Cosmopolitan (France)

JUSQU’OÙ EST-IL PRÊT À ME SUIVRE ?

On sait ce qu’on veut, on est sûre de nous, reste à convaincre celui qui partage notre vie.

- Par Chloé Plancoulai­ne. Photo Dewey Nicks.

il y a des moments dans la vie où on le sent : si on ne fait rien maintenant, on s’en mordra les doigts bientôt… Viser enfin le boulot de ses rêves, faire un enfant ou changer de mode de vie, ça nous travaille, mais ça n’implique pas que nous. Notre chéri est là, lui aussi. Avec ses envies, ses repères, ses projection­s… On rêve d’un virage certes, mais si on veut embarquer notre amoureux sur le siège passager, il va falloir quelques arguments pour le rassurer, le convaincre et l’impliquer.

Première étape : préparer le terrain

« Ça fait un moment que Quentin suit épisode après épisode mes craquages profession­nels. Les trajets, mon boss, le manque de sens, l’ambiance… Rien ne va ! Quitter le marketing, j’y pense tous les jours depuis deux ans. Là je me sens prête. Quand j’annonce à Quentin que je vais démissionn­er, il tombe des nues : “C’est super risqué ! T’es si mal que ça ? Tu ne veux pas plutôt négocier du télétravai­l ?” Je lui en veux : depuis tout ce temps, il n’a pas pris la mesure de mon mal-être ? ! Mais ses doutes me mettent face aux miens : si j’ai un an de chômage pour me retourner, est-ce suffisant pour claquer la porte d’un job à 2 500 euros par mois ? “Oui” me dicte mon coeur, parce que je suis à deux doigts d’exploser. “À condition de préparer un peu mieux l’après”, me raisonne Quentin. Le fait d’avoir pris ma décision m’aide à tenir… Je fais des calculs : on va devoir se passer de femme de ménage et cuisiner plutôt que swiper sur Deliveroo un soir sur deux. “On pourrait aussi vendre la voiture, propose Quentin. Tu n’en auras plus besoin pour aller bosser, on en louera une pour les vacances.” Je suis touchée qu’il s’implique dans mon projet. Reste à définir mes envies. Un coach recommandé par une amie me remet sur la voie de mon rêve d’enfant : chanter. S’il est un peu tard pour devenir Céline Dion, il est encore temps d’intégrer la musique à mon parcours profession­nel. Je ressors

ma guitare, mes textes, je fais le point sur les formations et tremplins existants pour développer mon projet, je repère les petites scènes et dans un premier temps, je garde ça pour moi… À côté, je me crée un statut d’auto-entreprene­use pour continuer le marketing à mon compte, le temps de développer mes activités musicales. Le jour où je pose ma démission, je sais que dès la fin de mon préavis, j’attaque une résidence créative, avec concert à la clé dans une petite salle de la région. Quentin n’en revient pas : “Je pourrai te pécho, ma petite pop star ?” » Elsa, 33 ans

L’avis de la pro* : Parlez de votre projet à votre conjoint le plus tôt possible, pour envisager ensemble son impact sur le couple. Vous pouvez le préparer au changement : « Je suis à la recherche d’autre chose… Je t’en reparlerai quand j’y verrai plus clair. » À vous, ensuite, de récolter les infos afin de concrétise­r les choses. Discutez-en souvent avec votre conjoint pour désamorcer l’effet de surprise : il n’y a rien de pire pour l’autre que d’avoir l’impression d’être mis devant le fait accompli, et d’être forcé de suivre sans avoir eu son mot à dire.

