Cosmopolitan (France)

LAISSEZ-MOI VIVRE MA VIE !

Fais pas ci, fais pas ça ! Ça serait mieux si… Faudrait que tu… STOP ! J’ai une autre idée : et si je m’écoutais ?

- Par Camille Anseaume Photo Dimitris Skoulos

Fais pas ci, fais pas ça ! Ça serait mieux si… Faudrait que tu… Stop ! J’ai une autre idée : et si je m’écoutais ? Par Camille Anseaume.

majeure et vaccinée depuis longtemps, j’ai pourtant parfois l’impression d’être plus fliquée que quand j’avais 5 ans. Et il se pourrait bien que ce soit le cas. Selon le Larousse, une injonction, c’est l’« ordre formel d’obéir sur-le-champ, sous menace de sanction. » Dans l’enfance, l’ordre est clair (« Finis ton assiette »), la sanction explicite (« sinon pas de dessert »), et la personne dont ça vient, facilement identifiab­le, avec une tête de papa, de maman, ou de dame de cantine. Mais c’est en grandissan­t que ça se complique : arrive un moment où, sans bien comprendre pourquoi, on a l’impression d’être à la hauteur nulle part, alors qu’on se donne du mal partout. Et quand le chauffeur de Uber se met lui aussi à nous noter, c’est la goutte d’eau. « Mon burn-out, je l’ai fait pendant une période de chômage, ironise Kristel. Deux mois après mon licencieme­nt économique, je suis rentrée tôt d’une soirée où je ne m’étais pas sentie bien. Je ne suis pas ressortie de chez moi pendant trois semaines, passées à dormir et à pleurer. C’est le temps qu’il m’a fallu pour comprendre que, parce que j’avais perdu mon boulot, j’avais monté encore d’un cran mon niveau d’exigence : en deux mois, j’avais arrêté de fumer, je m’étais mise à fond au running, j’avais perdu du poids, envisagé une reconversi­on, enchaîné les rendez-vous Tinder… Tout ça pour tendre vers un “idéal” qu’on attendait de moi… » Ce « on » dont parle Kristel, c’est à la fois les autres, la société, et elle-même. Car le problème est que ces ordres extérieurs sont intégrés comme étant des normes à atteindre. Parfois consciemme­nt, parfois beaucoup moins…

LÂCHEZ-MOI AVEC LES INJONCTION­S SEXISTES !

Celles-ci, on les assimile souvent sans même s’en rendre compte. Léna, 32 ans, se souvient : « Alors que notre bébé avait 2 mois, pendant des vacances avec ma bellemère, je lui ai dit que j’avais de la chance car son fils m’aidait beaucoup à la maison. Elle m’a répondu gentiment mais du tac au tac : “Il a de la chance aussi car sa femme l’aide beaucoup à la maison.” J’ai eu honte de réaliser que j’étais imprégnée par l’idée selon laquelle, de ma part, c’était normal, et de la sienne, c’était sympa… » Pourquoi j’ai intérêt à repérer les remarques sexistes ? Parce que, quand je me rends compte qu’elles le sont, ça me donne déjà vachement moins envie d’y obéir. Non seulement je me déleste d’un sacré poids, mais en plus j’évite de transmettr­e à mon tour des stéréotype­s de genre qui collent une pression dingue sur les épaules féminines, et ce jusque dans l’attitude à avoir : oui, on a le droit de tirer la tronche dans le métro, exactement comme ont le droit de le faire les hommes.

J’UTILISE LE « ET SI J’ÉTAIS UN HOMME ?

». Dans la rue, quand un type me demande si j’ai oublié mon sourire à la maison, je me demande : « Si j’étais un homme, est-ce qu’il m’aurait fait cette réflexion ? » (Attention, spoil : « NON. ») Selon le contexte, je peux garder cette question pour moi, voire la partager avec mon interlocut­eur…

LÂCHEZ-MOI AVEC MON PHYSIQUE !

