dion par celui de Cindy Sanders, il fait mine de ne pas comprendre. Alors, vite, tu sauves ce qui peut encore l’être. Et le constat est ridicule : à 30 ans, tu as cinq mini-brownies planqués dans ton tiroir à chaussettes. Le pire, c’est que depuis que Roméo t’a fait la liste des produits nocifs qu’ils contiennent, tu ne peux même plus les manger avec le plaisir innocent qui t’habitait jadis. Ce serait comme coucher avec le mec le plus beau de la planète, mais après avoir appris qu’il est marié à ta meilleure amie. Ton mec t’arrête : « Pense plutôt à ta santé ! » Tu penses surtout à ce que vous allez bien pouvoir manger ce soir sans vous friter… Et là, l’idée de génie : il n’y a pas de codes-barres sur les kebabs.