L’ORÉAL ET LA SCIENCE
« Ignorer les mauvaises langues »
Noellie Gay, 31 ans, lutte contre la résistance bactérienne aux antibiotiques, notamment dans la zone de l’océan Indien.
« Je m’intéresse à la biodiversité depuis que je suis toute petite. Peutêtre parce que j’ai grandi en Afrique, au milieu de la nature. Après une prépa économie en France, je me réoriente en fac de bio. Je passe ma dernière année de licence au Québec, et j’effectue un stage en Guyane. Là-bas, une révélation : désormais je consacrerai mes recherches aux maladies infectieuses. Pour y arriver, je travaille dur. Je n’écoute pas les mauvaises langues qui prétendent que ce que je fais est inutile. En tant que femme, il faut être forte. Dans la science, comme dans le monde du travail en général, le milieu a d’abord été investi par des hommes, et il est facile de se décourager. Ce système est nourri par la compétitivité et les femmes exercent des tâches supplémentaires qui ne sont pas valorisées, ni récompensées. Par exemple ? Accueillir un stagiaire et le mettre à l’aise. Pourtant, la bienveillance et la cohésion sont des valeurs essentielles au fonctionnement d’une équipe. »
« Ne pas compter mes heures »
Maude Wagner, 26 ans, travaille sur l’apparition de la démence sénile, notamment liée à Alzheimer, et cherche à la retarder.
« Même si je ne compte aucun scientifique dans ma famille, ce métier m’a toujours fascinée. Les chercheurs contribuent à la connaissance humaine, comme si une force intérieure les poussait à explorer l’inconnu. Durant mon master à l’ISPED (Institut de santé publique d’épidémiologie et de développement), je réalise un stage auprès de deux chercheuses passionnées. Elles me poussent jusqu’au doctorat. Je travaille sur la prévention de la maladie d’Alzheimer. Une recherche essentielle qui n’est pas rétribuée à sa juste valeur, même si je ne compte pas mes heures. À la fin de ma vie, je n’aurai peut-être pas de Rolex au poignet, mais je serai fière de m’être consacrée à la santé publique. Les garçons sont davantage encouragés à faire carrière. Moi, j’ai eu besoin de soutien pour me lancer, comme si je n’avais pas conscience de ma valeur. C’est pour ça que nous, chercheuses, voulons dire aux filles : “C’est possible, ayez la force d’oser !” »
« Partir régulièrement à l’autre bout du monde »
Oumaïma Gharbi, 30 ans, développe un système de batteries éco-responsables, performantes et abordables.
« Enfant, je porte beaucoup d’attention aux détails et cette curiosité naturelle me mène aux sciences. Après un doctorat spécialisé en chimie associée à la corrosion, je pars à l’autre bout du monde, à Melbourne. J’intègre l’université Monash, la plus grande d’Australie, pendant un an et demi. Je laisse temporairement ma vie en France et mon compagnon derrière moi. Lui, il m’encourage dans mes projets. Moi, je veux apprendre des meilleurs. En tant que chercheuse, j’ai besoin de m’ouvrir intellectuellement à d’autres cultures scientifiques. Même si une peur panique m’envahit avant de me lancer, je réalise un rêve. De retour en France, je travaille à la Sorbonne, dans le développement de batteries éco-responsables. Toutes celles utilisées jusqu’à présent (voiture, portable…) sont alimentées en lithium. Problème : c’est une ressource rare, chère et instable. Bientôt, je ressors mes valises du placard. Je décolle au Brésil en janvier, durant un mois, et aux États-Unis, en juin. »
Depuis vingt et un ans, le programme Pour les Femmes et la Science de la Fondation L’Oréal, en partenariat avec l’Unesco, encourage les jeunes talents scientifiques à conquérir un milieu où elles sont trop peu nombreuses. Et pour réussir, ces chercheuses sont prêtes à…
« Ne jamais regretter mes choix »
Pauline Adler, 31 ans, consacre ses recherches à la dépollution et à la décontamination des sols et des eaux en éléments métalliques toxiques. « Après un postdoctorat à Vienne, en Autriche, j’ai l’opportunité d’exercer à l’université de Montpellier. Pour l’instant, je suis ATER, attachée temporaire à l’enseignement et à la recherche. Un contrat à durée déterminée d’un an. Même si ce n’est pas toujours facile, je me suis habituée à ces CDD. À chaque fois, je déménage là où il y a une place. S’il y a peu de femmes en sciences, c’est parce que le poids du patriarcat est encore lourd. Ce sont les seules à qui l’on impose un dilemme : se battre pendant dix ans dans l’espoir de trouver un emploi dans leur domaine de compétences, ou revoir leurs ambitions professionnelles à la baisse pour mener une vie de famille. Mais ça ne me décourage pas. Je me bats pour ce que j’aime, pour des causes qui en valent la peine. Je ne regrette aucun de mes choix, au contraire. Les personnes que je rencontre sont passionnantes et les projets auxquels je participe m’enrichissent chaque jour. C’est le plus important. »
« Muscler ma confiance en moi »
Geneviève Robin, 25 ans, étudie les données mathématiques pour préserver la biodiversité. « Je suis amoureuse des mathématiques. Je collecte et j’analyse des données pour mieux comprendre et protéger l’écosystème. Ma spécialité ? Les oiseaux. Je travaille sur un nouveau logiciel capable d’extraire des informations météorologiques et géographiques. Certains collègues diminuent l’importance de mes recherches. En conférence, je me laisse parfois convaincre par les arguments des hommes qui prennent la parole. Comme s’ils étaient naturellement plus légitimes. Ter-mi-né ! Chaque jour, je travaille sur moi pour ne
plus me remettre en cause. Dans la science, les femmes ont accumulé un sacré retard. Polytechnique n’est devenue mixte qu’en 1972, et à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) où je travaille, les murs gardent encore les stigmates de cette époque 100 % masculine. Dans les couloirs, pas de toilettes pour femmes. Si l’on veut plus de chercheuses dans nos rangs, il faut sensibiliser et former les instituts de recherche à ces questions d’égalité. » ■