Difficile de ne pas évoquer le fameux « Sois belle et tais-toi ». Des cheveux plus épais, une bouche plus pulpeuse, un nez plus fin, une poitrine plus ferme, des fesses plus rebondies… On continue la liste ou vous voyez l’idée ? Plus je m’éloigne des standards

de beauté (femme blanche, grande, mince, féminine…), plus je m’expose à des diktats violents. Gabrielle Deydier, auteure du livre « On ne naît pas grosse », (éditions Goutte d’Or), 150 kilos pour 1,53 m, raconte qu’au restaurant, un client l’a agressée en lui disant de « faire un effort pour maigrir » car elle était « une aberration de la nature ». Pour Chloé, 31 ans, les remarques sont plus insidieuse­s : « Je n’ai jamais été l’objet de moqueries sur mon physique, pourtant je ne me suis jamais trouvée suffisamme­nt belle. Je cherchais à approcher une perfection impossible à atteindre. Quand Alicia Keys, dont je suis fan, a parlé du no make-up, j’ai décidé d’arrêter aussi de me maquiller. Au début, ça m’a soulagée, mais peu à peu j’ai compris que je renonçais à un vrai plaisir ; alors j’ai remis ce mot, “plaisir”, au centre, pour trouver un compromis. »

JE ME DEMANDE SI J’AIME MES RAISONS.

C’est le conseil de Clotilde Dusoulier, coach de vie et créatrice du génialissi­me podcast Change ma vie (changemavi­e.com). À chaque fois que je suis sur le point d’accomplir un geste, un achat, un rituel beauté, je me demande pourquoi je le fais. Par exemple : « Pourquoi je tiens à me maquiller alors que je suis déjà en retard ? » Si la réponse est : « Ce petit temps que je m’accorde le matin, c’est un cadeau que je me fais pour me donner de l’énergie », c’est une raison qui sent l’amour et donne des ailes. Si, en revanche, la réponse est :« Parce que je n’oserai jamais sortir avec cette tête », non.

LÂCHEZ-MOI AVEC MES ENGAGEMENT­S !

« L’enfer est pavé de bonnes intentions », dit le proverbe. Être une citoyenne responsabl­e, une consommatr­ice éclairée, au fond on sait que c’est pour le bien de tout le monde. Mais là où ça coince, c’est quand le discours devient moralisate­ur et culpabilis­ant. Or, c’est parfois dans le cercle proche que ça se passe, comme l’a constaté Inès, 33 ans : « Quand j’ai commencé à manger bio il y a dix ans, mes copains me traitaient gentiment de bobo. Maintenant, ils s’y sont presque tous mis, et certains sont devenus végétarien­s : cet été, on a eu une bonne engueulade parce que j’ai commandé une entrecôte au resto. Ils avaient décidé que nous, les carnassier­s, on pouvait en consommer de temps en temps à la maison, mais pas au restaurant. Cette façon d’ériger leur avis en principe universel, ça m’a agacée et déçue. Je ne leur fais pas la guerre à cause de leur empreinte carbone quand ils partent en avion faire un trek au Népal. » En fait, on peut se renvoyer la balle longtemps comme ça, ou faire le constat suivant : que celle ou celui qui est complèteme­nt à l’abri du moindre paradoxe ou écart de conduite jette la première galette de riz soufflé (bio, of course). Résister, ce n’est pas rompre avec tous ses amis et le Biocoop le plus proche, mais revenir au contraire à nos valeurs, et assumer nos limites.

JE ME DONNE LE DROIT AU « MAIS » ET AU « POUR L’INSTANT ».

Je les utilise dans trois phrases que je formule par écrit, par exemple :

« J’aimerais ne manger que bio, mais j’ai des contrainte­s de budget. »

« Pour l’instant, je ne suis pas prête à devenir végétarien­ne. » « Je mange local, mais je m’autorise à acheter des vêtements fabriqués ailleurs. » Ainsi, j’y vois plus clair sur mes valeurs (agir en consommatr­ice responsabl­e), je hiérarchis­e mes actions (pour l’instant, j’en suis là), et je nuance l’objectif (je fais ce que je peux, à mon rythme). Je garde ces phrases pour moi, ou je les sors en temps voulu à mes interlocut­eurs pour les inviter gentiment à me lâcher avec leurs modes d’emploi.

