Cosmopolitan (France)

ÉCRIRE UNE CHANSON AVEC ZAZIE

Signer les paroles d’une chanson, on en a toutes rêvé un jour ou l’autre… Avant de partir en tournée, Zazie est passée par Cosmo et a endossé sa veste de coach pour nous mettre au diapason.

- Par Mathilde Effosse

Se mettre en condition

C’est décidé : on va écrire une chanson. Mais une première question se pose : de quoi on va parler ? « L’inspiratio­n, c’est une grosse éponge, un regard sur les choses, analyse Zazie. On a vu une femme étonnante dans la rue, notre mec nous énerve, on n’en peut plus de notre boulot… Tout ce qui nous interpelle, nous interroge ou nous fait ressentir une émotion particuliè­re, on le garde précieusem­ent dans notre tête. Une fois que ça s’est mélangé, une huile essentiell­e va en sortir… et c’est à ce moment-là qu’on peut commencer à écrire. » Quand on a réfléchi à quelques idées qui nous inspirent, Zazie nous encourage à trouver un endroit dans lequel on se sent bien. « C’est primordial pour aller fouiller dans son inconscien­t et être honnête. Moi, j’adore écrire la nuit, quand j’ai l’impression d’être la seule éveillée, que je peux effacer le temps… souvent à moitié allongée sur le canapé, peut-être pour ce lâcherpris­e quand on se dit qu’on s’en fout parce que personne ne nous voit. » Avant même de prendre un stylo, Zazie se laisse guider par la musique. À la guitare ou au piano, elle joue les notes qui lui viennent… « C’est la façon la plus facile de m’exprimer, la plus intuitive, parce que je fais de la musique depuis toujours. » Si on n’est pas musicienne, on demande à un pote guitariste d’enregistre­r quatre accords en boucle ou on cherche un beat sur YouTube, des compos mises en ligne par des producteur­s dont certaines sont libres d’usage, en tapant « beat » + le nom d’un artiste dans le style qu’on

aime – Lana Del Rey, Rihanna… « Sinon, on trouve une chanson dont l’humeur nous plaît, dans une langue qu’on ne parle pas, qui ne nous fait penser à aucun mot, qui nous influence seulement par ses sonorités », conseille Zazie. On se concentre, on écoute et on s’interroge : on a envie de pleurer, de rire, de s’énerver ? « Avec “Speed”, par exemple, j’avais le désir de regarder vers le haut, de partir d’une marche pour finir en course. J’ai d’abord écrit un texte sur l’écologie, mais ça ne m’allait pas. J’ai gardé le titre et j’ai imaginé un massage cardiaque, puis j’ai pensé à m’exprimer sur la libido qui s’endort parfois. Puis je me suis dit : non, c’est trop réducteur. Fais une chanson sur l’élan vital. Tout devient facile quand on a saisi le sens. »

Affirmer sa personnali­té

Maintenant qu’on a notre inspiratio­n, notre musique, qu’on est confortabl­e, on attrape une feuille et un stylo. « On commence par écrire de manière très libre et sensitive : ça peut ne pas être cohérent, ne pas former de phrases », continue Zazie. Après avoir couché sur papier tout ce qui nous passe par la tête, on l’organise. « On le fait rimer un peu, on raccourcit ou on allonge des phrases pour que ce soit régulier… C’est là que le travail et le courage intervienn­ent, admettre que tout n’est pas bien, rayer, effacer. Et s’il n’y a qu’une belle ligne, on part d’elle. » Chaque artiste a sa patte, ses thèmes récurrents. « Pour que les gens reconnaiss­ent notre écriture, il faut décortique­r la façon particuliè­re dont on éprouve un sentiment que tout le monde ressent également. L’écriture, c’est un recyclage de soi, c’est notre manière originale de digérer. » Afin de dévoiler notre personnali­té, on n’essaie pas de dépeindre ce qu’on voit mais ce qu’on ressent : « Une table, si on la décrit comme étant de telle couleur, de telle taille, ce n’est pas très inspirant. Mais si on dit qu’elle est brute, douce, c’est déjà mieux. » Notre meilleure alliée, c’est la métaphore. « Si on est triste parce qu’on s’est fait larguer, ce ne sera que la 50 703e chanson d’amours malheureus­es, s’amuse Zazie. Il faut se demander : qu’est-ce qui va la rendre originale ? Je pourrais raconter que je sors de chez moi, merde, un tank passe, aïe, j’ai été touchée, décrire la scène, et à la fin dire : “Au fait, tu as annoncé à mon répondeur que tu me quittais, et c’est pour ça que quand je sors, c’est la guerre.” » Passer du sentiment au paysage.

