Cosmopolitan (France)

J’aime pas du tout ce que tu fais

Mais comment te le dire…

- PAR MATHILDE EFFOSSE

« Alors ? » Devant moi, Alice trépigne. Je garde les yeux rivés sur son oeuvre : moderne aux influences expression­nistes, selon elle. Moi, ça me fait plutôt penser à un dessin d’enfant plaqué sur un frigo. « C’est intéressan­t », je réponds, après tout, l’art est censé interroger, non ? « Mais du coup, tu kiffes ? » Hum.

Prise au piège

Les potes qui se lancent dans la musique, la poterie, la sculpture ou autre et qui te demandent ton avis, je trouve ça gonflé. Ils savent très bien qu’on va modérer nos propos, faudrait demander à une personne neutre. Parce que même si on est honnête et droit dans nos baskets, on ne veut pas blesser notre pote – et puis l’art, c’est subjectif. Orelsan et Lomepal, qui encouragen­t à dire « la vérité, surtout si c’est ton pote », n’ont probableme­nt jamais été face à Alice, les yeux mouillés d’émotion, la main tremblante en attendant leur débrief.

Je refile la patate chaude

« Ouh ouh, Mathilde ? » Ah oui, merde. Soudain, une ampoule s’allume dans ma tête : « Tu sais, je ne m’y connais pas trop en peinture. Tu devrais demander à Victoria, elle bosse dans une galerie. » Hop, déso Vic, mais chacune pour sa peau. « C’est fait, elle m’a dit que toi, tu avais la fibre artistique sans que ton jugement soit biaisé par ton taf. » Traîtresse. « Bon, tu veux pas être ma première acheteuse ? Je te fais un super prix. » Alors, c’est intéressan­t, mais pas chez moi. Et surtout pas pour le super prix de 300 euros.

Goûts avoués, à moitié pardonnés ?

Je me sens coincée : j’adore Alice et je veux l’encourager dans ses rêves, mais comment soutenir une copine dont tu n’aimes pas l’art ? Un souvenir me revient alors : ma mère, qui n’avait pas osé dire à une pote ce qu’elle pensait vraiment de son éléphant en papier mâché et qui le trimballai­t du placard de l’entrée au salon chaque fois que sa créatrice passait à la maison. Je prends une profonde inspiratio­n et je me lance : « Alice, je te soutiendra­i toujours mais ce n’est pas mon style. » Alice se tait. Eh merde, j’étais sûre qu’elle allait mal le prendre. Je suis sur le point de sortir mon chéquier quand : « T’inquiète, je te connais. Si tu le prends pour ne pas l’accrocher, c’est con. » Les premières notes de l’« Alléluia » résonnent dans le fond de ma tête. Dieu merci, elle comprend ! Je ne passe pas pour la méchante pote sans coeur ! « En revanche, tu peux faire la pub sur ton Facebook ? » Alors, euh… ■

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