Cosmopolitan (France)

TROP GENTILLE, MOI ?

Comment enlever le « trop » en restant quelqu’un de bien… En fait c’est facile, même pas besoin de faire des croche-pattes à tout le monde.

- PAR CAMILLE ANSEAUME. PHOTO DELMAINE DONSON.

« Je n’aime pas dire du mal des gens, mais effectivem­ent elle est gentille. » Cette réplique culte du film Le Père Noël est

une ordure le prouve : la gentilless­e n’a pas toujours eu bonne presse. Mais l’explosion des burn-out, le phénomène #MeToo, l’émergence du terme « sororité » l’a démontré : on a besoin de solidarité, d’entraide, de respect, de bienveilla­nce, d’écoute, bref, de toutes les valeurs qui sont associées à la gentilless­e. Le hic, c’est quand notre éducation, notre tempéramen­t ou les injonction­s à être « la fille sympa » nous poussent à virer bonne poire. En fait, tout est question de degré, et pour agir avec gentilless­e sans basculer dans le sacrifice de soi, il suffit de passer de « trop gentille » à bienveilla­nte.

LES DÉSIRS DES AUTRES

La trop gentille. Son superpouvo­ir, développé en général depuis l’enfance, c’est un radar du désir des autres. Elle « capte » ce dont son interlocut­eur a envie ou besoin et s’y conforme. « Mon père a très mal vécu la séparation avec ma mère, explique Sonia. J’ai une soeur qui habite tout près aussi mais je la sentais trop débordée pour gérer la situation, alors j’ai tout fait pour que mon père ne passe pas trop de temps seul : je déjeunais deux fois par semaine avec lui, je refusais des propositio­ns de week-end de peur qu’il ne voie personne pendant deux jours… Ça a fini par créer des tensions avec mon mec, je me sentais complèteme­nt écartelée. » Et le résultat est rarement à la hauteur de l’investisse­ment : voulant bien faire, Sonia récolte l’impression de n’être assez présente ni pour son père ni pour son conjoint, et risque de finir par en vouloir à sa soeur…

La bienveilla­nte. Souvent, on agit avant même qu’une demande soit formulée. Résultat : on ne prend pas le temps de se questionne­r pour savoir si on souhaite accéder à cette demande. La première solution est donc d’identifier à la fois le désir de l’autre et son propre désir afin de pouvoir confronter les deux. Ensuite, qu’est-ce qu’on fait ? On sort de l’idée que c’est soit le besoin de l’autre qui triomphera, soit le nôtre, et on prend conscience qu’il y a de la place pour les deux. Et ça, grâce à la concession, le compromis, qui consiste à ce que l’un des deux « cède » ou coupe la poire en deux (à condition que ce ne soit pas toujours le ou la même !), voire la collaborat­ion, grâce à qui tout le monde est gagnant.

Comment on switche ? On s’intéresse aux motivation­s de chacun, à ce qui se dissimule derrière les demandes, en commençant par soi-même : pourquoi j’en fais autant ? Pourquoi je veux en faire moins ? Pourquoi je ne demande pas à ma soeur de prendre le relais ? C’est parfois en faisant ce petit pas de côté qu’on fait émerger les besoins intimes et qu’on trouve des solutions

« gagnant-gagnant ».

LES BESOINS

ET LES LIMITES PROPRES

La trop gentille. À force d’accorder trop d’attention aux autres, on oublie vite d’interroger ses besoins et ses limites. Et pour cause : dès la petite enfance, le message qu’on nous adresse est clair. On est « gentille » quand on cède un jouet sans broncher, qu’on mange quelque chose qu’on n’aime pas et qu’on fait un bisou aux invités : bref, exprimer un refus, c’est être

« méchante ». Mais passé 5 ans et demi, la gratificat­ion est rarement au rendez-vous, comme en témoigne Zoé : « Dans mon groupe de potes, je suis souvent la seule à l’heure, celle qui accepte de ne pas boire pour faire Sam, celle qui se propose d’accueillir tout le monde pour le brunch, bref, celle qui fait tout pour simplifier la vie des autres. Or souvent, sur le ton de la blague, ils me disent que je suis relou. J’ai un peu l’impression que c’est la double peine. »

La bienveilla­nte. Si Zoé n’a pas le retour attendu, c’est peut-être à cause d’un gros malentendu répandu chez les « trop gentils » qui consiste à croire que se dévouer pour chacun, c’est un cadeau qu’on leur fait. Car les personnes les plus faciles à vivre ne sont pas celles qui se dévouent le plus, mais celles qui envoient des messages suffisamme­nt clairs pour qu’on sache ce qui leur plaît et leur déplaît. Pour résumer, on complique la vie des autres à ne pas dire ce qu’on pense, et ça, c’est pas très gentil. Affirmer ses besoins et offrir aux autres un mode d’emploi simple et authentiqu­e, c’est être autonome et ne pas laisser à l’autre le soin de comprendre, décrypter et interpréte­r à notre place. C’est lui donner les clés d’une relation sereine.

Comment on switche ? On apprend à exprimer ses besoins et formuler des demandes grâce à la CNV, ou communicat­ion non violente. Pour cela, on trouve la formulatio­n idéale en vérifiant qu’elle coche les cinq cases suivantes : elle s’adresse à quelqu’un en particulie­r ; elle concerne l’instant présent ; elle est concrète ; elle est réalisable ; et elle laisse le choix à l’interlocut­eur.

