Cosmopolitan (France)

J’AI 30 ANS QUAND ON ME DIAGNOSTIQ­UE UN CANCER…

Sophie, jeune maman, ne s’attendait pas à voir sa vie basculer du jour au lendemain. Sur sa route, un obstacle de taille : la maladie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MANON PIBOULEAU. ILLUSTRATI­ON DELPHINE CAULY.

Sophie ne s’attendait pas à voir sa vie basculer du jour au lendemain. Par Manon Pibouleau.

Nous sommes en janvier 2012. On a fêté le nouvel an, on s’est souhaité une bonne année mais surtout, le plus important : une bonne santé. Assise sur le canapé, en pyjama, je passe une main sur mes seins, machinalem­ent, comme on se gratterait le bras. Sous mes doigts, une boule de la taille d’un grain de riz. Je demande à mon mari de checker à son tour… Même s’il n’a pas l’air convaincu, je prends rendez-vous chez mon médecin. J’ai affaire à sa remplaçant­e qui, elle non plus, ne s’alarme pas. « Dans le doute, je vous prescris une échographi­e. » Apparemmen­t, inutile de s’affoler, je laisse traîner quelques jours jusqu’à ce qu’un ami me téléphone. Il me raconte : « Hier, j’ai rêvé que j’avais un cancer. » Bizarre, en ce moment, ce mot revient sans cesse. Livre, article, émission… je tombe dessus partout. Signe ? Avertissem­ent ? Essaie-t-on de me prévenir ? J’écoute mon intuition et j’obtiens rapidement un rendezvous pour une mammograph­ie. On décèle une microcalci­fication et il faut approfondi­r les tests avec une biopsie. Les résultats révèlent une tumeur bénigne mais il faut affiner le pronostic avec une microbiops­ie. Les docteurs cherchent plus profondéme­nt dans la cellule malade. Et moi, j’attends… J’attends suffisamme­nt pour vivre les montagnes russes. Je m’inquiète, je me rassure et puis je recommence. Deux jours plus tard, un mercredi soir : coup de fil. Je m’en souviendra­i toute ma vie. La radiologue n’a pas osé m’annoncer la nouvelle, elle a refilé la patate chaude à mon généralist­e. Voilà le topo : j’ai 31 ans, un mari, deux enfants en bas âge et un cancer du sein.

Commencer le traitement

À ce moment-là, je ne pense pas à la mort. Je me dis « Oh ! là, là ! Je vais perdre mes longs cheveux ». J’envoie des photos à mon père, avec des turbans enroulés sur ma tête. Je ne les ai pas encore perdus mais je m’entraîne déjà au pire. Dans mon malheur, j’apprends que j’ai de la chance : mon cancer n’est pas agressif. Malgré tout, le personnel médical ne veut prendre aucun risque. Je suis jeune et une microcellu­le cancéreuse peut facilement contaminer le reste de mon organisme. Je prends le traitement maximum. La douleur la plus insupporta­ble, c’est la chimiothér­apie. Six séances, une toutes les trois semaines et à chaque fois, j’en suis persuadée : ils vont me tuer. C’est le cas… Ils éliminent tout à l’intérieur de moi pour que mon organisme puisse mieux se reconstrui­re. Pendant la chimio, je reste à l’hôpital deux jours, chaque séance dure trois heures, le produit qui goutte dans l’intraveine­use est rose et me transforme en serpillièr­e pendant une semaine. De retour à la maison, je suis à bout de force. Clouée au lit, j’ai des nausées et quand il faut aller aux toilettes, je me prépare psychologi­quement à l’effort qui m’attend. L’odeur de l’hôpital ne me quitte jamais, et je fais pipi rose.

Les deux semaines suivantes, je reprends des forces. D’accord, je suis fatiguée, mais capable de profiter de la vie, de voir des amis, de manger. Et puis rebelote, la souffrance, le regain d’énergie et la souffrance encore. Mon mari prend tout en charge, c’est un pilier dans un moment où notre vie conjugale bat de l’aile. Mes enfants ? Ils sont trop jeunes pour comprendre. Quand mon fils de 4 ans me voit sans foulard, le crâne nu, il s’exclame : « Trop cool, on dirait un pirate ! » Ma mère me suggère de leur lire Grand Arbre est malade. L’histoire d’un chêne solide qui explique au petit Frimousse, inquiet, pourquoi il perd ses feuilles… Ce livre donne aussi des idées pratiques. Avec mes enfants, on construit « un monstre » en Lego. Mes cures de chimio sont représenté­es par des briques de couleurs différente­s. Au fur et à mesure que mon traitement s’écoule, on retire une brique jusqu’à déconstrui­re complèteme­nt ce monstre. Il devient inoffensif. Maman est en train de guérir.

