FÉMINISME : LES HOMMES S’ENGAGENT
On a écouté et interrogé trois d’entre eux : vous allez voir, c’est du baume à l’âme.
On a écouté et interrogé trois d’entre eux : vous allez voir, c’est du baume à l’âme.
AAdolescent, Paul Sanfourche est fan de Buffy contre les vampires, cette série iconique qui est aussi (il le comprendra plus tard) féministe… Il assume « pleurer devant un film sans honte », « avoir beaucoup d’amies », « fuir la violence et les démonstrations de force ». Devenu auteur, il écrit le livre Sexisme story, Loana Petrucciani et tourne discrètement le dos au modèle du mâle alpha. Au fil de l’actualité, de ses lectures, de discussions avec ses amies, il s’intéresse de plus en plus aux questions du féminisme, du sexisme et de la masculinité : « Comme si j’avais chaussé une paire de lunettes et que j’ajustais progressivement ma vue. » Petit à petit, il devient non pas féministe, mais « pro-féministes » : une manière pour lui de se signaler comme allié du combat sans pour autant prétendre brandir la torche.
Le déclic
Pour lui comme pour d’autres, ce processus a pris du temps. Car être pro-féministes, ce n’est pas seulement affirmer que les femmes devraient être payées autant que les hommes et que les pères devraient changer plus souvent la couche du bébé. Cela implique aussi de se remettre en question, de traquer ses propres comportements pour chercher jusqu’où l’injonction à la virilité et le sexisme peuvent se nicher. Et ça, c’est nettement plus difficile. L’acteur américain Justin Baldoni, dans son TEDx Pourquoi j’en ai fini d’essayer d’être « un vrai mec », raconte qu’il s’est mis à défendre les droits des femmes lorsque la sienne, de femme, a dû le rappeler à l’ordre : dans la conversation, Justin l’interrompait tout le temps… « Le pire, c’est que je ne m’en rendais même pas compte. » Iván Repila, l’auteur espagnol du roman Un bon féministe, explique lui aussi qu’il a commencé par être « un faux féministe : un allié théorique. Ce n’est que plus tard, en écou
tant ce que vivaient les femmes autour de moi, que j’ai commencé à questionner ma place dans le monde, mon comportement et mes attitudes à leur égard ». Paul Sanfourche décrit la démarche pro-féministes comme une « tentative », jamais acquise : « C’est un travail de déconstruction qui implique de constamment remettre en question la manière dont on a été éduqués. C’est compliqué de sortir de ce formatage. » Un questionnement exigeant et sans fin : « On croit avoir fait mille fois le tour de ses erreurs, jusqu’à ce qu’un nouveau présupposé vous éclate au visage… »
Car voilà l’os : même si ça ne se manifeste pas chez tout le monde avec la même force ou de la même façon, nous sommes tous exposés depuis notre enfance à des constructions de genre – les hommes doivent être forts, les filles jolies et attentives – et façonnés dans la manière dont nous interagissons avec les autres… et dont nous leur laissons (ou non) la place.
Les étapes
Comment se sortir de ces schémas ? Selon Iván Repila, la première chose à faire est « d’écouter les femmes ». Il admet d’ailleurs que sa prise de conscience a été directement influencée par son épouse. Paul Sanfourche rend lui aussi hommage à sa compagne et affirme à quel point « le couple peut être un espace magnifique d’ouverture féministe. » Facile à dire, plus difficile à faire dès lors qu’il faut composer avec le réflexe bien naturel qui consiste à d’abord se défendre : « Moi, je ne suis pas comme ça »… Paul Sanfourche admet même qu’il s’est longtemps senti attaqué dès qu’une féministe prenait la parole. C’est cette crispation qu’il faut dépasser pour parvenir à un examen honnête de chacun de ses comportements – y compris, et même surtout, les moins conscients : la manière dont j’occupe l’espace, dont je réponds aux sollicitations, dont je souris, est-elle influencée par mon genre ? (spoiler : oui, pour les femmes comme pour les hommes). Sans généraliser, on redonne ici certains des incontournables : côté hommes, une tendance à monopoliser la parole (le « mansplaining »), à prendre toute la place sur le canapé ou le siège du métro (le « manspreading »), à viser des postes de direction sans avoir nécessairement les compétences qui le justifient. Côté femmes, une tendance à prendre sur elles (« t’inquiète, je m’en occupe »), à travailler deux fois plus pour faire la preuve de leurs compétences, à mettre plus de points d’exclamation dans leurs mails… Des faits et gestes qui sont loin d’être aussi anecdotiques qu’ils en ont l’air. Car il s’agit là en réalité de tout faire pour plaire, ou ne pas déplaire aux hommes… et donc, dès lors que cet effort n’est pas réciproque, de s’adapter à une situation de domination.
