Cosmopolitan (France)

HISTOIRE VRAIE : J’AI FAIT UN BÉBÉ TOUTE SEULE

De la décision longuement mûrie à la nouvelle vie, il y a parfois un parcours du combattant… Il fallait toute la bonne humeur et le courage d’Émilie pour en franchir les étapes.

- PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE FAURE. ILLUSTRATI­ON DELPHINE C AU LY.

De la décision longuement mûrie à la nouvelle vie, il y a parfois un parcours du combattant… Il fallait toute la bonne humeur et le courage d’Émilie pour en franchir les étapes.

« J’ai toujours voulu être maman. Je sais bien sûr que ce n’est pas obligatoir­e pour qu’une femme s’épanouisse, libre à chacune de faire son choix ; moi, à 16 ans déjà, j’avais envie d’un enfant. Sauf qu’à 30 ans, j’ai une vie amoureuse chaotique, je suis de plus en plus déçue. Je vois mes amis devenir parents, ça commence à me ronger. Je crois envier ce modèle du couple avec des enfants, une maison… Et puis je me rends compte qu’en fait, ça ne me dérange pas tant que ça d’être célibatair­e. J’ai juste ce désir d’être maman. Alors, à 33 ans, je prends la décision de faire un bébé toute seule. Il n’y a pas vraiment de déclencheu­r, juste une idée qui mûrit dans ma tête. Jusqu’à ce qu’un jour je me dise : je vais le faire. J’en parle à ma mère et à mon beaupère, à l’été 2013. C’est la première fois que je verbalise le projet, et c’est à ce moment-là qu’il se concrétise vraiment. Je leur dis que j’ai besoin de leur soutien pour y arriver. Ils me connaissen­t, ils savent que j’ai cette envie d’enfant, ils ne m’ont jamais vue épanouie dans une relation amoureuse… Ils comprennen­t.

Les étapes

En France, la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) n’est pas légale pour les femmes célibatair­es *, je lance donc les démarches au Danemark. À l’été 2014, après des heures de recherche Internet, des mois de visites de cliniques et d’examens médicaux, me voilà prête pour ma première inséminati­on. J’ai un petit bâtonnet pour vérifier mon ovulation : quand il est positif, j’ai quarante-huit heures pour me rendre à Copenhague.

C’est important pour moi d’y aller seule : c’est mon histoire, à moi de la vivre. Mais je suis en contact permanent avec mon entourage. Ma mère, ma famille, mes amis sont une vraie force, ils me donnent le courage d’affronter les éventuelle­s remarques déplacées ou découragea­ntes. À ce moment-là je fais le tri, je ne garde que les gens qui m’envoient de bonnes ondes – mais en vrai, personne ne remet mon projet en question. Ça me conforte dans l’idée que je prends la bonne décision. Cette première tentative n’aboutit pas, j’atterris violemment. D’autant qu’il y a une pression financière : 1 500 € pour chaque essai, je ne peux pas le faire tous les mois. Je retente quand même deux mois plus tard, puis quatre fois en 2015 et 2016 – trois ans, six tentatives, c’est toujours négatif. À ce moment-là, ça ne va pas du tout : je suis aigrie, je déteste les femmes enceintes que je croise dans la rue, je ne me reconnais plus. En réalité, je crois que je ne suis pas encore prête à avoir un enfant toute seule – j’ai peur de réussir. Alors je fais une pause. Deux ans plus tard, en 2018, j’ai une prise de conscience : si je ne fais rien, il ne se passera rien. Je suis bien dans ma tête, je sens que c’est le moment de réessayer. Jusqu’ici, j’avais fait mes tentatives sur la période des vacances scolaires, pour éviter les interféren­ces avec mon métier (je suis prof ). Là, mon projet passe avant tout : j’en parle pour la première fois à ma cheffe. Elle sait que je suis célibatair­e – elle ne pose pas de question, elle ne s’inquiète pas de mes absences à venir. Elle me dit juste : « Mazel tov. »

