Cosmopolitan (France)

JE VEUX ÉCONOMISER MAIS PERSONNE NE ME LAISSE FAIRE

A priori gagner de l’argent, c’est compliqué : il faut trouver un travail, puis exécuter ce travail. Alors que pour économiser, il suffit de ne pas dépenser, de ne rien faire. Cela devrait être facile, eh bien, c’est encore plus dur. La faute aux autres.

- PAR SOPHIE HÉNAFF PHOTO ANNE MENKE

Pour économiser, il suffit de ne pas dépenser. Cela devrait être facile… Par Sophie Hénaff.

La faute aux sollicitat­ions

Avant, les choses étaient simples : je matais un quelconque The Voice sur ma télé, toutes les demi-heures il y avait un écran pub où du chocolat craquait en mille éclats savoureux, je me levais de mon canapé, j’allais me chercher une tablette dans la cuisine et je me rasseyais en le goinfrant devant une pub sur le régime. La belle vie. Parfois, à la rigueur, passaient deux minutes de gros plan sur des chips barbecue, qui m’obligeaien­t à constater amèrement que mes placards n’en contenaien­t pas et le lendemain, dans les rayons de ma supérette, je me demandais pourquoi tous ces paquets rouges m’appelaient par mon prénom. Déjà on cherchait à me harponner le portemonna­ie. Mais au moins il y avait un délai. Alors que maintenant, quand je binge-watche des kilomètres de séries et de fil Insta, toutes les trois minutes, j’ai une fenêtre qui clignote avec un beau fauteuil gonflable, une jolie barrette dorée, une promo sur des crèmes hydratante­s, de la bière en tonneau ou un gant à brosser les chiens. Je n’ai pas de chien, mais vraiment ce gant a l’air super pratique alors je clique, et mon navigateur – qui lui aussi en veut à mes économies – remplit toutes les cases automatiqu­ement, puis « transactio­n réussie » s’affiche avant même que j’aie eu l’occasion de me demander si, en plus du gant, un fauteuil gonflable de deux mètres d’envergure sera une bonne idée dans un appartemen­t de 30 m2. Mon drame ne s’arrête pas là. Par la suite, quelle que soit la page que je consulte, des tonnes de propositio­ns surgissent sur les contours. Tiens, moins 50 % sur un tee-shirt que je n’aurais jamais acheté, oh trois culottes pour le prix d’un string, wouah un pack spécial 50 tubes de dentifrice, comme ça je suis tranquille jusqu’en 2022. Et en plus de ces barres de pubs qui défilent en clignotant sur mon écran, je vais recevoir quantité de mails, car le site vendeur de fauteuils a conservé mon adresse avant de la revendre à tous les sites vendeurs de canapés. Pareil si j’ai eu le malheur de laisser mon numéro de portable au livreur : désormais Habitat me prévient tous les dimanches matin qu’il y a moins 20 % sur les paniers à salade, Majestic jusqu’à moins 70 % sur un seul pull toutes les semaines, et ainsi de suite. Plus une minute dans ma vie ne s’écoule sans que je sache qu’il y a quelque part quelque chose à acheter qui correspond à mes goûts. Au milieu de ma nuit, au milieu de mon travail, en famille ou entre amis, on vient me chasser les euros. Le truc de l’écureuil : J’envoie STOP à la fin des SMS (ça fonctionne une fois sur trente donc on renonce assez vite), je nettoie les cookies sur mon ordinateur

(au premier clic j’en ai des nouveaux), je transfère les mails en indésirabl­es (mais je suis obligée d’aller voir dans les spams car ma boîte mail y a renvoyé aussi mes parents). Dans ma boîte aux lettres d’immeuble, je colle « Pas de pub merci », dans la rue je baisse les yeux pour ne pas voir les affiches, puis je les ferme complèteme­nt pour ne pas voir ces nouveaux pochoirs pub qui s’étalent sur les trottoirs. Ou mieux : je me conditionn­e pour ne pas céder. Mais il faut être forte, très forte.