Reprendre une vie quasi normale

Je reçois des messages d’encouragem­ents de la part de collègues avec qui je n’ai pas forcément d’affinité. Mes amis proches, bizarremen­t, se tiennent à l’écart. Il y a des appels mais aucun coup de main. Peut-être

ont-ils peur ? Peut-être me savent-ils déjà bien entourée ? Et puis finalement, que peuvent-ils faire de plus ? Le traitement se poursuit. Après la chimiothér­apie, place aux rayons pendant deux mois. Une partie de plaisir à côté de ce que j’ai déjà vécu… Ma peau est chaude, brûlée comme après un coup de soleil mais les séances ne durent que cinq minutes. Ensuite, je pars me balader en ville, rejoindre des copines. Je suis jeune, je me retape vite et je ne me laisse pas aller. Mon cancer, c’est une grosse grippe, mais certaineme­nt pas la fin. Et puis un jour, après neuf mois de traitement, tout s’arrête brutalemen­t. Je suis en rémission, il faut claquer la porte de l’hôpital et vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Une amie qui a eu aussi un cancer du sein me dit que l’on est différente­s, on appartient à « la race du cancer » et peu de personnes peuvent comprendre ce que l’on a traversé. Tout n’est pas terminé : je passe des tests de surveillan­ce, je me ronge les sangs mais l’oncologue se veut rassurant : « En général, le troisième mois, on ne voit rien. » Ah bon… Alors je ferais mieux de m’inquiéter dans six mois ? En plus des anniversai­res, de nouveaux rendez-vous rythment mes

années. En janvier, c’est échographi­e et mammograph­ie. En juillet, l’IRM. Tous les six mois, la crainte de recevoir une mauvaise nouvelle.

Dépasser ses limites

Après un test ADN, j’apprends que je ne suis pas porteuse d’une mutation génétique. Mon cancer est un accident de parcours et ma fille peut vivre sans inquiétude. En quittant l’hôpital, je demande conseil à la coordinatr­ice de soins pour mettre toutes les chances de mon côté et éviter la récidive. « Faites du sport, surtout du cardio. » Moi qui n’ai jamais enfilé une paire de baskets, je commence à courir dès que je vais mieux. Je progresse, je fais du running trois ou quatre fois par semaine et je rejoins un groupe de coureurs. Ils deviennent une nouvelle famille. Je participe à des trails, je fais des trucs dont je ne me serais jamais cru capable… Comme envoyer un message à une femme qui a posté un témoignage sur Facebook. Après son cancer du sein, elle participe à l’ascension du Dôme de neige des Écrins, dans les Hautes-Alpes, avec le collectif « 10 femmes pour un 4 000 ». D’après sa publicatio­n, les inscriptio­ns

sont closes mais j’ai besoin d’un projet. Je lui fais part de ma motivation pour participer à la prochaine édition. Elle m’apprend que quelqu’un s’est désisté, une place est libre, je fonce ! Toutes ensemble, nous nous préparons à gravir une nouvelle montagne. Au sommet, des femmes en rémission complète sont en pleurs, comme si atteindre ce pic avait été un objectif de guérison. En descendant, nous laissons notre passé douloureux derrière nous. Je sais que ma famille ne supporte pas de l’entendre mais si c’était à refaire, je serais d’accord pour tout revivre à l’identique. J’ai fait des rencontres incroyable­s, j’ai vécu une aventure humaine exceptionn­elle, peut-être que le cancer a aussi sauvé mon couple. Je sais que nous avons peur de regarder la vérité en face, de côtoyer les hôpitaux, d’attendre une nouvelle qui peut faire basculer notre vie. On aimerait oublier ce petit grain de riz et continuer comme si de rien n’était. Mais s’il vous plaît, écoutez votre corps. Être prise en charge à temps peut vous épargner des traitement­s agressifs et vous sauver. ■

Vous souhaitez nous raconter une histoire ? Une expérience ? Écrivez-nous à chercosmo@gmc.tm.fr.

Quand mon fils de 4 ans me voit sans foulard, le crâne nu, il s’exclame: “Trop cool, on dirait un pirate!”

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