Deuxième étape : l’impliquer sans le contraindr­e

« Un documentai­re sur les abattoirs qui me retourne, des infos chopées çà et là sur le gavage d’oie ou l’élevage de saumon dans des tuyaux, en

POUR RIRE DE NOS DIFFÉRENCE­S : « J’AI ÉPOUSÉ UNE VÉGANE », DE FAUST BRIZZI (FLEUVE ÉDITIONS).

quelques mois, me voilà végane. Moi, la nana qui a commandé un steak tartare à mon premier rendez-vous avec Thomas il y a trois ans. Alors forcément, ça ne passe pas comme une lettre à la poste. La première fois qu’il goûte mon gratin de pâtes végan, sans oeufs, ni crème, ni gruyère, il n’est pas convaincu : “C’est dommage de se priver des bonnes choses, non ?” J’explose : et la traite des vaches à qui on a retiré le veau quelques jours après la naissance, c’est une bonne chose ? Et ce même petit veau de l’âge de ton neveu qui se retrouve dans notre assiette, tu kiffes ? Braqués, on se fait la gueule deux jours. Puis il trouve les mots : “Tu changes, et pas dans le mauvais sens, mais je suis un peu nostalgiqu­e à l’idée qu’on ne partagera plus une planche de fromages et charcut avec une bonne bouteille, sans culpabilis­er.” De mon côté, j’avoue : “Le fait que tu ne t’intéresses pas à ma lutte, parfois, je le prends directemen­t contre moi.” Il nuance : “Chacun son chemin, chacun ses prises de conscience, je ne t’imposerai jamais d’échanger ton Mac contre un PC sous Linux, pourtant j’ai autant de bons arguments que toi avec la viande.” Après cette mise à plat, il faut quelques semaines pour sentir l’apaisement. Chacun fait un pas vers l’autre : au resto, je trouve des plats végans sur la carte pendant qu’il s’offre une belle pièce de boucher. À la maison, il prend de plus en plus de plaisir à cuisiner à la crème de coco et à tester de nouveaux aliments pas si dégueu. “Sauf tes graines de chia, qui ont un nom aussi appétissan­t qu’elles !” Ma façon de m’alimenter, désormais, on en rigole souvent, mais il la respecte. Après toutes nos discussion­s, on a retrouvé une complicité dans la différence. » Laura, 25 ans

L’avis de la pro : Mettez vos besoins sur la table : « J’ai besoin d’être plus en accord avec la nature », « J’ai besoin de sentir que mes actes ont un impact positif sur mon environnem­ent… », « J’ai besoin d’être respectée dans mes choix. » Demandez à votre conjoint de vous parler de ses besoins à lui : « J’ai besoin d’être rassuré », « J’ai besoin de partager des moments de conviviali­té avec toi », « J’ai besoin de me sentir libre de mes décisions. » Un besoin est propre à chacun et c’est une preuve d’amour que de respecter celui de l’autre, sans chercher à vouloir imposer le sien à tout prix.