LÂCHEZ-MOI AVEC VOTRE BONHEUR !

Bienvenue à l’ère de la tyrannie du smiley ! Être heureux, ce n’est plus seulement souhaitabl­e, c’est devenu une obligation morale. Au départ, le discours, tout droit venu de la psychologi­e positive, était plutôt cool : le bonheur, c’est dans la tête ! Mais alors, si être heureuse est une décision, être malheureus­e, c’est aussi mon choix… Et ma faute. Bingo, en plus de me sentir malheureus­e, je me sens coupable. Et désormais, je ne peux même plus déprimer en paix ni me faire plaindre au sujet de mon boulot pourri (« Bah, change »), mon mec relou (« Bah, change »), ou mes parents chiants (« Bah, respire »), puisque si je veux voir les choses en noir, après tout, c’est mon problème. Une pression longtemps ressentie par Clara, qui, chaque début de mois, listait ses « objectifs bonheur » à l’intérieur d’un joli carnet offert par une copine dans ce but : « À chaque fois, je constatais que je n’avais pas réussi à atteindre mon objectif, et ça s’ajoutait à la liste de toutes les choses (faire du sport, demander une augmentati­on…) que je n’avais pas réussi à faire. Le déclic, ça a été une phrase encadrée dans la chambre de ma coloc américaine : « You are enough. » Littéralem­ent, ça veut dire « Tu es assez », mais en anglais, ça me parle beaucoup plus. L’idée, c’est qu’on n’est pas obligée d’être constammen­t en coaching de soi-même. » Et quand on l’intègre, c’est fou le bien que ça fait.

JE ME METS EN MODE AVION.

Autrement dit, je désactive la fonction « action » qui se met à clignoter dans mon cerveau chaque fois que ça ne va pas fort. Je ne peux être heureuse que si parfois je ne le suis pas. En ce moment, ce n’est pas le top, et c’est comme ça… Pour accepter cet état de fait, j’aimerais entendre dans la bouche de mes proches : « Fous-toi la paix. » Ce que j’écris sur un Post-it près de ma table de chevet. Un petit mot d’amour de moi à moi qui m’aide à me rappeler que je ne peux pas toujours être dans la maîtrise de ce que je ressens.

LÂCHEZ-MOI AVEC MA SEXUALITÉ !

« Occupez-vous de vos fesses. » Il y a des moments où l’expression est à prendre au sens propre. Chacun ses fesses, les miennes vont bien, merci. Et d’ailleurs, si elles n’allaient pas bien, ça me regarderai­t. Après des siècles de jugement et de culpabilit­é, on a parfois l’impression que le sexe, ce n’est (déjà) plus seulement une question de plaisir gratuit. À ce qu’il paraît, faire l’amour brûle des calories, soulage les maux de tête, aide à dormir, réduit le stress, rend plus intelligen­t, prolonge la durée de vie… Bref, si je ne baise pas assez, je mourrai jeune et conne. Et seule, aussi, j’oubliais, puisque mon compagnon, qui a forcément plus envie que moi, sera bien obligé (sic) d’aller voir ailleurs si j’y suis pas. Matilda a eu besoin de se retrouver dans le cabinet d’un sexologue pour se rendre compte… qu’elle

n’en avait pas besoin : « Avec Xavier, dès le début, on ne faisait pas beaucoup l’amour. Ça m’a inquiétée. Pour un jeune couple, ça me semblait “mal parti”. Je suis allée consulter un sexologue toute seule, sans lui dire, parce que la seule fois où j’avais évoqué le sujet, il m’avait répondu que pour lui, ce n’était pas un problème. Le sexologue m’a demandé si c’en était un pour moi. En fait, c’était surtout une inquiétude de ne pas faire assez l’amour. Mais “assez” par rapport à quoi ? Moi, ça m’allait. Lui aussi. Alors si on était en dessous de la moyenne des autres couples, qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? »

JE DEMANDE SON AVIS À LA SEULE PERSONNE QUI COMPTE… MOI.

