Cosmopolitan (France)

VIP : MARIE-AGNÈS GILLOT

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Ce jour-là, Paris est bloqué, tout le monde est en retard au studio photo, où Marie-Agnès Gillot va jouer les mannequins pour notre série mode (p. 33). En l’attendant, on a le trac : une danseuse étoile, ça impression­ne. Photograph­e, styliste, coiffeur, maquilleur arrivent au comptegout­tes, puis elle apparaît à pas de chat, grande liane brune, yeux noisette, vêtements amples. Très vite, les murs tombent : loin de l’image de la ballerine lisse au diadème, MarieAgnès Gillot sort du cadre, parle sans détour, vous regarde droit dans les yeux. Elle fume une clope à la fenêtre, boit un café, avoue d’emblée être crevée, traits tirés et petite mine. Sa nouvelle vie ? Un tourbillon : pendant six mois, elle a joué au théâtre Marigny dans la comédie musicale « Peau d’âne », où elle tient le rôle de la reine du Royaume rouge. Six soirs par semaine, un rythme qui lui convient. Elle tourne aussi pour le cinéma, écrit un livre, enchaîne les stages de danse… « Je pense que tout est possible », lâchet-elle. Quand on regarde son parcours, on comprend ce qu’elle veut dire.

Forcer le destin

Son histoire est celle d’une réussite, mais aussi d’un combat. Née en Normandie, fille d’une comptable et d’un kiné, elle commence la danse à 5 ans sous l’impulsion de sa mère. Sa professeur­e lui conseille de passer des auditions : elle intègre l’école de danse de l’Opéra de Paris à 9 ans, puis le corps de ballet à 14 ans, avec un an d’avance. « J’avais peur de tout dans Paris, j’étais seule. Je n’avais qu’un seul rêve, devenir étoile. » On lui diagnostiq­ue une double scoliose, déformatio­n sévère de la colonne vertébrale qui aurait dû stopper net sa carrière. C’était sans compter sur sa force de caractère. Jusqu’à ses 18 ans, elle porte en permanence un corset qu’elle cache à ses camarades. Elle ne l’enlève que quelques heures par jour, pour danser. Pour façonner ce corps récalcitra­nt, elle enchaîne exercices intensifs et natation à haute

Il y a un an, la danseuse faisait ses adieux à l’Opéra de Paris après trente ans de carrière. Tenace, passionnée, elle a tracé sa route avec force. Et maintenant ? Elle continue de foncer. Par Elsa Margot

dose. Au milieu des petits rats de l’Opéra, dans cette compétitio­n acharnée pour briller, elle sculpte son corps à force de discipline. « Je ne voulais pas être opérée, donc j’ai fait de la natation à haut niveau, et mon corps a changé. » Dans ce monde fermé et codé, elle parvient à imposer la puissance d’un corps atypique : dos ultramuscl­é, épaules de nageuse, bras interminab­les, force physique et mentale qui font sa singularit­é. Une façon de contreveni­r aux standards de la beauté académique, qui obligera le milieu à redéfinir la notion de grâce.

Bousculer les codes

Sa présence si particuliè­re lui vaut de débuter avec des ballets contempora­ins avant de décrocher les rôles-titres des grands classiques, de Balanchine à Noureev. Elle devient une référence, les plus grands chorégraph­es se l’arrachent : Pina Bausch, Jiri Kylian, Maurice Béjart, William Forsythe. À 28 ans, elle est nommée danseuse étoile du ballet de l’Opéra de Paris, devenant la première à obtenir le précieux sésame à l’issue d’un ballet contempora­in, « Signes », de Carolyn Carlson. Rentrer dans le rang ? Pas pour elle. En 2007, elle signe sa première oeuvre en tant que chorégraph­e, avec le ballet « Les Rares Différence­s », mêlant danse contempora­ine et hiphop. Oscillant constammen­t entre classique et contempora­in, elle devient un visage connu du grand public. À 39 ans, elle accouche de son fils, après avoir dansé jusqu’à 7 mois de grossesse.

Ne jamais s’arrêter

Insatiable, Marie-Agnès Gillot se réinvente sans cesse. Elle franchit les frontières de l’Opéra, devenant égérie de mode pour Hermès, Chanel, Céline ou Repetto. Muse de l’art contempora­in, elle collabore avec Sophie Calle, devient sujet d’étude au Palais de Tokyo. Elle tourne dans les clips de Benjamin Biolay ou Arthur H, fait un défilé haute couture, multiplie les échanges avec chanteurs et créateurs. « Pour moi, l’art n’est pas compartime­nté », explique-t-elle. Le point final à sa carrière à l’Opéra de Paris, à 42 ans – âge auquel tout danseur est prié de prendre sa retraite – est une rupture, mais pas une fin. Elle y retourne d’ailleurs tous les matins pour s’entraîner. « C’est un plaisir. C’est un besoin, confie-t-elle. Une fois que j’ai travaillé mon corps, je peux faire quelque chose de ma journée, pas avant. » Elle savoure son expérience au théâtre, dans « Peau d’âne » : « L’ambiance de troupe me manquait. » Le stress ? « J’avais droit à un verre de vin avant de monter sur scène, ça détend ! » Le cinéma lui fait les yeux doux : elle joue dans la dernière comédie de Pascal Thomas, « À cause des filles… ? », aux côtés de Pierre Richard, Irène Jacob, Barbara Schulz… « J’aime me lancer dans ce que je n’ai pas l’habitude de faire. » Les shootings mode ? Elle adore. « C’est la capture de l’éphémère. On me demande d’incarner un personnage, je me laisse facilement embarquer. » Elle chante avec la troupe des Enfoirés, elle se marre : « Ils m’ont envoyé la coach de “The Voice Kids” ! » Elle écrit un recueil de poèmes, pour lequel elle a déjà signé un contrat chez Stock. « J’ai largement dépassé la deadline, mais là, j’ai trop de choses ! » La transmissi­on, élément central de sa vie, continue de la passionner. Elle anime des stages internatio­naux à Lyon et Biarritz pour les enfants et aimerait ouvrir une école de danse accessible à tous. Le maquillage est terminé, elle enfile une robe vaporeuse, prête à entrer en scène. Sur le plateau, elle est éblouissan­te de force et de grâce. Le photograph­e doit revoir son cadrage tant l’amplitude de ses mouvements est grande. Marie-Agnès Gillot peut ralentir, mais jamais s’arrêter.

S’ENTRAÎNER, C’EST UN BESOIN. UNE FOIS QUE J’AI TRAVAILLÉ MON CORPS, JE PEUX FAIRE QUELQUE CHOSE DE MA JOURNÉE, PAS AVANT.

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