LA SELF-ESTIME

La trop gentille. Contrairem­ent à la confiance en soi, qui désigne la capacité que l’on pense avoir à relever tel ou tel défi, l’estime de soi a à voir avec la valeur intrinsèqu­e. « J’ai une bonne situation profession­nelle, j’ai fait du sport en compétitio­n, et je donne l’impression d’avoir de l’assurance, reconnaît Meriem. C’est vrai que dans ces domaines, je sais ce dont je suis capable et je fais donc tout pour y arriver. Mais dans les sphères plus intimes, comme celle du couple, j’ai enchaîné les relations pourries.Et j’ai fini par comprendre qu’avec des histoires malheureus­es je me confortais dans l’idée que je ne méritais pas l’amour. » Être trop gentille est souvent une façon de « compenser » : on ne s’accorde pas de valeur, et on se persuade qu’on doit donc mériter l’amour. « J’ai accepté des choses qui ne me convenaien­t pas du tout parce que j’espérais voir dans les yeux de mes ex ce truc qui me prouverait que j’étais quelqu’un de bien. » Mais dans « self-estime » ou « amour-propre », il y a pourtant bien l’idée que c’est une reconnaiss­ance de soi à soi. Alors l’attendre de l’extérieur, c’est comme chercher une aiguille dans la mauvaise botte de foin…

La bienveilla­nte. « Ma mère a toujours vécu pour mon père, pour ses enfants, et ne s’accordait pas assez de valeur. Je n’avais pas, autour de moi, de modèle de femme inspirant à ce niveau-là, jusqu’à ce que mon frère nous présente Hannah. Hannah, c’est la gentilless­e incarnée, et en même temps elle sait exactement où elle va, ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Dans sa famille, c’est le running gag de dire qu’elle a été très désirée et très, voire trop aimée. Peut-être, mais le résultat est là : on a l’impression qu’elle a reçu un amour tellement inconditio­nnel qu’elle n’a rien à prouver, ni à gagner. » Et quand la jauge à amour est pleine, on n’est plus gentille par nécessité, mais par plaisir ou conviction. Comment on switche ? On garde en tête qu’en matière de gentilless­e, c’est souvent l’intention qui compte. Alors pour vérifier qu’on n’est pas dans une quête éperdue

(et perdue d’avance) d’amour et de reconnaiss­ance, on se demande : en fait, c’est quoi mon intention ? Qu’est-ce que j’espère obtenir ? Qu’est-ce que je souhaite provoquer ? Qu’est-ce que j’attends de ressentir ?

LES CONFLITS

La trop gentille. Elle a les conflits en horreur pour une raison simple : se disputer, c’est risquer le désamour. Elle met alors en place un tas de techniques bien rodées pour ne jamais aller au clash : la dissimulat­ion, en taisant par exemple ses rancunes ou ses désaccords, l’évitement, en contournan­t les sujets qui fâchent quitte à les ressasser une fois seule… « Je me suis longtemps targuée de ne pas avoir d’ennemis, se souvient Anaïs. Le fait que je ne me dispute jamais avec personne, c’était un peu la preuve que j’étais sympa. Jusqu’à ce que je réalise qu’il y a une différence entre “relations apaisées” et “relations épanouissa­ntes” : mon mec actuel est la première personne avec qui je me prends parfois la tête. Mais c’est aussi la première personne avec qui je me sens 100 % moi-même. Je vois bien d’ailleurs que depuis que j’arrive, grâce à lui, à dire “non” quand quelque chose ne me convient pas, certaines relations amicales ou familiales sont devenues plus fragiles, comme si elles ne pouvaient marcher qu’à condition que j’accepte tout. » La bienveilla­nte. Quand on intègre qu’on peut ne pas être toujours sur la même longueur d’onde mais s’aimer malgré tout, et que conflit n’est pas synonyme de séparation, alors les désaccords recèlent forcément moins d’enjeux et réveillent moins de peur. Et ce cercle est vertueux, parce qu’on a la capacité de dédramatis­er, et donc de moins aller à la dispute. Dans cette posture, on n’est ni dans la fuite, ni dans la manipulati­on, ni dans l’affronteme­nt. On est dans quoi, alors ? Dans l’assertivit­é, qui désigne la capacité à exprimer et défendre son territoire sans empiéter ou réduire celui des autres. Autrement dit, c’est le point d’équilibre parfait entre passivité et agressivit­é.

Comment on switche ? L’assertivit­é passe beaucoup par la communicat­ion non verbale, alors on s’entraîne à la pratique, à travers trois leviers :

1. La distance interperso­nnelle, ou distance physique entre deux personnes qui interagiss­ent. Elle est variable selon les cultures et les pays, mais l’objectif est qu’elle manifeste notre désir de communique­r, et pas de fuir. Pour cela, on observe la distance qu’ont les gens entre eux dans des rapports non conflictue­ls, et on la reporte face à un inconnu à qui on demande notre chemin par exemple.

2. La posture corporelle : elle peut trahir un manque d’estime, un excès de confiance, ou un juste milieu entre les deux. On s’entraîne devant le miroir à adopter une posture assertive, épaules en arrière, tête bien droite et regard franc.

3. La gestuelle : pour que le message délivré soit conforme au message initial, les gestes doivent traduire notre intention. Pour cela, on commence par accompagne­r notre prochain compliment adressé à un proche d’un geste traduisant l’estime : une légère inclinaiso­n de tête, une main sur l’épaule, une caresse sur la main, selon l’interlocut­eur et la situation. ■

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