« On a tendance à minorer le côté systémique de ce sexisme », observe Paul Sanfourche, et pourtant : quand on chausse ces fameuses lunettes, on s’aperçoit à quel point ces comportements sont omniprésents.
Les bénéfices
Le courant pro-féministes soutient le combat des femmes, bien sûr : ce sont elles qui pâtissent le plus de cet état de fait. Mais cette démarche bénéficie aussi à tous les hommes qui ne se reconnaissent pas dans un modèle stéréotypé de masculinité. Un modèle qui laisse peu de place, par exemple, à l’expression des émotions. Justin Baldoni témoigne ainsi dans son TEDx : « Pour tout ce qui touche au travail, au sport, à la politique, nous les hommes n’avons aucun problème à partager nos opinions. Mais dès qu’il s’agit de nos insécurités, de nos difficultés, de notre peur de l’échec, on est comme paralysés. En tout cas moi. » Paul Sanfourche constate que « les hommes se limitent dans cette palette… c’est un appauvrissement de l’expérience humaine. » Pour lui « c’est ce cadenas, cette inquiétude masculine liée à une éducation fondée sur le silence des émotions, la compétition, le rapport de force qu’il faut faire sauter ». C’est aussi « le plus dur, car c’est ancré en chacun des hommes… Or ça fait du bien de se confron
SELON IVÁN REPILA, LA PREMIÈRE CHOSE À FAIRE EST «D’ÉCOUTER LES FEMMES»
ter à ses émotions, de s’ouvrir. Ça permet d’être un peu moins rigide, de comprendre qu’on peut discuter et qu’on n’y perd rien, au contraire ! ».
Dans son TEDx, Justin Baldoni invite les hommes à mettre les valeurs traditionnellement associées à la masculinité au service de leur examen de conscience : « Êtes-vous assez courageux pour être vulnérable ? Pour contacter un autre homme lorsque vous avez besoin d’aide ? Êtes-vous assez fort pour être sensible, pour pleurer ? Avez-vous suffisamment confiance en vous pour écouter les femmes de votre vie ? Pour entendre leur angoisse et les croire, même si ce qu’elles disent vous remet en cause ? »
Et demain ?
Ce mouvement amorce-t-il une vague de fond ? Plusieurs initiatives existent et soutiennent la participation des hommes dans le combat pour l’égalité des sexes : on peut citer la campagne HeForShe, lancée par l’ONU Femmes, ou encore l’association Zéromacho – des hommes qui s’engagent contre la prostitution. Les combats #MeToo ont plus généralement été un point de bascule : « À ce moment-là, témoigne Paul Sanfourche, les hommes comprennent que la domination patriarcale, c’est concret. Pas seulement des mots, mais la peur de marcher dans la rue le soir, de prendre un Uber toute seule. » Pour beaucoup, c’est un réveil. Pour autant, on ne peut pas encore parler de mouvement politique pro-féministes. Paul Sanfourche appelle ainsi de ses voeux une coalition d’hommes prêts à interroger et déconstruire la masculinité : une « internationale des déconstructeurs ». Clairement, l’espace existe : tous ces hommes pour qui masculinité n’est pas synonyme de virilisme, ou qui veulent plus largement apporter leur pierre à l’édifice… Les déconstructeurs en herbe n’ont plus qu’à saisir le flambeau. Le pro-féminisme sera-t-il « la révolution finale pour construire un monde juste, égalitaire et écologiste » ? Iván Repila l’avoue : c’est la seule utopie en laquelle il croit… Et nous, on a envie d’y croire avec lui.