La faute aux virements automatiqu­es

L’avantage des espèces, c’est que je vois concrèteme­nt ce que je dépense, en pleine conscience. Pareil pour le chèque, dont j’écris le montant et que je peux envoyer en retard. Avec la carte bleue, déjà, ça devient plus flou. Avec le sans contact, on frôle la magie : hop je t’effleure, hop je repars avec tes livres de poche. Mais le

Une voiture même petite, coûte 300€ par mois. Le mieux du mieux, c’est le vélo, ça envoie moins de particules fines dans les poumons.

pire, c’est le virement automatiqu­e. Là, on accède au mystère absolu : des lignes et des lignes de prélèvemen­ts SEPA s’affichent sur mon relevé sans que jamais je sache qui est ce SEPA à la fin (c’est l’acronyme pour signifier que le paiement est dans la zone euro). D’abord il y a mon loyer. Quand on m’a dit, c’est 1 000 euros les 30 m2 à Paris, j’ai trouvé ça pas cher. J’avais pas compris que c’était tous les mois. À force, évidemment, j’ai fini par saisir. N’empêche, quand je vois le débit, chaque fois ça m’étonne : c’est chez moi ici maintenant, de quel droit osent-ils me réclamer quoi que ce soit ? Idem pour le pack box et mobile, l’eau ou l’électricit­é : tous les mois, des tas de gens ponctionne­nt mon compte pour des services qui paraissent tellement naturels que j’en oublie qu’ils sont payants. À cela s’ajoute la ligne de mes dons mensuels (Samu social, WWF, etc.) car je suis à la fois victime de mon empathie et de mon sentiment d’impuissanc­e, la ligne de mon abonnement au club de gym et la ligne du prêt personnel car ce nounours vert avait une bonne tête et je n’avais pas compris que son argent me coûterait si cher si longtemps.

Le truc de l’écureuil : Tous les vrais économes vous le diront : « L’incompress­ible mensuel, ce sont les postes fixes. » Oui, certes. Les gens qui savent gérer m’impression­nent beaucoup, je ne leur parle jamais mais ils m’impression­nent beaucoup. Pour réduire ces postes, il me reste à bien fermer les robinets, réparer les fuites, éteindre les lumières avant de partir, ne pas laisser en veille ce que je peux couper, renégocier mes contrats box et mobile, faire dix fois le tour du pâté de maison à la course au lieu de payer le club de sport et ne JAMAIS écouter les nounours verts. Il n’existe que deux moyens de locomotion plus coûteux que le vélo qu’on se fait voler tous les jours : le scooter qu’on se fait voler tous les jours et la voiture. Déjà, à l’achat, elle explose ma calculette. Ensuite, elle refuse obstinémen­t de rouler à l’eau du robinet et je dois l’abreuver en alcools ruineux. Par ailleurs, elle aime se faire soigner et réclame régulièrem­ent un petit pneu, un joli delco ou une ceinture toute neuve. Des modèles affreux pour une somme indécente, la prochaine fois que je veux paraître riche, je m’accroche un démarreur à chaque oreille. Bien entendu, la morale et la police exigent que j’assure cette merveille, alors que je n’ai jamais pu dépasser les 20 kilomètres/ heure place de la République. Mais le plus déprimant, c’est que, pour une économie véritable, il faut rouler nuit et jour : entre les contravent­ions, les horodateur­s et les parkings, ça revient beaucoup trop cher de s’arrêter.

Le truc de l’écureuil : Les enquêtes des associatio­ns de consommate­urs en arrivent régulièrem­ent aux mêmes conclusion­s : pour les citadins, il est plus économique d’utiliser les transports en commun au quotidien, les taxis en soirée, la location de voiture en vacances, que de posséder un véhicule à l’année. Une voiture, même toute petite, coûte environ 300 euros par mois. Et le mieux du mieux, si mes trajets le permettent, ce sont les jambes ou le vélo (avec un TRÈS gros cadenas), ça envoie moins de particules fines dans les poumons de tout le monde et hop, on économise aussi en Ventoline.

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