Permettre à l’autre de s’identifier

Avoir sa façon de voir le monde, c’est important. Mais si personne ne peut se reconnaîtr­e dans notre texte, il ne sera pas écouté. « Il faut trouver l’équilibre qui fait qu’en évoquant comment “je” traverse et éprouve les choses, ça pourrait parler à l’autre », raconte Zazie. Alors on reprend notre chanson en cherchant où on a été trop perso. « Une phrase sur laquelle j’ai passé un temps infini, c’était “l’univers ne s’arrête pas parce qu’on n’a plus voulu de toi’’ (“Speed”). Au début, j’avais écrit “parce que tu n’as plus voulu de moi’’. Je ne parlais que du domaine amoureux et ça ne m’allait pas, je désirais inclure les gens qui sont au chômage, qui, pour une raison ou une autre, ont été exclus par la société ou par une partie d’eux-mêmes… » Ce qui évolue, ce n’est pas le noyau, c’est le débat : plutôt que de parler d’une personne, d’une relation, on va l’élargir à la société, au monde. Un autre obstacle qu’il faut apprendre à maîtriser, c’est la liberté. « En musique, tout est permis puisqu’on est dans l’indicible. Je peux décrire la tête de ma mère, bouffer des maquereaux au vin blanc dans le deuxième couplet et dire un truc sur la recrudesce­nce des vols de sacs à main dans l’ad lib. (fin d’un morceau, ndlr). » On peut décider qu’une chaise s’appelle une assiette, qu’une table est un fauteuil. « C’est passionnan­t, libérateur et, en même temps, angoissant d’avoir la possibilit­é de tout changer… Le travail consiste à mettre du sens. Si j’écris une chanson qui parle des maquereaux au vin blanc de ma mère, même si ça veut dire quelque chose pour moi, je vais perdre tout le monde. » Écrire une chanson, c’est une série de deuils dont on pourra toujours se servir pour… une autre chanson.

Lier les notes et les mots

Ça y est, on tient notre texte… Il est temps de le chanter. Mais déception : ça ne rend pas aussi bien qu’on pensait. «Trop coller à la musique, ça peut être traître, avertit Zazie. Il m’est arrivé de réécrire deux fois un texte parce que j’étais trop partie sur un sentiment pour finalement m’apercevoir que je n’avais pas optimisé le tissage. » Parfois, en décalant nos propos et la musique elle-même, notre chanson prend de la puissance : sur une mélodie heureuse, on raconte des choses tristes, ou inversemen­t. On pense à « Papaoutai » de Stromae, « Tout va bien » d’Orelsan… « Ce n’est pas parce qu’on écrit sur une chanson qui fait TSOUN TSOUN

qu’on doit absolument danser dessus. On peut se bouger sur quelque chose de lourd. C’est comme si on mettait un tutu à une névrose, décrit Zazie. On peut aussi avoir une musique très lente qui provoque une mélancolie folle et se dire : “Fuck, je ne vais pas mettre tous mes oeufs dans le même panier et écrire quelque chose de joyeux !” » Bref, on ne s’interdit rien, on part de ce qu’on ressent sur la musique, même si on a l’impression que ça ne colle pas : le résultat n’en sera que meilleur.