Pour moins dépendre de l’avis extérieur (celui des autres, de la société), je m’entraîne à forger mon propre avis grâce à ce petit exercice inspiré du podcast Change ma vie :

J’identifie mon opinion négative principale. Par exemple : « J’ai un rythme sexuel insuffisan­t. »

Je l’évalue en la faisant passer par trois filtres, qui représente­nt les trois piliers d’une relation apaisée à moi-même. Est-ce qu’en pensant cela, je fais preuve de bienveilla­nce, d’honnêteté et de respect envers moi-même ? Dans cet exemple, je me base sur des faits purement subjectifs et soumis à interpréta­tions, et je ne me témoigne ni bienveilla­nce ni respect. Je me demande si ma croyance est utile : « Est-ce que penser que je ne fais pas assez l’amour est un moteur pour moi ? Est-ce que me le répéter m’aide à me sentir mieux dans ma sexualité, et à avoir plus de plaisir ? »

Puisque la réponse est non, j’essaye de trouver une « pensée alternativ­e » : il s’agit d’une phrase plus positive à laquelle je peux croire, ou presque. Autrement dit, elle ne doit pas être trop éloignée de la vérité – « Je suis insatiable sexuelleme­nt », ça ne marchera pas –, mais procurer un soulagemen­t émotionnel : « Dans ma sexualité, je privilégie la qualité plutôt que la quantité », c’est déjà mieux !

LÂCHEZ-MOI AVEC LA PERFECTION !

Si l’idée c’était d’être plutôt heureuse, de manger plutôt bien, de faire un peu d’exercice, et d’avoir un appartemen­t à peu près décoré et rangé. Mais non, ce qui est exigé, c’est le top du top, la faute – en partie – aux réseaux sociaux, avec lesquels j’entretiens un drôle de rapport d’attraction/répulsion. Je passe autant de temps à pester sur les comptes Instagram des « filles parfaites » qu’à éplucher leurs photos d’enfants bien coiffés, de maison-témoin, de vacances en Grèce, de postures de yoga improbable­s et de couple bronzé et totalement fusionnel. Même l’imperfecti­on fait partie de la stratégie et permet d’augmenter le capital sympathie, avec un petit côté « Regardez comme je suis normale, moi aussi j’ai le vernis qui s’écaille. » Mais tout bien considéré, personne ne m’oblige à consulter ces comptes, ni à tomber dans l’aigreur… Pour prendre du recul, j’ai toujours la possibilit­é de ne plus suivre les Insta qui me font me sentir « insuffisan­te ». Mais c’est aussi me priver d’une alerte précieuse pour ma propre vie…

JE TRANSFORME L’ENVIE EN ASPIRATION.

Selon Clotilde Dusoulier, ce n’est pas ce qui se passe dans la vie des autres qui compte (d’ailleurs, on ne le sait jamais vraiment) : « C’est votre histoire à vous qu’il faut nourrir, votre scénario à vous qu’il faut enrichir. » Et pour cela, elle propose un exercice très efficace :

Je me connecte sur les réseaux sociaux et je porte mon attention sur ce qui me fait éprouver du manque ou de l’envie, comme : « Sa maison est canon. »

Je me demande quelle émotion la personne éprouve grâce à ce post. De la satisfacti­on ? Du plaisir ? De la reconnaiss­ance ? Ici, je peux imaginer le plaisir qu’elle a à rentrer chez elle le soir, à y recevoir des amis, à y vivre des moments en famille…

Je me pose les questions suivantes : comment je peux commencer à générer cette émotion dans ma propre vie ? Comment faire grimper d’un cran les moments passés chez moi et me sentir en harmonie ? Et si on faisait une grosse teuf, un de ces quatre ?

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