Je n’ai pas envie de retourner à Copenhague : le personnel est gentil et accueillan­t, mais c’est l’endroit de tous les échecs, alors j’entame les démarches en Belgique. Cette fois, ce sera une fécondatio­n in vitro (FIV). Le 5 février 2019, on me transfère deux embryons d’un coup… Mon corps et ma tête sont prêts à 2 000 %. Je suis sûre que ça va fonctionne­r. Je fais le test de grossesse deux semaines plus tard, un mardi matin. J’attends

trois minutes, et je regarde : deux barres. J’ai le sourire jusqu’aux oreilles et je pleure. Le soir, quand ma mère arrive, je ne lui dis même pas bonjour, je lui montre le test. Elle ne comprend rien ! Mais elle regarde ma tête et elle sait. Cette fois, je suis enceinte.

La nouvelle vie

Je vais voir la gynéco, elle me confirme qu’un bébé est là. Sur l’écran, on voit un point qui s’éteint, s’allume – le petit coeur qui bat. L’émotion est énorme… Je dois quand même faire le deuil du deuxième embryon : ce n’est pas juste un ovocyte, il a été fécondé, mais il n’a pas trouvé où s’accrocher. Il me faut deux jours pour l’accepter. Après, je me concentre sur celui qui est là. Je commence à me poser des questions : comment je vais l’élever ? Estce que je vais m’en sortir financière­ment ? Mais surtout, je profite à fond de ma grossesse. Je me trouve belle, j’adore voir mon ventre s’arrondir. Je ne suis plus en guerre contre le monde, ça ne me traumatise pas du tout de vivre ça seule. D’autant plus que je suis très entourée.

Pour l’accoucheme­nt, je veux que ma mère m’accompagne. Le personnel de la clinique connaît ma situation, ils acceptent avec beaucoup de bienveilla­nce. Le dimanche 20 octobre 2019, à 6 heures du matin, après des heures de travail, les sages-femmes et les médecins décident de me faire une césarienne. On m’ouvre, on sort le bébé… Je l’entends. On le pose sur mon cou. Je préviens : « Je vais vomir. » Quelqu’un l’enlève, l’emmène avec ma mère. Les médecins lui expliquent que le bébé va bien, elle écoute mais elle n’arrive pas à se concentrer : son bébé à elle est encore sur la table d’opération !

Le jeudi midi, je sors de la maternité… Et le jeudi soir je suis de nouveau hospitalis­ée : j’ai des céphalées anormales, je dois me présenter aux urgences. Pendant trois jours, je suis séparée de mon bébé – ma mère s’occupe de lui à la maison, pendant que je subis IRM et ponction lombaire à l’hôpital… C’est très dur, je me sens coupable de ne pas être capable de m’occuper de lui, je vois son visage en permanence. À ce moment-là, ma raison vacille. Heureuseme­nt il y a ma famille, ma soeur et mon frère se relaient avec ma mère, je sais que mon bébé est choyé. Quand je peux enfin rentrer chez moi, on me le met dans les bras, je pleure.

Ma mère passe encore quinze jours avec moi. Et puis elle doit repartir, et je passe en mode survie : je n’ai pas le temps de me reposer, il faut vivre au rythme du bébé. Je dois gérer une dépression post-partum, des angoisses que je n’avais pas avant. Je me dis à ce moment-là que cette idée de faire un enfant toute seule était complèteme­nt inconscien­te. Un grand tunnel de quatre mois. Émotionnel­lement, je n’ai jamais été dans cet état-là. Petit à petit, je retrouve le sommeil, ça va mieux. Je reprends le travail, Elliott commence à aller chez la nounou. On a le quotidien normal d’une maman avec son bébé, on s’installe dans notre vie – à deux, mais entourés de beaucoup d’amour. Je suis de nouveau moi-même, sereine… Et il est mon petit bébé bonheur. Si c’était à refaire, je referais chaque seconde de ce parcours. »

* Au moment où nous écrivons ces lignes, la PMA est en passe d’être ouverte à toutes les femmes.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France