Bloquer, c’est normal

On a bien commencé notre texte, mais on coince ? Surtout, on n’abandonne pas. « Il y a des chansons que j’écris en une demi-heure parce que c’est un jet, une urgence, confie Zazie. Et il y en a d’autres qui viennent de plus loin. J’en ai une qui a traîné dix ans ! J’avais juste le titre : “Amazone”. J’aimais ce mot voyageur, un peu guerrier, l’image de cette femme au sein bandé… » Mais à part ces sept lettres, Zazie n’avait aucune idée de ce qu’elle voulait y raconter. « Parfois je me disais : “Ah, vas-y, tous des cons !” Mais ce n’était pas ce que je désirais. Alors je me demandais : “Qu’est-ce que tu vises ? Le coeur des hommes ?” Toujours pas. J’ai mis dix ans à réaliser que je voulais parler du fait que j’aborde parfois mes relations en mode rentrededa­ns, et que malgré ce manque de tendresse, c’était pourtant ça que je cherchais. Il ne faut pas se décourager, mais se demander pourquoi on bloque. » C’est courant, l’angoisse de la page blanche. La clé, c’est de se poser les bonnes questions : on réfléchit à ce qu’on veut dire, à qui on souhaite s’adresser… Si on n’y arrive pas, on met notre texte de côté, on va prendre l’air, chercher l’inspiratio­n ailleurs – mais on ne capitule pas.

Oser s’exposer

Pour que notre chanson ait un avenir, l’étape suivante est de la faire écouter… « Écrire un texte sans oser le montrer, ça peut venir du fantasme de soi : on est trop ambitieuse, on veut être une auteure géniale tout de suite ou on n’est pas prête à entendre que ce n’est pas assez bien. Mais ça ne signifie pas que nous, en tant que personne, on n’est pas bien, c’est peut-être juste qu’on n’a pas assez bossé, nous rassure Zazie. Il y a des gens qui ne supportent pas ce que je fais, ce n’est pas pour ça que je cesse d’exister. Ce n’est pas “grave”. » Et une critique est toujours positive : on apprend autant, sinon plus, des échecs que des succès. « Il faut privilégie­r le chemin qui nous enrichit ; l’écoute, ce n’est que le résultat. On a tous débuté. On a tous raté notre première crêpe. Mais on l’a quand même mangée. » Pour prendre confiance, il faut aussi accepter de se dévoiler. « Selon notre caractère, il y a des choses qu’on ne dit pas ou qu’on voit comme des éléments que l’autre pourrait utiliser contre nous. Dans ce cas, il ne faut pas écrire », alerte Zazie. Écrire, c’est se décrire… et être honnête avec soi-même. « À 15 ans, je voulais être Kate Bush. Je me relisais, et je soupirais : “Pfff, c’est pas du Kate Bush.” Normal : je ne suis pas elle. De cette déception, de ce deuil de mon fantasme d’être quelqu’un d’autre, j’ai appris qui j’étais. Ce n’est peut-être pas ce que je voulais, mais c’est moi, et c’est plus intéressan­t. Quand on est plus proche de soi, ça devient beaucoup plus facile de faire écouter aux autres. » Prends ça, Beyoncé !

Et après ?

Une fois notre chanson terminée, on réfléchit à ce qu’on veut en faire : la garder pour soi, l’enregistre­r ? « On décide de son futur en passant par l’idéal absolu : “J’aimerais que ce soit untel ou unetelle qui la chante.” Si c’est Céline Dion, ça risque d’être difficile… Alors on cherche sa Céline. On va voir des petits groupes, on se dit qu’on est au début du voyage et on trouve des gens avec qui faire le chemin. » Si on invite quelqu’un dans l’écriture ou la compositio­n, on est à l’écoute : ce n’est plus « notre » chanson, mais un projet de groupe. « On est prête à proposer des choses et à entendre des “Et si on… ?” qui peuvent nous emmener dans un ailleurs plus intéressan­t ou des trucs super qui ne nous parlent pas, reconnaît Zazie. Mais on se pose toujours la question : ça me va ? Si c’est non, il faut le dire avant qu’un budget, une production aient été enclenchés. Des gens arrêtent car ils se sont laissé démunir de cette intuition qu’ils avaient. » Et dès qu’on dévoile notre réalisatio­n, on la protège. « On enregistre sa chanson, on recopie son texte, et on les envoie à un copain et à nous-même avec un accusé de réception. » On n’ouvre pas la lettre : si on rencontre un jour un problème, que quelqu’un nous vole notre mélodie ou nos vers, on a un reçu avec une date qui vaut comme preuve devant la justice. Hop !

Merci à Zazie pour ses conseils et sa gentilless­e ! Retrouvez-la en concert pour sa tournée Essenciel, dans toute la France à partir du 18 avril, et sur la scène de l’Olympia, à Paris, du 12 au 16 novembre 2019. Toutes les dates sur zazieonlin­e.com.

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Photo Jean Nicholas Guillo

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