Troisième étape : être à l’écoute de ses réactions et les identifier

« Un tour du monde, j’en rêve depuis toujours. Mais à 18 ans, mes parents poussent pour que je finisse mes études d’abord. À 21 ans, je rencontre Karl qui en a 31. Son objectif à lui, c’est de monter sa boîte. Six ans plus tard, j’enchaîne les CDD de pâtissière, je suis toujours amoureuse de Karl, et on parle d’acheter un appart… Si je veux partir, c’est maintenant ou jamais. Après, avec le prêt à rembourser, ce sera plus compliqué. Mais quand je lui en parle, Karl le prend contre lui : “Ce ne serait pas une fuite parce que tu flippes de t’engager ?” Euh, non c’est le même projet depuis des années, je l’ai juste mis entre parenthèse­s pour que lui puisse mener à bien le sien ! “Mais je ne t’empêche pas de partir, vas-y, si tu t’ennuies avec moi…” Là, on touche au vrai problème : il pense que je veux bouger parce que notre couple ronronne ? Au contraire, mon souci désormais, c’est que je ne me vois pas partir loin sans lui. C’est mon seul blocage. Et lui, qu’est-ce qui le retient ? Ça fait un moment qu’il gère sa boîte de recrutemen­t d’où il veut, depuis un ordinateur connecté à internet. Il n’a pas d’enfant, pas de parent malade… “C’est juste que ce n’est pas raisonnabl­e à mon âge…” Une phrase de vieux, ça… Je me moque. D’accord, on n’a pas le même âge et je peux comprendre que le temps presse un peu plus pour lui. Mais ces mois qu’il “perdrait”, il aurait voulu en faire quoi ? “Je ne sais pas, plein de choses, c’est juste qu’on sait ce qu’on lâche quand on part, pas ce qu’on retrouve.” Que lui opposer ? C’est vrai, mais est-ce grave ? Je me retrouve face à un dilemme : partir seule ou renoncer à mon projet. Quand je remets le sujet sur la table, c’est pour lui dire que je comprends ses craintes, mais que je ne veux pas tirer une croix sur mon voyage. Il me devance : “J’ai bien cogité et t’as raison, partir ne m’empêchera pas d’avancer, au contraire. J’ai tâté le terrain auprès de mes clients : ils sont d’accord pour faire les rendez-vous sur Skype pendant quelques mois…” Yiihaaa ! » Justine, 27 ans L’avis du pro : Derrière les reproches de votre conjoint, s’expriment des craintes qui lui sont personnell­es. Essayez ensemble de les identifier. A-t-il peur du changement ? Peur de ne plus trouver sa place dans le couple ? Peur de l’échec ? Voyez ensuite comment vous pouvez répondre à ses craintes, pour le rassurer sans remettre en question

votre projet. Impliquez-le dans la recherche de solutions. Les siennes ne sont pas forcément celles que vous appliqueri­ez à vous-même.

Quatrième étape : trouver un compromis (ou pas)

« J’ai 37 ans, envie d’un enfant, et un mec qui répète depuis deux ans qu’il n’est pas pressé… Ses cours de biologie sont loin, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour répondre “on est laaarge” à chaque fois que je lui parle d’horloge biologique. Ma gynéco propose de le convier à notre rendezvous. “Si vous voulez un enfant, à votre âge, ça peut prendre un moment, voire ne pas marcher sans un petit coup de pouce de la science.” Le soir, William parle sérieuseme­nt pour la première fois : “Le truc, c’est que j’ai du mal à me projeter. Moi papa, ça sonne comme une blague !” Des solutions, mes copines en ont plein : “oublier” ma pilule, se rendre en Belgique… C’est assez loin de la vision de mon projet familial. Mais ça m’aide à prendre une décision, dont je parle à William : “J’arrête la pilule, je ne veux plus m’imposer des hormones et porter seule la responsabi­lité d’un ‘accident’, alors que je rêve de cet accident.” La semaine suivante, après avoir surfé sur de nombreux forums, j’ai pris une deuxième décision : “Ce n’est pas un ultimatum, mais dans six mois, je commence les démarches pour un protocole d’inséminati­on en Belgique. Je respecte ton choix de ne pas vouloir un enfant maintenant, mais je ne veux pas renoncer au mien pour autant.” Le choc passé, William semble heureux de me voir de nouveau détendue. Les premiers temps, il met une capote, puis il commence à “l’oublier” et se retire. Mais je le vois bien : l’idée fait son chemin. Un jour, il ne se retire pas, et me sourit les yeux dans les yeux. » Annabelle, 39 ans (et un enfant !) L’avis de la pro : Vous avez exprimé vos besoins, mais votre conjoint est toujours récalcitra­nt ? Proposez-lui un moment de réflexion et tenez-vous à sa dispositio­n pour chercher ensemble une solution. Le temps a passé et il reste campé sur ses positions ? Il faut peut-être vous interroger sur vos valeurs communes et celles qui vous séparent. Si aucun compromis n’est envisageab­le, renoncer à un projet qui vous tient à coeur risque de nuire au couple sur le long terme. Il est alors temps de mettre dans la balance votre projet personnel et votre relation. L’aide d’un profession­nel peut être précieuse pour négocier un virage, ensemble ou séparément.

* Merci à Laurence Prud’homme, médiatrice familiale, mediationf­amille.info.

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